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Mieux diagnostiquer la schizophrénie
Qu’est-ce que la schizophrénie ? La question fait débat à chaque mise à jour du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux, le célèbre DSM publié par la Société américaine de psychiatrie. Car, si la schizophrénie se caractérise par des épisodes associant délire, hallucination et trouble du comportement, les spécialistes ne s’accordent guère sur les signes cliniques qui permettraient de diagnostiquer avec certitude ce trouble mental qui touche 0,7 % de la population mondiale et près de 600 000 personnes en France1.
Pour en savoir plus, l’équipe du projet Slam (Schizophrénie et langage : analyse et modélisation), soutenue par la Maison des sciences de l’homme Lorraine et le CNRS, s’est intéressée aux incohérences qui apparaissent dans les conversations impliquant des patients schizophrènes. Seulement voilà, repérer et trouver le point commun entre ces différentes incohérences de langage, dans le but d’en faire des indices de diagnostic fiables, est extrêmement fastidieux. Aujourd’hui, la modélisation informatique de la parole proposée par Maxime Amblard, du Laboratoire lorrain de recherche en informatique et ses applications2, facilite cette analyse. Et ce projet a d’ores et déjà permis d’identifier une particularité de langage typique chez les schizophrènes paranoïdes3.
Les discontinuités des schizophrènes
On sait depuis près de dix ans que, dans les discussions avec les schizophrènes paranoïdes, il apparaît des discontinuités décisives. Ce sont des ruptures au cours desquelles la conversation devient apparemment incohérente. Le psycholinguiste Michel Musiol, du laboratoire Analyse et traitement informatique de la langue française4, et le philosophe du langage Manuel Rebuschi, du Laboratoire d’histoire des sciences et de philosophie-Archives Henri-Poincaré5, les ont récemment étudiées en analysant la transcription écrite de conversations entre thérapeutes et patients.
Grâce à l’approche de Maxime Amblard, qui a rejoint leur projet, l’étude a fait un nouveau bond en avant. « Je traduis la sémantique des phrases et le contexte d’une conversation en formules logiques (mathématiques), explique-t-il. Cette modélisation a permis de repérer à quel moment du discours surviennent les fameuses discontinuités, mais aussi d’identifier leur déclencheur. » Résultat : les déclencheurs sont des mots qui se révèlent ambigus selon le contexte, ou bien des mots dont la morphologie elle-même peut prêter à confusion. Les patients schizophrènes peuvent ainsi parler de quelque chose de « flou », au sujet de la mémoire d’un souvenir, puis subitement parler de « flou » au sujet de quelque chose qu’ils voient mal, ce qui aiguille la conversation dans une direction inattendue. Ou alors parler de « la voir » (sous-entendu « voir une personne ») qui va soudainement se transformer en « l’avoir » (sous-entendu « la posséder »).
Modéliser une langue et ses subtilités
Les modélisations de conversations réalisées par Maxime Amblard ne sont encore que des bribes de programme informatique. Cet informaticien, spécialisé en linguistique, utilise un modèle sur lequel il travaillait au départ dans le but d’améliorer la qualité des représentations du sens dans les systèmes de traduction automatique sur Internet. Il fallait donc jeter les bases d’un nouvel outil informatique capable d’interpréter les subtilités et les ambiguïtés de la langue française susceptibles de se glisser dans le discours de tout un chacun. « Par exemple, “La petite brise la glace” 6 peut vouloir dire deux choses complètement différentes : “La petite (= la petite fille) brise (= casse) la glace” ; mais aussi : “La petite brise (= le petit vent) la glace (= frigorifie une personne)” », illustre le chercheur. Son approche, qui tient compte du contexte du discours, s’est révélée très efficace pour repérer les anomalies dans les conversations des personnes schizophrènes.
Des indices linguistiques
Dans le cadre du projet Slam, lauréat d’un Peps (Projets exploratoires/Premier soutien), Maxime Amblard et ses collègues psycholinguiste et philosophe du langage vont poursuivre leurs analyses avec un nouveau groupe de patients. Ils espèrent identifier d’autres dysfonctionnements dans le discours des schizophrènes. « Les discontinuités les plus caractéristiques ont été identifiées chez des patients schizophrènes paranoïdes, mais il pourrait y avoir d’autres phénomènes linguistiques spécifiques à d’autres formes de la maladie, comme le suggèrent d’anciennes recherches7 », commentent-ils. Ces indices caractéristiques et la modélisation informatique pourraient alors venir compléter les outils classiques des psychiatres (tests cognitifs, comportementaux, entretiens, etc.) pour aider à diagnostiquer la schizophrénie.
- 1. Source Orphanet.
- 2. Unité CNRS/Univ. de Lorraine/Inria.
- 3. Forme la plus fréquente de schizophrénie, caractérisée par des épisodes de délire ou d’hallucination.
- 4. Unité CNRS/Univ. de Lorraine.
- 5. Unité CNRS/Univ. de Lorraine.
- 6. Exemple emprunté à Dan Sperber et Deirdre Wilson, Relevance, 1986.
- 7. Chaika E., « A Linguist Looks at Schizophrenic Language », Brain and Language, 1974, 1 : 257-276.
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Auteur
Laurianne Geffroy est journaliste scientifique et auteur depuis 2000. Elle réalise, au sein de Ya+K productions, des reportages pour les sites Internet du Cnes, de l’Inserm et d’Universcience.tv, et collabore régulièrement à des ouvrages scientifiques édités par Le Cherche Midi.
À lire / À voir
« Schizophrénie, logicité et perspective en première personne », Rebuschi M., Amblard M. et Musiol M., L’Évolution psychiatrique, janvier-mars 2013, 78 (1) : 127-141
Commentaires
Très interessant! Mais est-il
mikado le 4 Mars 2014 à 11h58c'est vrai que les mots
milymalena le 13 Juin 2015 à 09h02Connectez-vous, rejoignez la communauté
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