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Nous sommes au laboratoire Architecture et fonction des macromolécules biologiques à Marseille. Ici, on connaît bien les coronavirus. Les chercheurs Bruno Canard, Étienne Decroly et leurs équipes les étudient depuis 2003 et l’apparition du SARS.
Alors que l’épidémie de covid-19 continue à se propager à travers le monde, ils travaillent plus que jamais à l’élaboration de nouveaux médicaments contre le virus. Un processus long, qui nécessite avant tout de bien comprendre son fonctionnement.
Bruno Canard
On a un virus, il a une espèce de carrosserie qui est visible, reconnue et ensuite à l’intérieur du virus il y a un moteur qui permet au virus de se répliquer et de fabriquer des composants, d’échapper au système de la cellule etc etc… Et bien c’est ce qu’on fait : on ouvre le virus, on regarde à l’intérieur quelle est la machinerie qu’il a et comment elle lui permet de se répliquer, de se défendre aussi par rapport aux agressions.
On peut très bien comprendre, on reprend l’analogie avec la voiture. Une fois qu’on a compris qu’il y a l’essence qui arrive dans le moteur, le carburateur… Hop ! On met un peu de sucre ou de sable dans le réservoir et la voiture ne va plus marcher. Et là c’est exactement pareil. Nous on essaie de trouver une structure moléculaire de manière à ce que quand on a cette structure on voit qu’il y a un endroit où on peut caser une molécule qui va s’insérer et qui va arrêter le fonctionnement de la machine moléculaire. Donc c’est exactement comme ça qu’un médicament fonctionne.
Une fois la structure du virus connue, l’objectif des chercheurs est évidemment de tenter d’enrayer sa machine de réplication qui repose sur l’un de ses rouages : la polymérase. Cette enzyme présente dans de nombreux virus produit de nouveaux génomes et permet au coronavirus de se reproduire à une vitesse dix fois supérieure à celle de l’hépatite C ou du VIH par exemple.
Bruno Canard
Les machineries réplicatives de ces virus se ressemblent. Ce qu’on apprend sur un est finalement transposable à d’autres qui sont moins connus. Et donc c’est comme ça qu’on a commencé à travailler de manière assez large sur la même enzyme qui est présente chez plusieurs virus.
Depuis le début de l’épidémie, la piste d’un vaccin concentre les espoirs et l’essentiel des financements consacrés à la recherche. Mais ici on travaille à la mise au point d’un médicament qui ciblerait le mécanisme de réplication commun à de nombreux virus et présenterait donc l’avantage d’être efficace à plus long terme.
Bruno Canard
Est-ce qu’un vaccin qui est fait aujourd’hui contre le SARS n°2 va fonctionner dans un an, dans deux ans… ou s’il y a un autre SARS… n°3 qui arrive. Quelle est la probabilité que le vaccin fonctionne ? Quel est son taux de protection ? Tout ça c’est des inconnus. Si on a un médicament qui est actif contre le SARS n°1 il sera actif contre le SARS n°2, contre le SARS n°3 parce que cette machinerie est extrêmement conservée. Il n’y aura pas de variation.
Pour pouvoir évaluer efficacement l’effet de diverses molécules sur le virus, une étape importante consiste à isoler la fameuse enzyme polymérase ciblée par les chercheurs. Pour cela, il faut passer par une phase de purification en laboratoire.
Pierre Gauffre
Après la première étape de purification on va avoir toutes ces protéines qui vont être à l’intérieur de notre tube. Et on va faire une deuxième étape de purification pour vraiment garder uniquement cette protéine-là qui est la protéine du coronavirus qui nous intéresse, l’enzyme du coronavirus. Ce qui va nous permettre ensuite de faire des tests enzymatiques pour tester différentes molécules qui pourraient agir contre le coronavirus.
Véronique Fattorini
Donc une fois qu’on a la protéine purifiée du coronavirus, on va venir tester des molécules chimiques qui ont un effet inhibiteur potentiellement. Et si cet effet inhibiteur est observé cela veut dire que le virus ne sera plus capable de se multiplier une fois qu’il infecte une cellule, en prenant ce médicament. Et donc on peut limiter la multiplication du virus et soigner les personnes atteintes.
Ces derniers mois, les scientifiques ont déjà testé des milliers de molécules, dont certaines sont déjà utilisées pour traiter d’autres maladies. Mais ici, on cherche surtout à identifier une molécule qui soit spécifiquement efficace contre ce coronavirus. Mais il faut aussi s’assurer que celle-ci n’aura pas d’effets secondaires indésirables pour les patients.
La recherche fondamentale est donc un processus long, qui contraste avec l’urgence de la crise.
Etienne Decroly
Ce qu’il faut savoir c’est que les processus de développement de médicaments sont des processus longs parce qu’évidemment il faut s’assurer non seulement que le médicament soit efficace in vitro, qu’il soit efficace en cellule, qu’il soit efficace en modèle animal, qu’il soit efficace chez l’humain, qu’il n’y ait pas de toxicité. Montrer que chacune des étapes marchent correctement va prendre du temps.
Maintenant on a environ une cinquantaine de molécules qui sont capables de lutter contre des maladies virales qui ont l’autorisation de mise sur le marché. Parmi ceux-là, deux tiers ciblent le HIV et en fait on a un arsenal thérapeutique qui est extrêmement réduit, particulièrement face à des virus qui sont responsables d’infections aigues. Ce qui est le cas du coronavirus.
Bruno Canard
Là où on est en manque, c’est en manque de production de nouvelles molécules actives par cette action de la recherche fondamentale. C’est une recherche au long cours, on n’en voit pas forcément les effets tout de suite, mais si on la néglige il n’y a pas de molécules qui vont pouvoir rentrer en essai clinique.
Il faudra donc certainement s’armer de patience avant que soit mis au point un remède sûr et efficace contre le coronavirus. Mais cette longue bataille, qui se joue à l’échelle moléculaire dans les laboratoires de recherche à Marseille et partout dans le monde, est notre meilleur espoir pour vaincre les virus émergents d’aujourd’hui et de demain.
Covid-19 : comprendre les rouages du virus
Comment le virus SARS-CoV-2 infecte-t-il nos cellules ? Peut-on stopper sa machinerie complexe de réplication ? Une équipe du laboratoire Architecture et fonction des macromolécules biologiques, à Marseille, se concentre sur ces travaux de recherche fondamentale de longue haleine, indispensables pour comprendre la maladie avant de pouvoir l’enrayer.
Étienne Decroly
Véronique Fattorini
Pierre Gauffre
Laboratoire Architecture et Fonction des Macromolécules Biologiques (AFMB)
CNRS / Aix Marseille Université
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