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Le métavers au carrefour des illusions

Le métavers au carrefour des illusions

27.01.2022, par
Les visiteurs assistent à un concert virtuel sur le stand métavers d’une société coréenne au salon Consumer Electronics Show 2022 à Las Vegas.
Évolution incontournable... ou simple effet de mode? L'informaticien Michel Beaudouin-Lafon nous livre son analyse sans concession sur le métavers, ce monde virtuel sur lequel misent beaucoup certaines entreprises du numérique.

Le métavers est défini comme l’Internet en 3D, ou l’Internet immersif. Quelles sont d’après vous, ses caractéristiques principales ?
Michel Beaudouin-Lafon1. Le métavers est un environnement virtuel collaboratif. C’est un espace en 3D où l’on est représenté par un avatar et où l’on peut communiquer avec les autres utilisateurs présents. Les environnements collaboratifs remontent au moins aux années 1990. Il y avait par exemple le système Dive, à l’université de Nottingham, où les avatars étaient dans un environnement qui simulait un bureau et où l’on pouvait mener des réunions à distance. Plus récemment, il y a eu Second Life, qui a eu un grand succès, mais on peut mettre aussi dans la même catégorie des jeux qui ont émergé dans les années 2000, comme World of Warcraft. Ces environnements virtuels ont donc été popularisés par les jeux, mais aujourd’hui, on essaie d’en faire des plateformes pour y réaliser d’autres activités.

Expérience immersive dans l’installation « Machine Hallucinations Space: Metaverse » de l’artiste des médias numériques Refik Anadol (Digital Art Fair Asia, octobre 2021).
Expérience immersive dans l’installation « Machine Hallucinations Space: Metaverse » de l’artiste des médias numériques Refik Anadol (Digital Art Fair Asia, octobre 2021).

Sur quelles technologies repose le métavers, et qu’ont-elles d’innovant ou de révolutionnaire ?
M. B.-L. De révolutionnaire, rien. D’innovant, je dirais pas grand-chose puisque le métavers repose sur des technologies éprouvées. On peut y entrer à l’aide d’un écran et d’un clavier, mais l’accès se fait de préférence à l’aide de lunettes de réalité virtuelle, dont les premiers prototypes datent de 1967. Le but est de donner une sensation d’immersion beaucoup plus réaliste. En plus des lunettes, on tient dans ses mains des poignées dotées de capteurs qui permettent à notre avatar de mimer nos gestes. On peut aussi utiliser des dispositifs qui captent nos expressions faciales pour les reproduire sur l’avatar. Le métavers repose en outre sur une infrastructure de calcul distribuée qui permet que ce monde virtuel puisse être vu de manière simultanée par tous les utilisateurs connectés. Ainsi, si je lève la main, tout le monde peut voir en même temps mon avatar lever la main. Ces technologies ont toutefois encore des limites. Les lunettes de réalité virtuelle sont des équipements assez lourds qui n’ont pas une autonomie très longue et dont le champ de vision est assez restreint. On a l’impression d’avoir des œillères. Si l’équipement n’est pas de très bonne qualité, il y a en plus un effet de décalage car le mouvement des images ne suit pas exactement celui de nos gestes, et cela peut produire une sensation de malaise, une sorte de mal de mer appelé « cybersickness ».

Démonstration d’une combinaison qui permet de ressentir des sensations physiques, comme le souffle du vent, au Consumer Electronics Show 2022, à Las Vegas.
Démonstration d’une combinaison qui permet de ressentir des sensations physiques, comme le souffle du vent, au Consumer Electronics Show 2022, à Las Vegas.

Pour ma part, je n’ai jamais cru qu’une technologie comme celle-ci pourrait prendre le dessus et devenir l’unique mode de communication. Ce discours sur le métavers ressemble à ce que l’on disait au sujet de Second Life.

Fin octobre 2021, Mark Zuckerberg, le fondateur de Facebook, a annoncé que sa compagnie s’appelait désormais Méta et a décrit en détail ses projets pour le métavers2. Quel signal cherche-t-il à faire passer et pourquoi ce pari si déterminé sur la réalité virtuelle ?
M. B.-L. Je ne suis pas dans les neurones de Mark Zuckerberg, mais on peut observer que Facebook est l’objet de critiques de plus en plus vives, en particulier en raison de son rôle dans l’élection américaine de 2016. À cela s’ajoute une perte d’influence de Facebook. Beaucoup de jeunes lui préfèrent d’autres plateformes comme Tik Tok. C’est une crainte existentielle et ils doivent trouver autre chose pour créer de l’intérêt. Le troisième point tient sûrement à la personnalité de Mark Zuckerberg, qui se révèle peu à l’aise avec les contacts sociaux. Le fait de vouloir créer un monde dans lequel on peut se cacher derrière un avatar est peut-être une projection de sa propre crainte de ces contacts. Mais c’est là mon opinion personnelle.

Au-delà des promesses de ses promoteurs, à quoi ressemble le métavers aujourd’hui ? Que peut-on y faire ?
M. B.-L. Ce que j’en ai vu était assez déprimant, assez limité. Pour l’instant, ce que Facebook a mis en place s’appelle Horizon Worlds. Il s’agit d’un environnement pour faire des réunions de bureau. On y trouve un univers très simplifié où les gens peuvent se retrouver et échanger entre eux, ainsi que des espaces qui relèvent de la salle de spectacles virtuelle. Les avatars ont l’apparence de… moi j’appelle ça « le monde des Teletubbies » : tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil. Comme le système ne capte pas la partie inférieure du corps, les avatars sont des troncs qui flottent dans l’air, ce qui est assez perturbant. Les fonctionnalités sont très limitées. Au niveau des expressions faciales, ça reste très pauvre. On peut manipuler des objets, mais ça ne va pas très loin.

Dans l’outil de réunion à distance Horizon Workrooms de Méta, les avatars sont réduits à la partie supérieure du corps.
Dans l’outil de réunion à distance Horizon Workrooms de Méta, les avatars sont réduits à la partie supérieure du corps.

Pourtant, d’après les apôtres du métavers, celui-ci constitue l’ultime révolution numérique. D’après eux, on va y passer le plus clair de notre vie. Notre travail, nos loisirs, nos achats, toute notre socialisation aura lieu dans le métavers. Les ambitions affichées par certaines entreprises ne sont-elles pas assurément démesurées ?
M. B.-L. Si. Moi je trouve ça plutôt triste. Bien sûr, il y a une place pour les jeux en ligne et les activités en ligne dans des environnements virtuels ou pas. Mais je pense que, depuis deux ans que l’on vit tous sous cloche, ce que les gens veulent sont des vraies activités et de vraies interactions. Tenez, l’interaction que nous avons là, en face-à-face par visioconférence est beaucoup plus riche et satisfaisante que si nous étions de petits bonshommes dans un espace virtuel. Pour ma part, je n’ai jamais cru qu’une technologie comme celle-ci pourrait prendre le dessus et devenir l’unique mode de communication. Ce discours sur le métavers ressemble à ce que l’on disait au sujet de Second Life. À l’époque, les entreprises avaient installé leurs boutiques et même les partis politiques se devaient d’être sur Second Life... qui est ensuite tombé en désuétude. À mon avis, on verra quelque chose de similaire. On peut prévoir une explosion du métavers, puis le soufflé retombera, comme on l’a vu aussi pour les films en 3D. Il ne disparaîtra pas, mais trouvera sa niche. Pour l’instant, on a surtout des effets d’annonce. Par exemple, la ville de Séoul (Corée du Sud) veut faire un métavers pour les services publics de la ville. L’annonce de Mark Zuckerberg a créé un appel d’air. Mais au-delà de ça, je n’ai pas le sentiment qu’il y ait un fort engouement.

Quels sont les risques liés au développement du métavers ?
M. B.-L. Les hackers peuvent s’introduire partout et s’introduiront dans le métavers comme ils se sont introduits dans les réseaux sociaux et dans le courrier électronique avec le spam. Mais là où les questions de sécurité vont devenir vraiment sérieuses, c’est avec le vol d’identité. Le métavers qu’envisage Facebook, c’est avant tout pour le business. C’est donc de l’argent, des transactions et donc, des arnaques financières.

Une réunion dans Second Life® en 2006, où la discussion portait sur l’éthique dans la recherche sur les mondes virtuels. Aujourd’hui, on peut y vendre tout ce qu’on peut imaginer...
Une réunion dans Second Life® en 2006, où la discussion portait sur l’éthique dans la recherche sur les mondes virtuels. Aujourd’hui, on peut y vendre tout ce qu’on peut imaginer...

S’ajoute le risque de harcèlement ?
M. B.-L. Oui. On le voit déjà dans les jeux en ligne. Mais dans un espace virtuel immersif, l’impact du harcèlement sera plus fort car la sensation de présence est décuplée. Imaginez que vous enfilez vos lunettes de réalité virtuelle et qu’une foule vous fond dessus en vous insultant...  Ce qui est particulièrement problématique, c’est que dans le métavers tout se passe en temps réel. C’est la différence avec Facebook ou Twitter qui sont des médiums asynchrones : avant que le monde puisse lire ma publication, celle-ci passe par des algorithmes de filtrage et des processus de modération algorithmique. Ce décalage laisse le temps de réagir. Ce n’est pas le cas dans le métavers : si je vous insulte dans le métavers, personne n’a le temps de faire quoi que ce soit. On a d’ailleurs déjà des témoignages de harcèlement, sexuel ou autre, dans Horizon Worlds et Facebook a dû créer une fonctionnalité de « bulle » pour se protéger. Un autre problème est que l’on ne saura pas toujours si derrière un avatar il y a une vraie personne ou s’il est piloté par une intelligence artificielle. On peut très bien imaginer dans le métavers de voir une armée d’avatars qui vous fond dessus, mais qui, en réalité, ne sont que des robots programmés pour vous insulter, ou pour diffuser des fake news.

On peut prévoir une explosion du métavers, puis le soufflé retombera, comme on l’a vu aussi pour les films en 3D. Il ne disparaîtra pas, mais trouvera sa niche.

Cela pose la question des effets du métavers sur la santé mentale…
M. B.-L. Tout d’abord il faut dire que la réalité virtuelle peut être utilisée pour traiter des troubles mentaux, comme l’agoraphobie, et que certaines personnes victimes de discrimination apprécient de pouvoir avoir des contacts sociaux dans des environnements où elles ne sont pas réduites à leur apparence. Il y a beaucoup d’expérimentations très intéressantes sur ces sujets. De manière générale les technologies sont souvent neutres et c’est leur usage qui peut devenir négatif. L’effet sur la santé mentale d’une personne qui se sent rejetée dans le métavers pourrait être catastrophique. L’addiction à ces espaces virtuels est aussi un sujet d’inquiétude, qui se pose peut-être plus particulièrement dans des pays comme le Japon ou la Corée du Sud où l’on a déjà observé de nombreux cas d’addiction aux jeux vidéo.

Avec le métavers, plus que jamais, on confie notre vie à ces énormes compagnies du numérique. Comment les États régulent-ils leurs activités ?
M. B.-L. Elles ne sont absolument pas régulées, ni pour les services qu’elles offrent ni pour les recherches qu’elles mènent. Depuis l’émergence des réseaux sociaux pas grand-chose n’a été fait en matière de législation. L’un des problèmes est que la plupart de nos députés ou sénateurs ne savent pas de quoi il retourne. On l’a vu quand Mark Zuckerberg a été interrogé par le congrès américain : les sénateurs posaient des questions qu’on leur avait écrites sur un bout de papier et qu’ils ne comprenaient visiblement pas. Il y a un vrai problème d’éducation sur ce que sont ces technologies et la façon dont ces entreprises fonctionnent.

Des joueurs de Pokémon Go chassent en groupe dans les rues de Berlin, en Allemagne, en août 2016.
Des joueurs de Pokémon Go chassent en groupe dans les rues de Berlin, en Allemagne, en août 2016.

Contrairement aux débuts de l’Internet, qui se caractérisait par un esprit anticonformiste, voire anarchiste, le métavers est commercial dès son origine, et seulement commercial. Peut-on imaginer un métavers libre, en résistance face au contrôle des Gafam ?
M. B.-L. J’aimerais le croire. Je pense qu’il y aura de la résistance, mais est-ce que c’est elle qui prendra le dessus ? Je pense que les États ou l’Europe pourraient se donner comme projet de développer des plateformes virtuelles qui ne soient pas aux mains d’entreprises privées. Cela, sans interdire que celles-ci viennent y mettre en place des services. Ça va paraître un peu désuet, mais on peut imaginer un système comparable au Minitel. Là, l’État mettait à disposition de chacun un terminal gratuit, et facturait le temps de connexion au travers des PTT.

Diverses recherches sont menées pour améliorer les interactions dans un environnement virtuel. Ici, dans le cadre d’une collaboration distante entre les murs d’écrans des plateformes Wild (université Paris-Saclay) et Wilder (Inria), l’image vidéo de chaque participant suit sa position dans l’espace distant.
Diverses recherches sont menées pour améliorer les interactions dans un environnement virtuel. Ici, dans le cadre d’une collaboration distante entre les murs d’écrans des plateformes Wild (université Paris-Saclay) et Wilder (Inria), l’image vidéo de chaque participant suit sa position dans l’espace distant.

En tout cas, il faudrait réfléchir à d’autres modèles de financement. Celui de l’Internet d’aujourd’hui passe par la publicité et la collecte des données personnelles, et cela a étouffé tout le reste.  Mais cela touche à une autre question. Est-ce que, vraiment, le métavers de Mark Zuckerberg est le meilleur modèle ? Moi je pense que c’est un univers assez étriqué car il crée un environnement virtuel modélisé sur l’environnement physique. Pourquoi recréer à l’identique ce qu’on connaît dans le monde physique ? Je pense qu’il serait plus intéressant de s’orienter vers de la réalité augmentée. C’est-à-dire qu’au lieu d’avoir des lunettes opaques pour supprimer la réalité, on aurait des lunettes transparentes qui permettraient d’augmenter la réalité en montrant des informations nouvelles. Un bon exemple est le succès phénoménal du jeu Pokémon Go. Son éditeur, Niantic, travaille d’ailleurs à une sorte de métavers en réalité augmentée3. On doit accepter que le monde physique, finalement, ne fonctionne pas si mal que ça, et qu’il va continuer d’exister. ♦

À lire sur notre site :
Mieux penser les interfaces informatiques, un billet de Michel Beaudouin-Lafon (mai 2016)
Peut-on se noyer dans le virtuel ?

Notes

Commentaires

1 commentaire

Ça pose également un autre problème actuellement c'est le développement de nouvelles pyramides de ponzi avec de la crypto monnaie qui se crée un peu partout en rapport avec le Metaverse, après avoir exploité e filon des ICO ils cherchent à vous vendre des terrains virtuels dans des mauvais second life dont personne ne parlera plus dans 2 ans quand la bulle aura explosé... Et les gens ne se rendent même pas compte qu'ils investissent dans un mauvais jeu vidéo !
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