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Les trous noirs nouveaux sont arrivés !
Le 21 mai 2019, l’interféromètre européen Advanced Virgo et les deux interféromètres américains Advanced Ligo ont simultanément détecté un signal (GW190521) d’une durée d’à peine un dixième de seconde. Quoique très bref, cet ébranlement du tissu de l’espace-temps s’est révélé si complexe que les astrophysiciens ont mis plus d’un an à l’analyser et le confronter à leurs modèles théoriques pour en décrypter l’origine. Leur conclusion : ce qu’ils ont observé correspondrait à la formation – il y a sept milliards d’années – d’un trou noir d’environ 142 masses solaires à partir de la coalescence de deux trous noirs de 65 et 85 masses solaires. Aucun trou noir n’avait jamais été observé dans cette échelle de masses ! Cette découverte exceptionnelle, en prouvant l’existence de trous noirs de masse intermédiaire, pourrait permettre de résoudre l’énigme de la formation de trous noirs supermassifs mais aussi d’améliorer notre compréhension des étapes finales de la vie des étoiles massives. Elle est présentée dans deux articles cosignés par quatre-vingt dix neuf scientifiques de six équipes du CNRS et d’universités associées, publiés dans les revues Physical Review Letters1 et Astrophysical Journal Letters2.
Un claquement révélateur dans l’espace-temps
Depuis la toute première observation directe d’une collision de trous noirs en 2015, la collaboration internationale Ligo-Virgo a enchaîné une dizaine de détections d’ondes gravitationnelles issues de la collision de corps compacts tels que des trous noirs ou des étoiles à neutrons. À ce titre, GW190521 aurait paru presque banal si son exceptionnelle brièveté et sa complexité n’avaient mis en défaut les modèles utilisés pour analyser les précédents signaux, obligeant les chercheurs à recourir à de nouveaux algorithmes développés pour décrypter les signaux « exotiques ».
« Contrairement aux coalescences de trous noirs habituellement captées, qui ressemblent à une sorte de sifflement de plus en plus aigu, GW190521 n’a duré qu’un dixième de seconde, rappelant plutôt un claquement : nous savions dès lors que nous avions affaire à une source exceptionnellement massive, explique Nelson Christensen, directeur de recherche au CNRS et directeur du laboratoire Artemis3 à Nice. Le long et difficile décryptage de ce signal particulièrement complexe a fini par nous révéler beaucoup d’informations sur le déroulement du cataclysme cosmique qui l’a engendré. Même si nous ne pouvons encore totalement exclure certaines hypothèses alternatives, le scénario le plus probable est que nous sommes devant la coalescence de trous noirs la plus massive jamais observée. »
Quatre records pour un même signal
Dans ce scénario, quand l’Univers n’avait que la moitié de son âge actuel, deux trous noirs pesant respectivement 85 et 65 masses solaires sont entrés en collision, entraînant la formation d’un trou noir de 142 masses solaires et la libération d’une énergie équivalente à 8 masses solaires sous la forme d’ondes gravitationnelles. Ce sont ces ondes gravitationnelles que nos interféromètres terrestres ont fini par capter !
Un quadruple record, tant par la distance de l’événement et l’énergie libérée que par les masses estimées des trous noirs initiaux et du trou noir final. Mais au-delà des simples records, cette découverte, en bouleversant ce que l’on pensait savoir des populations de trous noirs et du cycle de vie des étoiles, relance l’espoir de résoudre l’énigme de la formation des trous noirs supermassifs comme celui qui trône au centre de notre Voie lactée.
Un chaînon manquant dans le bestiaire des trous noirs
En effet, tous les trous noirs observés ou inférés à ce jour relevaient jusqu’ici de deux populations : les trous noirs stellaires, issus de l’effondrement d’étoiles massives (trous noirs de première génération) ou de la coalescence d’autres trous noirs stellaires (trous noirs de deuxième génération) dont la masse n’excédait pas l’équivalent de quelques dizaines de Soleil ; et les trous noirs supermassifs de plus de 100 000 masses solaires. Pour expliquer la formation de ces derniers par coalescence, un chaînon manquait et on devait postuler l’existence d’une troisième population de trous noirs de masse intermédiaire, entre 100 et 100 000 masses solaires. Le problème étant que l’on n’en avait pas jusqu’ici observé dans cette gamme de masse, que l’on a d’ailleurs longtemps appelée « le désert des trous noirs ».
Avec ses 142 masses solaires, le trou noir résultant de GW190521 est ainsi le tout premier trou noir intermédiaire observé directement par un observatoire gravitationnel. « La découverte d’un trou noir de cette masse ne constitue pas en soi une révolution conceptuelle, mais moins de cinq ans après la première observation directe de trous noirs, GW190521 constitue le tout premier point de donnée d’une nouvelle phase d’exploration qui permettra d’étudier la formation des trous noirs intermédiaires et de comprendre leur éventuelle évolution en trous noirs supermassifs », précise Nelson Christensen.
Des trous noirs qui ne devraient pas exister
Encore plus intéressant pour les astrophysiciens : les masses des deux trous noirs initiaux semblent exclure qu’ils soient de première génération. En effet, le modèle d’évolution stellaire communément admis prédit qu’en raison du phénomène quantique appelé « instabilité de paires », les étoiles dont la masse du noyau d’hélium se situe entre 65 et 130 masses solaires ne peuvent pas s’effondrer en trou noir mais finissent en une gigantesque supernova dispersant tout leur contenu dans l’espace. Le fait que l’un des deux trous noirs à l'origine de GW190521 – voire les deux – se situe pile dans cet intervalle « interdit », intrigue – et enthousiasme – les astrophysiciens qui ont déjà commencé à explorer différentes hypothèses permettant d’expliquer leur formation : sont-ils issus de la fusion d’autres trous noirs ? S’agit-il de trous noirs primordiaux formés peu après le big bang ? Ou doit-on tout simplement revoir nos modèles d’évolution stellaire ?
Perspectives brillantes pour trous noirs massifs
Comme toute grande découverte scientifique, GW190521 ouvre plus de nouvelles questions qu’il n’apporte de réponses fermes et définitives. Il justifie en tout cas tous les efforts consacrés à l’astronomie gravitationnelle et incite les chercheurs à mettre en place de nouveaux observatoires plus sensibles que Ligo-Virgo. « Le fait que nous ayons pu détecter et analyser GW190521 a démontré la fiabilité et la qualité de nos instruments, mais aussi leurs limites : en raison du bruit sismique, les interféromètres terrestres actuels auront beaucoup de mal à distinguer des événements impliquant des corps jusqu’à quelques centaines de masses solaires, prévient Nelson Christensen. L’observatoire terrestre Einstein permettrait éventuellement d’observer des trous noirs jusqu'à quelques milliers masses solaires ; mais le projet le plus prometteur, et dans lequel la recherche européenne est très impliquée, demeure le projet Lisa d’observatoire gravitationnel spatial, qui permettra quant à lui de détecter des trous noirs jusqu’à quelques millions de masses solaires. Son lancement est prévu en 2034. » ♦
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Les premiers pas de l’astronomie gravitationnelle
Voici la toute première image d'un trou noir
Une baie vitrée sur l’Univers (billet par Éric Plagnol, physicien)
- 1. "GW190521: A Binary Black Hole Merger with a Total Mass of 150Mʘ", The LIGO Scientific Collaboration and the Virgo Collaboration, Physical Review Letters, 2 septembre 2020. DOI : 10.1103/PhysRevLett.125.101102
- 2. "Properties and astrophysical implications of the 150Mʘ binary black hole merger GW190521", The LIGO Scientific Collaboration and the Virgo Collaboration, Astrophysical Journal Letters, 2 septembre 2020. DOI : 10.3847/2041-8213/aba493
- 3. Astrophysique Relativiste, Théories, Expériences, Metrologie, Instrumentation, Signaux (CNRS/Observatoire de la Côte d'Azur).