Vous êtes ici
La virologie, entre sprint et course de fond
Parfois qualifiés d’objets biologiques, les virus se situent à la frontière du vivant. Ils ont cependant un impact extrêmement fort sur les organismes, végétaux comme animaux. Ce qui les différencie des autres créatures microscopiques, comme les bactéries, les protozoaires ou les champignons ? « Les virus sont des parasites absolus, ils n’ont pas d’autre choix que de rentrer dans une cellule pour se répliquer, explique Yves Gaudin, directeur de recherche CNRS et responsable d’équipe au sein du département de virologie de l’Institut de biologie intégrative de la cellule1. Ils dépendent strictement du métabolisme de cet hôte. » Incapables de synthétiser leurs propres protéines, les virus doivent en effet détourner à leur profit la machinerie interne des cellules. La virologie étudie ces parasites capables de muter et de franchir les barrières entre espèces, des travaux ciblant les virus les plus dangereux à un instant T, mais qui ont également la lourde tâche d’essayer d’anticiper les épidémies futures. Mais comment procèdent les scientifiques pour relever ces défis de taille ?
De la molécule à l'organisme
Les virus sont scrutés à différentes échelles : moléculaire, cellulaire, dans l’organisme et, dans le cas d’épidémie, dans l’écosystème ou la société tout entière. Au niveau moléculaire, les chercheurs déterminent la structure du virus et de ses protéines. Les protéines virales constituent en effet des cibles thérapeutiques à bloquer pour empêcher le pathogène de pénétrer dans les cellules ou de s’y répliquer. Ces travaux utilisent des équipements de biologie structurale comme la résonance magnétique nucléaire (RMN) ou la cryomicroscopie électronique (cryo-ME), une technique dont les récents progrès ont grandement facilité les études des virologues et des microbiologistes.
Au niveau cellulaire, les scientifiques se concentrent sur les interactions entre un hôte et le parasite qui tente de détourner sa machinerie interne. « Les cellules disposent par ailleurs de leur propre système immunitaire, qui leur permet de savoir qu’elles sont en train d’être infectées, détaille Yves Gaudin. Elles produisent alors des protéines antivirales : les interférons et les facteurs de restriction. C’est un axe de recherche très important dans la crise actuelle. » En effet, les virus dont le génome est constitué d’ARN, comme le VIH, celui de la rage, de la grippe et le SARS-CoV-2, responsable de l’épidémie en cours, peuvent bloquer ces réponses cellulaires.
Comprendre la propagation des virus
Dans l’organisme, virus et cellules infectées ne sont pas isolés. L’approche physiopathologique prend en compte la présence de macrophages et de lymphocytes, ainsi que de tout l’organisme touché. Un environnement a priori nuisible pour le virus, mais qui peut également se retourner contre le malade. « SARS-CoV-2 dérégule fortement le système immunitaire, souligne Yves Gaudin. Il peut provoquer ce qu’on appelle une tempête de cytokines. » Protéines chargées de marquer les cibles pour le système immunitaire, les cytokines sont alors relâchées en de telles quantités qu’elles entraînent une inflammation généralisée, fatale en l’absence de traitement. Un phénomène qui se retrouve chez d’autres virus à ARN, comme celui de la dengue, et soupçonné d’être en partie responsable de l’énorme mortalité de la grippe espagnole.
Enfin, l’épidémiologie examine et modélise la propagation des virus à l’échelle des populations. Cela part du moment où ils franchissent les barrières entre les espèces, jusqu’à l’établissement de mesures politiques pour freiner et guérir la maladie. À cette échelle, les sciences humaines peuvent être appelées en renfort.
La virologie ne s’intéresse cependant pas qu’aux agents pathogènes. La plupart des virus nous sont inoffensifs et n’en sont pas moins importants à étudier. « On considère les virus comme les méchants, mais ils ont toujours coexisté avec les cellules et participé à l’évolution de la vie sur Terre, rétablit Chantal Abergel, directrice de recherche CNRS et directrice du laboratoire Information génomique et structurale2. Sans eux, pas de mammifères ! C’est en effet une protéine d’origine virale qui a permis à nos ancêtres de développer le placenta, et donc de ne plus avoir à pondre d’œufs. »
Des virus géants dans le permafrost
La recherche sur les virus réserve bien des surprises. Chantal Abergel a participé à la découverte, avec son collègue Jean-Michel Claverie, d’un des tout premiers virus géants connus. Celui-ci était resté congelé pendant 30 000 ans dans le permafrost sibérien. Les virus géants avaient échappé aux scientifiques à cause d’une filtration systématique des échantillons qui ne les laissaient pas passer. Ainsi, alors que le virus influenza, causant la grippe, possède une dizaine de gènes, on en compte jusqu’à 2 500 chez les pandoravirus. Ces derniers peuvent en plus créer leurs propres gènes, indépendamment de l’évolution. « Les virus pourraient représenter une voie métabolique abandonnée, s’enthousiasme Chantal Abergel. Comme s’ils avaient perdu la compétition face au monde cellulaire et que le parasitisme était devenu leur seule solution. »
Intérêt supplémentaire de la recherche, la capacité des virus à cibler très précisément certaines cellules peut être détournée pour les thérapies géniques. Yves Gaudin utilise ainsi le rhabdovirus3 de la stomatite vésiculaire (VSV) pour attaquer des cellules cancéreuses. D’autres virus, dits bactériophages, ne visent que des bactéries, ils ne sont pas dangereux pour les humains et pourraient ainsi servir à éliminer les bactéries devenues résistantes aux antibiotiques. Certaines enzymes virales, comme la reverse transcriptase, sont devenues des outils classiques de la biologie moléculaire. Enfin, les chercheurs utilisent les virus pour explorer les fonctions cellulaires, ils observent les interactions qu’ils développent au sein des cellules infectées afin de mieux comprendre certaines machineries et voies de signalisation de l’hôte.
Cerner la variation génétique
Directeur de recherche au CNRS et directeur adjoint du laboratoire Architecture et fonction des macromolécules biologiques4, Bruno Canard est spécialiste des virus à génome ARN, une famille qui provoque Ebola, le chikungunya ou la dengue, mais qui inclut aussi les coronavirus. Ces agents infectieux présentent en général un génome réduit et, comme l’ARN est moins stable que l’ADN, ils mutent et évoluent plus rapidement. Certaines de ces erreurs dans la copie génétique pourraient nuire au fonctionnement du virus, mais SARS-CoV-2 possède une enzyme, l’exonucléase, qui répare les défauts les plus importants. « Contrairement aux protéines présentes sur l’enveloppe des virus, sans cesse en lutte contre le système immunitaire, l’appareil de synthèse de l’ARN du virus varie peu, avance Bruno Canard. Il est en effet davantage soumis aux lois de la thermodynamique et de la cinétique, ses marges de manœuvre réduites en font une cible idéale. » Enrayer cet appareil par des médicaments constitue d’ailleurs la stratégie employée avec succès dans des traitements antiviraux contre le VIH, l’hépatite C ou l’herpès.
La variation génétique virale est un problème auquel Roland Marquet, directeur de recherche CNRS au laboratoire Architecture et réactivité de l’ARN, est confronté. Il étudie le VIH et le virus influenza, qui a la particularité d’être segmenté en huit parts, assimilables à des chromosomes viraux. Or si deux virus influenza différents infectent une même cellule, ils peuvent réassortir leur matériel génétique et répliquer un virus hybride. Un phénomène qui leur permet d’évoluer extrêmement rapidement et de générer des viraux au pouvoir pandémique élevé.
Comprendre les mécanismes de réassortiment génétique est ainsi un enjeu important. « La recherche en virologie doit rester la plus large possible, insiste Roland Marquet. On ne peut pas prédire quels virus vont passer des animaux à l’homme. Si on regarde les pandémies des XXe et XXIe siècles, elles ont toutes été causées par des virus de la grippe ou, comme le Sida, par un rétrovirus. Si on se cantonne à ceux qu’on pense les plus importants, on se retrouve démunis lorsque c’est un coronavirus qui frappe. » « Nous devons absolument comprendre la physiologie de tous les virus, abonde Chantal Abergel. SARS-CoV-2 n’est ni le plus infectieux ni le plus mortel, je ne sais pas comment nous pourrons réagir si un nouveau virus bien plus dangereux apparaît. »
Face à l’épidémie en cours, l’Agence nationale de la recherche a lancé une procédure pour soutenir 86 projets contre SARS-CoV-2. Depuis le laboratoire Microbiologie moléculaire et biochimie structurale5, Lauriane Lecoq coordonne l’un d’eux où elle observe, par résonance magnétique nucléaire, les interactions entre différentes molécules et la protéine ORF8 du virus. Des informations cruciales pour mieux orienter la recherche de médicaments. Lauriane Lecoq procède déjà ainsi pour les virus de l’hépatite B, hépatite D et de la dengue, dont elle étudie tout particulièrement les protéines de capside. Ces protéines s’assemblent pour former une couche protectrice, parfois sphérique, autour de l’ADN ou de l’ARN du virus. Lors de la contamination d’une cellule, la capside et son enveloppe y pénètrent et la capside relâche les éléments infectieux dans le noyau. Cette protéine est donc une cible pharmaceutique majeure.
Malgré toutes ces pistes d’intérêt et l’importance de pouvoir combattre les épidémies, de nombreux virologues estiment que leur discipline n’a pas été suffisamment soutenue au cours des dernières décennies. « Nous manquons d’agences spécifiques pour les virus émergents, regrette Bruno Canard. Des travaux abondants sont faits sur leur séquençage, mais nous avons besoin de connaître leurs mécanismes d’entrée dans les cellules, de réplication et leurs interactions avec le système immunitaire. Trop peu d’équipes se consacrent à ces sujets. La cryoélectromicroscopie a permis une véritable révolution en biologie structurale, mais nous en sommes encore trop peu équipés en France. » « La recherche fondamentale en virologie doit être soutenue, insiste aussi Lauriane Lecoq. On ne peut pas décider d’où va l’argent seulement en fonction de l’actualité, il faut une vision sur dix à vingt ans. Même des virus qui ont déjà un vaccin ou un traitement efficace, comme les hépatites B et C, peuvent muter. » Tout cela contribue au paradoxe d’une discipline riche et cruciale, mais vers laquelle on ne se tourne souvent que dans l’urgence.♦
À lire sur le site du journal
« La science fondamentale est notre meilleure assurance contre les épidémies », entretien avec Bruno Canard.
À écouter sur le site du journal
Comment le SARS-CoV-2 perturbe-t-il notre système immunitaire ? (podcast)
Quel est le rôle des protéines dans l'infection au Covid-19 ? (podcast)
Mots-clés
Partager cet article
Auteur
Diplômé de l’École supérieure de journalisme de Lille, Martin Koppe a notamment travaillé pour les Dossiers d’archéologie, Science et Vie Junior et La Recherche, ainsi que pour le site Maxisciences.com. Il est également diplômé en histoire de l’art, en archéométrie et en épistémologie.
Commentaires
Connectez-vous, rejoignez la communauté
du journal CNRS