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Microbiote: des bactéries qui nous veulent du bien
Sans le microbiote, une colonie de bactéries tapissant les quelques 400m2 de la surface intestinale, nous serions incapables d'assimiler certains aliments que seules les bactéries savent dégrader. On parle de symbiotisme car ni cette flore intestinale ni son hôte ne peuvent survivre l’un sans l’autre. Celle-ci se montre même capable de réguler l'expression de certains de nos gènes, et les chercheurs soupçonnent que de nombreuses maladies sont liées à des déséquilibres dans la diversité bactérienne. Dès lors, la question s’est posée de savoir s’il était possible de manipuler ce microbiote à des fins thérapeutiques ou juste diagnostiques.
Comment étudier le microbiote?
Notre flore intestinale est composée d'environ 100 000 milliards de bactéries. On arrive à cultiver certaines espèces à partir des selles mais la plupart sont méconnues et non cultivables. Ce sont les récents progrès des techniques de séquençage de l’ADN qui ont permis, par le décompte des gènes, de découvrir la diversité insoupçonnée des groupes bactériens intestinaux. A l’aide d’une nouvelle méthode d’analyse du métagénomeFermer contenu génétique d'un échantillon issu d'un environnement complexe (intestin, océan, sols, air, etc.) trouvé dans la nature de l'intestin mise au point au sein du consortium MetaHIT pilotée par l’Inra et impliquant des équipes du CEA, du CNRS et de l’Université d’Evry, les chercheurs ont analysé 396 échantillons de selles d’individus espagnols et danois. Ils ont ainsi identifié 741 espèces de bactéries dont 85% étaient jusque-là inconnues. Cette méthode a également permis de reconstituer le génome complet de 238 bactéries intestinales. L’étude, publiée en juillet dans Nature, a par ailleurs mis en évidence des centaines de relations de dépendances entre ces différents groupes bactériens ; ce qui, à l’avenir facilitera leur détection mais aussi la compréhension du fonctionnement global de la population microbienne intestinale et ses interactions avec l’organisme qui les héberge : régime alimentaire, profil immunitaire, etc...
Change-t-il avec notre alimentation ?
On s’est aperçu que la composition de la flore s’adapte aux changements de nourriture. Par exemple, contrairement à ce que l’on pourrait penser, le poids de ce microbiote (1 à 5 kg) ne dépend pas du poids total de l'individu mais de son type d'alimentation.
Toutefois, en dépit des perturbations qu’on lui impose, cet écosystème fait preuve d’une certaine inertie et garde une "signature" propre à chaque individu. Dès lors, deux stratégies thérapeutiques peuvent être envisagées pour agir sur cette biodiversité: une approche probiotique, où l'on transfère directement dans l’intestin de l’hôte les groupes bactériens que l’on souhaite y introduire, et une approche prébiotique qui consiste à ingérer des composés alimentaires (comme des fibres solubles) qui vont modifier le microbiote.
Les changements d'alimentation peuvent avoir un effet très rapide sur la composition du microbiote : l'absence de nourriture, mais aussi l’apport de protéines ou de fibres solubles dans l’alimentation peuvent modifier la biodiversité des bactéries présentes, et induire une dépense d'énergie plus importante, un stockage des graisses diminué et une sensation de satiété, autant d'effets bénéfiques en cas d'obésité ou de diabète.
A-t-il un intérêt thérapeutique?
Les essais de transfert de microbiote chez l'animal et chez l'homme ont ouvert des pistes très prometteuses, par exemple dans le traitement de l'obésité ou pour prévenir certaines inflammations intestinales graves, le diabète ou les maladies cardiovasculaires. La transplantation de microbiote fécal consiste à introduire les selles d’un donneur sain dans le tube digestif d’un patient receveur afin de rééquilibrer sa flore intestinale altérée. Cette approche thérapeutique suscite un intérêt grandissant et a fait l’objet de plusieurs études montrant des résultats encourageants. Une équipe néerlandaise a ainsi pu démontrer en 2013 que le transfert de flore était bien plus efficace qu’une antibiothérapie dans le traitement de l’infection par la bactérie Clostridium difficile. A tel point qu’il a été décidé d’interrompre l’essai lors des tests cliniques, événement rarissime. Plus récemment, la Société américaine de Gastroentérologie a institué le transfert de flore comme alternative au traitement antibiotique des infections récidivantes, solution préconisée également par la Société européenne de Microbiologie clinique et d’Infectiologie.
Encore plus récemment, des chercheurs de l’INRA ont réussi à mettre au point un test, non invasif et fiable à plus de 90%, qui permet d’identifier les personnes atteintes de cirrhose du foie. Celui-ci consiste à analyser les selles du patient et y rechercher l'abondance relative de 7 espèces bactériennes. En effet, chez les patients cirrhotiques, on s'est aperçu que jusqu’à 40% du microbiote intestinal est constitué de bactéries qui, chez les personnes saines, sont rares dans l’intestin mais fréquentes dans la bouche. L’explication proposée serait que la bile des personnes malades n’est plus en mesure d’empêcher la migration des bactéries de la bouche vers le tube digestif. D’autres études ont en outre montré que ces bactéries buccales sont plus abondantes chez les personnes atteintes de cancers colorectaux ou souffrant de la maladie de Crohn que chez les individus sains. Ainsi contrôler et combattre cet envahissement de l’intestin par les bactéries qui lui sont normalement étrangères, constitue une stratégie thérapeutique particulièrement prometteuse contre ces maladies graves.
Modifie-t-il le comportement alimentaire ?
Si comme on l’a vu, l’alimentation influe sur la composition de la flore intestinale, réciproquement, celle-ci peut influer sur le comportement alimentaire. Véritable usine à fermentation, le microbiote est indispensable à l’assimilation des fibres et sucres complexes. Cette digestion bactérienne produit des petits lipides, des acides gras à courtes chaînes, qui stimulent la production de glucose par l’intestin . De fait, lorsque l'organisme est privé de sucre, on constate que certains organes prennent le relais et se mettent à produire du glucose : d'abord le foie, puis les reins au bout de 20/24h. « Le résultat inattendu a été de découvrir que l'intestin lui-même peut dans certaines conditions fabriquer du glucose. » se souvient Gilles Mithieux, directeur de recherche CNRS sur les mécanismes moléculaires du diabète et de l'unité « Nutrition et cerveau » (Inserm / Université Claude Bernard Lyon 1). Ce glucose libéré dans le sang entraîne une diminution de la sensation de faim, exerçant ainsi un effet anti-obésité et anti-diabète.
Le microbiote peut-il facilement être transplanté ?
Si l'alimentation est un déterminant essentiel de la biodiversité du microbiote, elle n’explique pas tout : notre système immunitaire joue également un rôle en tolérant certaines bactéries et en éliminant systématiquement d’autres. Plusieurs études ont ainsi montré que si l'on transfère la flore intestinale d'un animal normal sur un animal obèse, il maigrit.
Toutefois, l'effet de ce transfert de flore microbienne reste temporaire et s'estompe si sa nourriture est trop riche. L'inverse fonctionne également, on peut rendre obèse un animal normal. Chez l'homme, on a constaté une perte de diversité bactérienne dans la flore microbienne de la population obèse. L'une des hypothèses est que la présence de certains groupes entraîne une modification des fonctions bactériennes qui influent sur le stockage de graisse.
Reste que pour l'instant ces études demeurent peu reproductibles et les résultats observés transitoires. Le microbiote constitue en effet un écosystème ou s’intriquent des centaines d’associations entre espèces. Sans intervention extérieure, l'écosystème s’autorégule, les bactéries se contrôlant mutuellement en synthétisant des peptides antimicrobiens. Mais par exemple, lorsqu'il y a prise d'antibiotique, certaines bactéries se révèlent résistantes mais l'antibiotique tue les autres : le traitement déplace alors le point d’équilibre de l’écosystème.
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Auteur
Lydia Ben Ytzhak est journaliste scientifique indépendante. Elle travaille notamment pour la radio France Culture, pour laquelle elle réalise des documentaires, des chroniques scientifiques ainsi que des séries d’entretiens.
Commentaires
Le nouveau-né est axénique.
jean louis ROY le 17 Juillet 2015 à 10h52Connectez-vous, rejoignez la communauté
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