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Dictionnaire des francophones : le français par tous

Dictionnaire des francophones : le français par tous

30.04.2021, par
Lancé au mois de mars, le « Dictionnaire des francophones » est un dictionnaire numérique collaboratif ouvert, dont l’objectif est de mettre en valeur la richesse, la diversité et l’évolution constante de la langue française à travers le monde.

Vous connaissiez déjà certainement « pourriel » (courrier électronique indésirable, envoyé massivement aux internautes), mais peut-être moins « clavardage », une conversation entre internautes par clavier interposé chez nos voisins québécois ; « l’autogoal », un but contre son camp ou, plus métaphoriquement, une situation qui se retourne contre soi en Suisse romande ; ou encore « girafer », une formule africaine imagée qui signifie tendre le cou pour mieux copier sur son voisin. Voici quelques-unes des nombreuses entrées que l’on peut découvrir dans le Dictionnaire des francophones (DDF)1.

La francophonie ne rassemble pas moins de 300 millions de locuteurs à travers le monde ; le français est la deuxième langue la plus apprise dans le monde et la cinquième langue la plus parlée après le mandarin, l’anglais, l’espagnol et l’arabe.

Dictionnaire exclusivement numérique, résolument collaboratif, ce projet de grande ampleur2 – hébergé par la Très grande infrastructure de recherche du CNRS Huma-Num – rassemble de nombreux acteurs, de la recherche comme institutionnels, présents sur les cinq continents. Cette plateforme rassemble à ce jour près de 620 000 définitions de mots et d’expressions provenant de tout l’espace francophone. Collaborative, elle permet à chacun d’en ajouter afin d’enrichir l’outil. Tout le monde peut s’inscrire sur le site ou l’application dédiés pour préciser les entrées déjà existantes (mots, définitions et expressions), réagir dans des espaces de discussions – en cours de développement – ou encore faire des signalements en cas de propos inconvenants, insultants ou haineux.

La francophonie, un espace linguistique sans centre ni périphéries

L’idée du Dictionnaire des francophones est née d’un discours du président Emmanuel Macron (« Une ambition pour la langue française et le plurilinguisme »), le 20 mars 2018, sur la place et le rôle du français dans le monde, défendant l’idée d’une francophonie plurielle. La mise en chantier de ce dictionnaire d’un nouveau genre fut annoncée en octobre de la même année lors du 17e Sommet de la Francophonie à Erevan (Arménie).
 
Ni Wikitionnaire ni dictionnaire classique, le Dictionnaire des francophones a pour ambition de refléter la richesse et la diversité de la langue dans toute la communauté francophone. « Reconnaître cette diversité des normes est un changement de paradigme fort par rapport aux politiques linguistiques précédentes », souligne Noé Gasparini, chef de projet du DDF à l’Institut international pour la francophonie et qui en a géré la partie opérationnelle. « L’idée, à l’origine, était de travailler sur un objet commun comme un dictionnaire, ce qui historiquement fait sens par rapport à l’Académie française qui a commencé par un dictionnaire3, mais s’en distingue complètement sur le fond » tient-il à préciser. Autrement dit, il ne s’agit plus de fixer la langue et/ou de définir un « bien-parler » mais de montrer les différents usages de la langue dans tout l’espace francophone.

Un enfant tient un manuel scolaire français en arrivant à l'école primaire du village de Kokotikouamekro près de Taabo, dans le sud de la Côte d'Ivoire, le 25 février 2020.
Un enfant tient un manuel scolaire français en arrivant à l'école primaire du village de Kokotikouamekro près de Taabo, dans le sud de la Côte d'Ivoire, le 25 février 2020.

Et pour cause : la francophonie ne rassemble pas moins de 300 millions de locuteurs à travers le monde ; le français est ainsi la deuxième langue la plus apprise dans le monde et la cinquième langue la plus parlée après le mandarin, l’anglais, l’espagnol et l’arabe. L’idée du DDF répond également à un besoin bien identifié et jusqu’ici sous-estimé : enseigner la langue française dans les pays francophones non pas à partir d’une norme parisienne mais en suivant les usages nationaux et locaux. Car dans les faits, le centre de gravité de la francophonie s’est déplacé sur le continent africain, notamment pour des raisons démographiques.

L'idée du DDF est d'enseigner la langue française dans les pays francophones non pas à partir d’une norme parisienne mais en suivant les usages nationaux et locaux.

Et pourtant, dans les pays africains francophones, l’enseignement du français repose encore largement sur le français de France plutôt que sur les pratiques locales. Il s’agit donc, à travers cette plateforme, de comprendre comment la langue française se pratique et comment les locuteurs se l’approprient mais aussi de légitimer des usages pour permettre, in fine, un enseignement et une transmission qui collent au plus près des usages des francophones. 

« Nous souhaitions construire un dictionnaire qui ne soit pas franco-français. Le français a une vie propre et n’appartient ni à Paris ni à l’Académie française mais à l’ensemble des francophones. Le Dictionnaire des francophones vient ainsi combler un manque et permet de créer d’autres sources de légitimité », explique Yan Greub, directeur adjoint du laboratoire Analyse et traitement informatique de la langue française (Atilf)4, responsable de l’équipe de recherche Linguistique historique française et romane qui a accompagné une partie du projet.

Un observatoire de la langue française et de ses usages 

Et c’est un succès : près d’un mois après son lancement, le site affiche plusieurs dizaines de milliers de visites et plus d’un millier de personnes s’y sont déjà inscrites. Près de 480 000 mots et locutions et 620 000 définitions constituaient déjà le fonds du dictionnaire numérique. Le DDF a en fait intégré plusieurs ressources, dont certaines étaient encore très peu connues : l’Inventaire des particularités lexicales du français en Afrique noire5, le Wiktionnaire francophone6, le Dictionnaire des synonymes, des mots et expression du français parlés dans le monde7, Le Grand Dictionnaire terminologique8, l’ouvrage Belgicismes – Inventaire des particularités lexicales du français en Belgique9, le Dictionnaire des régionalismes de France10 et la Base de données lexicographiques panfrancophone11. D’autres, comme FranceTerme12, sont encore en cours d'intégration. Car au-delà de son usage grand public, le Dictionnaire des francophones est également l’occasion de valoriser des travaux de recherche en linguistique. Résultat : « pour un seul mot, de nombreuses informations sont indiquées : l'aire géographique où il est en usage, une définition précise, la sémantique, des commentaires ou des synonymes utilisés dans les autres régions… », détaille Yan Greub. De quoi se perdre dans toute la diversité d’une langue-monde.
 

Ici, une capture d'écran de l'interface qui présente les différents résultats de la recherche pour le mot francophonie.
Ici, une capture d'écran de l'interface qui présente les différents résultats de la recherche pour le mot francophonie.

Mais le DDF est plus qu’une simple plateforme numérique, c'est aussi un objet technologique innovant dont les données sont hébergées par Huma-Num, ce qui permet leur stockage en France. Les données y sont décrites et organisées les unes par rapport aux autres. Mnémotix - une jeune pousse issue du laboratoire mixte INRIA-CNRS Wimmics- a participé à la conception de son architecture et de son modèle de données. La langue française sera la première à disposer d’une modélisation des connaissances sous cette arborescence-là. L’outil fournira également aux chercheurs de nombreuses données pour la recherche en linguistique, notamment au travers des espaces d’échanges et de discussions (sur les usages, les connotations, les expressions, sur la forme du mot et la manière dont il s’écrit ou se prononce, ou sur le rapport à la norme) intégrés sur la plateforme. « Ce dictionnaire est avant tout une base de connaissance ouverte à laquelle pourront se brancher d'autres applications. Il y a, derrière ce projet, une véritable ambition de recherche et ce, malgré la concurrence avec des objets commerciaux », s’enthousiasme Noé Gasparini.

Un projet amené à évoluer

En linguistique comme ailleurs, certaines tournures peuvent rapidement prendre des enjeux politiques. Comme tout site participatif, un processus de modération a été mis en place, suivant les signalements, les demandes de suppression ou le « vandalisme » qui pourraient être faits. À l’image de Wikipedia, certains contributeurs seront progressivement « reconnus » et identifiés comme fiables. « Le comité de relecture priorisera donc son analyse sur les nouveaux arrivés. À terme, ces vérifications pourraient être plus localisées, par exemple, les contributeurs sénégalais pourraient relire spécifiquement les apports concernant le français du Sénégal », précise Noé Gasparini.
 

Dans le DDF, les données sont décrites et organisées les unes par rapport aux autres. Ici, une visualisation par ressources : nombre d’entrées avec une indication de région d’usage par ressource intégrée.
Dans le DDF, les données sont décrites et organisées les unes par rapport aux autres. Ici, une visualisation par ressources : nombre d’entrées avec une indication de région d’usage par ressource intégrée.

Par ailleurs, un espace audio sera ajouté dans les prochains mois pour valoriser les accents régionaux. Une application ludique et pédagogique, produite par le Centre d’approches vivantes des langues et des médias (Cavilam), rattaché à l’Alliance française, est déjà venue enrichir le DDF autour de questions destinées à l’apprentissage des usages francophones. La Délégation générale à la langue française et aux langues de France s’est lancée, de son côté, vers le développement de jeux sérieux et d’autres applications pédagogiques autour du dictionnaire. Il y a deux ans, déjà, elle avait lancé Romanica, un serious game autour de huit langues romanes : l'occitan, le catalan, le corse, le roumain, l’italien, le castillan, le portugais et le français. Le Dictionnaire des francophones entend ainsi constituer tout un écosystème autour de la langue française. En attendant une éventuelle Académie de la Francophonie… ♦

Pour en savoir plus
Le site du Dictionnaire des francophones

 
 

Notes
  • 1. Le conseil scientifique du « Dictionnaire des francophones » est présidé par Bernard Cerquiglini, linguiste, également conseiller scientifique du « Petit Larousse ».
  • 2. Ce projet s’inscrit dans un partenariat entre le ministère de la Culture, le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, l’Institut français, l’Organisation internationale de la Francophonie et l’Agence universitaire de la Francophonie.
  • 3. La première édition du « Dictionnaire de l’Académie française » fut publiée en 1694 – l’Académie française fut, elle, fondée en 1635 par le cardinal de Richelieu. Déjà, à l’époque, ce dictionnaire vient exclure un certain nombre de mots d’usage, jugés trop archaïques ou familiers.
  • 4. Unité CNRS/Université de Lorraine.
  • 5. Il rassemble onze pays d’Afrique francophone : Côte d’Ivoire, Togo, Bénin, République démocratique du Congo (Zaïre dans la publication originale), Tchad, Sénégal, Niger, Rwanda, Centrafrique, Cameroun et Burkina Faso.
  • 6. Le Wiktionnaire est un « projet lexicographique collaboratif accessible par Internet, hébergé par la Wikimedia Foundation, sous licence libre, visant à décrire dans toutes les langues tous les mots ». Pour la partie francophone, il a débuté en mars 2004 et décrit plus de 420 000 mots de français.
  • 7. Cette ressource est produite depuis 2013 par l’Académie des sciences d’Outre-mer et par l’Institut international pour la Francophonie de l’université Jean-Moulin Lyon 3.
  • 8. Il s’agit, pour le DDF, d’une sélection de ses entrées les plus intéressantes pour la Francophonie, grâce à un partenariat inédit : plus de 4 000 entrées ont été intégrées au « Dictionnaire des francophones ».
  • 9. Ce dictionnaire dresse l’inventaire des particularités lexicales du français en Belgique – dont certaines ne sont pas inconnues en France – avec leurs définitions, la localisation et, souvent, leur prononciation ainsi que des exemples d’emploi.
  • 10. Cet ouvrage d’ensemble, rédigé sous la direction de Pierre Rézeau, réunit des chercheurs et des universitaires spécialistes de lexicographie, de géographie linguistique et d’histoire de la langue. Il a été intégré au « Dictionnaire des francophones » grâce au laboratoire Atilf.
  • 11. Cette œuvre collective réunit des études par une vingtaine de groupes de recherche concernant les régions ou pays suivants : Acadie, Algérie, Antilles, Belgique, Burundi, Cameroun, Centrafrique, Congo-Brazzaville, Côte d’Ivoire, France, Louisiane, Madagascar, Maroc, Maurice, Nouvelle-Calédonie, Québec, La Réunion, Rwanda, Suisse et Tchad. Elle décrit plus de 23 000 sens.
  • 12. Base de données terminologiques créée et gérée par la Délégation générale de la langue française et aux langues de France du ministère de la Culture.