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Un satellite à l’affût des sursauts de l’Univers

Un satellite à l’affût des sursauts de l’Univers

21.06.2024, par
Illustration de la mission franco-chinoise SVOM, consacrée à l'étude des sursauts gamma.
Le 22 juin, une fusée chinoise Longue Marche 2C s’élancera pour mettre en orbite le satellite SVOM, qui embarque deux instruments de conception française. Objectifs de la mission : observer le mécanisme des sursauts gamma et sonder indirectement le milieu intergalactique.

La théorie la plus communément admise quant à l’origine des sursauts gamma est qu’ils seraient le fruit de l’effondrement d’étoiles de 20 à 30 fois la masse du Soleil. En s’effondrant, ces astres forment un trou noir et émettent un immense jet de matière. Pour les observateurs lointains, ce phénomène est perçu sous la forme d’un flash de rayons gamma relativement bref, allant de la seconde à la minute, que les astronomes appellent sursauts gamma. Ces derniers peuvent également survenir lorsque deux étoiles à neutrons – ou une étoile à neutrons et un trou noir – gravitent l'une autour de l'autre, avant de se rapprocher et de fusionner. Dans ce cas, on assiste à un sursaut gamma dit « court », car d’une durée inférieure à deux secondes. Scruté depuis l’espace grâce au satellite Swift de la Nasa, entré en service en 2004, les sursauts gamma vont sans doute voir certains de leurs mystères levés après la mise en service d’un nouveau venu, le satellite SVOM, pour Space-based multi-band astronomical Variable Objects Monitor.

Une stratégie sol-espace bien rodée

Dès 2005, la France et la Chine ont décidé de lancer une collaboration scientifique dans le but de mettre au point un satellite capable de prendre le relai de Swift. Ainsi naquit la mission SVOM, démarrée officiellement en 2014. Son objectif : observer l’évolution du phénomène de l’effondrement des étoiles, et pas uniquement du sursaut gamma. « Si les sursauts gamma ne sont visibles que de quelques secondes à quelques minutes, nous pouvons en revanche observer l'apparition du nouveau trou noir pendant quelques heures à quelques jours, grâce à des couvertures du ciel sur plusieurs longueurs d'onde (rayons X, visible, radio) et sur des échelles de temps variables », explique Jean-Luc Atteia, astronome à l’Institut de recherche en astrophysique et planétologie1. Et c'est là qu'intervient SVOM. « Swift a pu évaluer la distance de 20 à 30 % des sursauts gamma qu'il a détectés. Avec SVOM, nous voudrions faire passer cette fraction à 50-60 % », annonce Susanna Vergani, du laboratoire Galaxies, étoiles, physique, instrumentation2, et cela notamment grâce à une stratégie sol-espace.

Assemblage de l’instrument ECLAIRs du satellite SVOM au Centre spatial de Toulouse, en 2021. Développé par des laboratoires français, ECLAIRs est capable de détecter des sursauts dans la bande des rayons X et des rayons gamma de basse énergie et de fournir leur position dans le ciel.
Assemblage de l’instrument ECLAIRs du satellite SVOM au Centre spatial de Toulouse, en 2021. Développé par des laboratoires français, ECLAIRs est capable de détecter des sursauts dans la bande des rayons X et des rayons gamma de basse énergie et de fournir leur position dans le ciel.

La mission SVOM compte quatre instruments à bord et trois au sol (lire plus bas), chargés d'étudier différentes fréquences du spectre électromagnétique. « Certains photons sont détectables dans le domaine du visible. Mais pour détecter les fréquences plus élevées, il nous faut des appareils permettant de détecter l'ultraviolet, le X et le gamma. Et pour suivre les fréquences plus basses, nous devons nous intéresser à l'infrarouge, aux ondes millimétriques et aux ondes radio », détaille Susanna Vergani.

Deux des instruments embarqués, ECLAIRs et GRM, ont pour mission de détecter ces flashs, ou émissions promptes, qui surviennent de manière aléatoire. Le télescope français ECLAIRs est capable de détecter des sursauts dans la bande des rayons X et des rayons gamma de basse énergie et de fournir, le plus rapidement possible, leur position dans le ciel. « Il s'agit d'un détecteur composé de petits pixels devant lequel est placé un masque. Quand un sursaut gamma survient, il illumine le détecteur à travers le masque, ce qui permet de mesurer la position de la source », décrit Jean-Luc Atteia. Ainsi, dès que les instruments à bord de SVOM détectent un sursaut, l’information est immédiatement envoyée au sol via des antennes VHF. « Ces dernières transfèrent des données qui permettent d'identifier l'émission rémanente3, de la localiser et de partager l'information à la communauté. C'est aussi à ce moment que sont déclenchés les télescopes au sol », ajoute Susanna Vergani.

Colibri, un télescope franco-mexicain doté de trois caméras

En parallèle d'Eclairs, l'instrument chinois GRM a lui aussi pour but de détecter les émissions promptes. Moins précis en termes de localisation, l'appareil peut toutefois détecter un plus grand nombre de sursauts. Son rôle est de mesurer la variation de leur luminosité en fonction du temps et de couvrir des fréquences autres que celles détectées par ECLAIRs. Ensemble, ces deux instruments permettent une couverture totale des photons, de haute comme de basse énergie.

Mise en place d’une caméra sur le télescope Colibri ("Catching Optical Light and Infrared Bright transients") à l’Observatoire de Haute-Provence (OHP), afin d'effectuer les tests préparatoires avant de rejoindre le Mexique.
Mise en place d’une caméra sur le télescope Colibri ("Catching Optical Light and Infrared Bright transients") à l’Observatoire de Haute-Provence (OHP), afin d'effectuer les tests préparatoires avant de rejoindre le Mexique.

Une fois le sursaut détecté, les télescopes MXT et VT, eux aussi embarqués, passent à l'action. Leur mission consiste à observer les émissions rémanentes pendant quelques heures. Le télescope MXT, élaboré en coopération européenne, procède à l'observation des sursauts uniquement dans le domaine des rayons X. Le VT, quant à lui, utilisera les données acquises par ECLAIRs et MXT pour observer un sursaut gamma dans le domaine du visible et affiner sa localisation dans le ciel. « Toutes les quatre à six heures, les satellites transmettent toutes les données assimilées grâce à des antennes plus grosses », renseigne Susanna Vergani.

Trois autres instruments, au sol, assurent le suivi des sursauts détectés. Les deux télescopes GFT pointent en moins d'une minute vers la zone de localisation pour mesurer avec précision les coordonnées célestes du sursaut ainsi que l’évolution photométrique de l’émission. Ils vont également fournir une estimation de sa distance. L'un de ces télescopes, le C-GFT, est basé à l'observatoire de Jiling, en Chine. L'autre, le F-GFT, aussi appelé Colibri, est en cours d'installation au Mexique. « Ce télescope, fruit de la collaboration entre la France et le Mexique, est capable d'observer de manière simultanée, grâce à trois caméras, toutes les gammes du visible jusqu'à l'infrarouge », précise Stéphane Basa, chercheur au Laboratoire d'astrophysique de Marseille4, qui a développé Colibri. Enfin, les Chinois possèdent un réseau de caméras à grand champ de vue (GWAC), qui cherchera à détecter un signal visible juste avant ou au tout début du sursaut gamma.

Étudier les galaxies les plus lointaines

À travers l'ensemble de ces observations, les équipes scientifiques visent plusieurs objectifs. D'abord, chercher à mieux comprendre le mécanisme de la fin de vie d'une étoile. « Quand une grosse étoile explose, elle libère en quelques secondes une quantité d'énergie équivalente à celle libérée par le Soleil pendant toute sa vie ! », rappelle Jean-Luc Atteia.

Intégration de l'instrument MXT du satellite SVOM. Ce télescope à rayons X va procéder à l’observation du sursaut gamma dans le domaine des rayons X mous (énergie comprise entre 0.2 et 10 keV).
Intégration de l'instrument MXT du satellite SVOM. Ce télescope à rayons X va procéder à l’observation du sursaut gamma dans le domaine des rayons X mous (énergie comprise entre 0.2 et 10 keV).

« Ces sursauts peuvent également nous permettre de sonder l'Univers, poursuit Stéphane Basa. Un sursaut gamma crée une magnifique chandelle. On peut donc étudier tous les objets qu'il illumine sur son passage ». « Cela s'avère particulièrement précieux pour l'étude des galaxies lointaines, qui sont composées en partie de gaz neutre qu'on ne peut détecter qu'avec une lumière intense en arrière-plan. Ces observations pourraient nous aider à comprendre, par exemple, quels ont été les éléments produits dans les plus anciennes galaxies », renchérit Susanna Vergani.

Enfin, nous pourrions en apprendre davantage dans le domaine de l’astrophysique des particules. « Nous savons désormais que les sursauts gamma courts sont également associés aux ondes gravitationnelles générées lors de la fusion de deux étoiles à neutrons. Et c’est lors de ces événements que sont produits les éléments lourds de l’Univers, tels que l’or. Nous pourrions donc découvrir quels autres éléments se forment lors de ces phénomènes », conclut Susanna Vergani. Prometteuse, la mission SVOM pourrait bien nous révéler certains des secrets les mieux gardés du cosmos… ♦

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Les instruments de la mission SWOM

La mission compte quatre instruments embarqués sur le satellite et trois instruments au sol.

À bord, le télescope ECLAIRs est chargé de détecter et localiser les sursauts gamma dans la bande des rayons X et des rayons gamma de basse énergie. Placé sous la responsabilité du Centre national d'études spatiales (Cnes), il est développé par trois laboratoires français : l’Institut de recherche en astrophysique et planétologie (CNRS/Cnes/Université Paul Sabatier), à Toulouse, l’Institut de recherche sur les lois fondamentales de l’Univers (CEA/Paris-Saclay) et le laboratoire Astroparticule et cosmologie (CNRS/Université Paris-Cité).

De son côté, le télescope MXT (Microchannel X-ray Telescope) est conçu pour l’observation du sursaut gamma dans le domaine des rayons X mous. Il est développé en France par le Cnes et le l’Institut de recherche sur les lois fondamentales de l’Univers, en étroite collaboration avec l’université de Leicester au Royaume Uni et le Max Planck Institut für Extraterrestische Physik de Garching, en Allemagne.

Développé en Chine, le détecteur GRM (Gamma Ray Burst Monitor) mesure le spectre des sursauts à haute énergie. Quant au télescope VT (Visible Telescope) lui aussi conçu en Chine, il est chargé de détecter et d'observer l’émission visible produite immédiatement après un sursaut gamma.

Les observations depuis l’espace seront complétées par un important segment au sol. On y retrouve la caméra à grand champ GWAC (Ground-based Wide Angle Camera), fabriquée par la Chine, qui étudie, dans le domaine visible, l’émission prompte d’une partie des sursauts détectés. Les télescopes robotiques GFT (Ground Follow-up Telescope) ont eux pour rôle de mesurer avec précision les coordonnées et la distance du sursaut gamma. Le GFT français, Colibri, est développé par l’université de Marseille, le CNRS et le Cnes en France, et par l’université nationale autonome et le Conseil national de la science et de la technologie au Mexique.  ♦

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Notes
  • 1. Unité CNRS/Cnes/Université Toulouse Paul Sabatier.
  • 2. Unité CNRS/Observatoire de Paris-PSL.
  • 3. L'émission rémanente – qui peut parfois durer jusqu'à plusieurs mois – correspond au prolongement de l'émission dans les domaines X, visibles et radio, juste après le bref flash gamma, l'émission prompte, qui dure quelques secondes.
  • 4. Unité CRS/Cnes/Aix-Marseille Université.
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Auteur

Matthieu Stricot

Spécialisé dans les thématiques liées aux religions, à la spiritualité et à l’histoire, Matthieu Sricot collabore à différents médias, dont Le Monde des Religions, La Vie, Sciences Humaines ou encore l’Inrees.

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