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Un test salivaire ultra-rapide pour dépister le Covid-19
Fini les écouvillons enfoncés dans les fosses nasales, les robots qui tournent pendant des heures dans les laboratoires d’analyses médicales et les litres de réactifs engloutis. Depuis ce lundi 15 juin, un test révolutionnaire permet de diagnostiquer sur le terrain et (presque) instantanément les patients atteints du Covid-19 : baptisé EasyCov, ce test portable demande quelques gouttes de salive, un tube à essai, et moins d’une heure de chauffe à 65 °C pour livrer son résultat… Il a été développé au sein du laboratoire Sys2Diag, un laboratoire qui associe des chercheurs CNRS et des chercheurs des entreprises Alcediag et SkillCell (groupe Alcen), sous la houlette du biologiste Franck Molina. De quoi accélérer et massifier encore la stratégie de tests préconisée par l’OMS depuis le début de la pandémie.
A ce jour, 200 000 kits sont produits chaque semaine, et sont pour le moment commercialisés à l'étranger ; en France, des tests complémentaires demandés par les autorités sanitaires sont toujours en cours. À peine mis sur le marché, EasyCov intéresse déjà les sportifs de haut niveau, et des pays d’Asie et d’Amérique du Sud sont sur les rangs pour se le procurer. « Avec un test de terrain rapide, quatre à cinq fois moins cher que les tests actuels, on peut tester des passagers avant qu’ils n’embarquent dans un avion ou un bateau, par exemple, ou envisager de tester régulièrement les résidents et personnels des Ehpad. » Son déploiement chez les médecins de ville ou le développement futur d’un auto-test réalisable à la maison dépendent quant à eux du cadre que fixeront les autorités de santé.
La salive, un important perturbateur biologique
« À l’origine, Sys2Diag n’est pas spécialisé dans la détection virale, raconte Franck Molina. Notre cœur de métier est la mise au point d’outils de diagnostic innovants, et jusqu’à présent nous avons surtout travaillé dans le domaine de la psychiatrie, avec un test permettant de déceler les dépressions profondes et les risques de passage à l’acte, et dans le domaine des machines cellulaires – des cellules artificielles qui se comportent comme de petits ordinateurs et sont par exemple capables de repérer le pré-diabète dans les urines d’un patient. Mais quand l’épidémie de Covid-19 s’est accélérée en France et que les tensions sur les tests et les réactifs ont commencé à se faire sentir, nous nous sommes dit que nous devions tenter quelque chose, en nous appuyant sur les technologies et les briques que nous avions déjà utilisées. » C’est ainsi que, la veille du confinement et alors que tout le laboratoire s’apprête à se mettre en télétravail, la décision est prise par l’équipe de se lancer dans le développement d’un test salivaire.
« L’idée était de faire un test léger et facile d’usage, pour arrêter d’acheter de grosses machines qui consomment beaucoup de réactif, raconte Franck Molina. Nous voulions également éviter d’aller chercher du virus au fond des fosses nasales – une opération qui peut se révéler douloureuse pour le patient, et risquée pour le soignant, car le prélèvement peut provoquer une gêne chez le patient et un éternuement. » Or où trouve-t-on du virus en grande quantité, ailleurs que dans les sécrétions nasales ? Dans la salive. « Un choix risqué, que nous sommes les seuls au monde à avoir fait. Car la salive, pleine d’enzymes, de bactéries et de cellules est connue pour être un important perturbateur biologique. »
Comme les tests classiques, EasyCov traque l’ARN du virus – ce dernier ne possède en effet pas d’ADN, raison pour laquelle il a besoin d’un hôte pour pouvoir transcrire son ARN en ADN et se reproduire. Mais le choix technologique fait par Sys2Diag pour y parvenir est radicalement différent. « Les tests employés par les laboratoires d’analyses, dits “RT-PCR”, fonctionnent en trois étapes et par cycles successifs de températures différentes, détaille Franck Molina. D’abord, ils extraient l’ARN du virus, puis ils le transcrivent en ADN, enfin ils amplifient cet ADN, jusqu’à ce que la quantité d’ADN soit suffisante pour permettre la lecture. Notre test utilise une technologie assez ancienne mais peu connue appelée “RT-lamp”, qui permet de tout faire à la fois : les enzymes que nous utilisons fonctionnent simultanément et réalisent toutes les opérations en même temps, à une température unique de 65 °C. »
Course contre la montre
« De la biochimie fine », de l’aveu même du chercheur, qui requiert généralement deux à trois ans pour aboutir à un produit commercialisable, plutôt que deux à trois mois. « Nous avons dû surmonter toutes sortes de galères pour y arriver, confie le biologiste. Mais le plus difficile, ça a été d’obtenir des réactifs pour pouvoir faire nos manipulations. Nous avions lancé des commandes partout en Europe, qui arrivaient au compte-gouttes… » Sans compter quelques sueurs froides, comme cette semaine d’avril où les tests réalisés par le laboratoire sont soudain devenus tous positifs ! « On a compris après coup que c’est le réactif qu’on avait reçu d’un de nos fournisseurs qui était lui-même contaminé par le virus, mais ça nous a mis un sacré coup au moral. »
on peut tester des sportifs avant une compétition, mais aussi des passagers avant qu’ils n’embarquent dans un avion ou un bateau.
Une chose est sûre : il lui aurait été impossible de mener l’aventure à bien sans l’aide de tout un écosystème. « Quand les réactifs nous ont manqué, des laboratoires montpelliérains ont rouvert leurs portes pour nous en fournir. La région Occitanie a effectué plusieurs milliers de précommandes d’un test dont on n’était pas encore sûr qu’il aboutirait un jour. Quant à la délégation régionale du CNRS, elle s’est mise en quatre pour nous aider, établissant des contrats à plus de minuit pour obtenir du virus atténué en urgence. » Et ceci alors que tout le monde, équipes de Sys2Diag comprises, était confiné à la maison.
« Au début, j’étais le seul à venir au laboratoire, pour des visioconférences, poursuit Franck Molina. Je suis en effet l’un des douze membres du comité de chercheurs (Care) qui conseille le gouvernement sur les tests, vaccins et thérapeutiques. Le reste de l’équipe était à distance, et s’occupait des commandes de réactifs, des contrats, et de mille autres choses. Puis un chercheur m’a rejoint, puis deux, puis trois, jusqu’à nous retrouver à dix au laboratoire. Nous commandions des repas que nous mangions au labo, car aucun d’entre nous n’avait le temps de faire des courses ! »
Un partenariat recherche-industrie
Mais la clé ultime du succès d’EasyCov, Franck Molina en est convaincu, c’est le partenariat public-privé dont il a bénéficié : « pour développer et industrialiser un test en trois mois à peine, il ne suffit pas d’inventer quelque chose dans un labo, il faut y associer rapidement les volets clinique et industriel. Quand on a les trois ensemble, on va vite et on y arrive ! » Les tests cliniques ont été réalisés entre avril et mai sur 133 patients du CHU de Montpellier, tandis que le partenaire industriel SkillCell débutait les démarches pour lancer la fabrication au plus vite… « Ils nous ont fait confiance, alors que rien n’était encore validé », rappelle le chercheur.
Le choix a été fait d’une fabrication 100 % française : l’appareil de chauffe, qui fonctionne aussi sur batterie, est fabriqué par Tronico à Nantes, tout l’assemblage est opéré en Alsace par l'entreprise Firalis, tandis que l’appli pour smartphone destinée à interpréter le test, qui peut également être lu par colorimétrie, a été développée par une start-up montpelliéraine habituellement spécialisée dans la sportech : Vogo.
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Auteur
Journaliste scientifique, Laure Cailloce est rédactrice en chef adjointe de CNRS Le journal. et de la revue Carnets de science.
Commentaires
Bonjour, je suis très
dominique gavalda le 17 Juin 2020 à 16h27Bravo et merci ... mais
Babou le 9 Août 2020 à 00h48Bonjour,
vinay le 17 Novembre 2020 à 09h24Connectez-vous, rejoignez la communauté
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