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Les nouveaux visages de l’agriculture

Les nouveaux visages de l’agriculture

03.03.2017, par
Salon de l'agriculture 2017. Parmi les nouveaux agriculteurs qui s’installent, beaucoup ne sont pas issus de familles d’agriculteurs et sont passés par l’enseignement agricole.
À l’occasion du Salon de l’agriculture, Gérard Béaur pose son regard d’historien sur les agriculteurs d’aujourd’hui – profil, revenus, pratiques... Et trace d’étonnants parallèles avec les paysans d’autrefois.

L’agriculture d’aujourd’hui n’a plus grand-chose à voir avec l’agriculture de l’après-guerre… Le profil des agriculteurs a-t-il beaucoup changé ?
Gérard Béaur1 : En soixante ans, tout a changé ou presque. Sous l’impulsion de la politique agricole commune, les exploitations françaises se sont agrandies, passant de 10 hectares à plus de 55 hectares en moyenne. Du fait de la mécanisation, mais surtout de l’usage massif des pesticides et engrais, la productivité a été multipliée par trois. Dans le même temps, le nombre d’agriculteurs a, lui, fortement diminué, passant de 30 à 4 % de la population active. Au-delà des chiffres, leur profil a fortement évolué. Le cadre familial dans lequel s’exerçait l’activité agricole a éclaté. Jusqu’à la première moitié du XXe siècle, la question dans les exploitations était « qui des enfants va hériter de la ferme ? », aujourd’hui c’est plutôt « qui va accepter de la reprendre ? » Parmi les nouveaux agriculteurs qui s’installent, beaucoup ne sont d’ailleurs pas issus de familles d’agriculteurs et sont passés par l’enseignement agricole. Parallèlement, on observe une certaine féminisation de l’activité – notamment dans la vigne, les exploitations fruitières ou maraîchères… Mais cette hausse des effectifs féminins dans les statistiques est un peu artificielle, dans la mesure où les femmes ont toujours participé aux travaux agricoles (basse-cour, traite des vaches, etc.), sans avoir de statut officiel. La vraie nouveauté, c’est qu’aujourd’hui, on voit de plus en plus de femmes devenir chef d’exploitation.

On voit de plus en plus de femmes devenir chef d’exploitation, notamment dans la vigne, les exploitations fruitières ou maraîchères.
On voit de plus en plus de femmes devenir chef d’exploitation, notamment dans la vigne, les exploitations fruitières ou maraîchères.

Le salariat est aussi en forte hausse dans le monde agricole…
G. B. : Si un homme et un tracteur suffisent aujourd’hui à cultiver des exploitations céréalières ou betteravières de 500 à 600 hectares, d’autres productions requièrent beaucoup plus de main-d’œuvre pour soigner, traiter, tailler, récolter…, comme la production de fruits, de légumes, la viticulture ou encore l’élevage qui se sont beaucoup développés en France ces dernières décennies. Résultat : le salariat, qui s’était effondré entre les deux guerres du fait de la mécanisation – fini les charretiers ou les maréchaux-ferrants –, est en nette augmentation. Et cela ne concerne pas que des emplois saisonniers.

Paris comptait énormément de vignerons, maraîchers..., qui cultivaient littéralement sur le territoire urbain.

La question des revenus agite beaucoup le monde agricole. Les revenus des agriculteurs français ont-ils augmenté ou baissé ?
G. B. : En moyenne, le revenu net par agriculteur, subventions incluses, a augmenté ces cinquante dernières années ; c’est essentiellement lié aux gains de productivité et au fait qu’ils sont moins nombreux par exploitation. Mais cette hausse théorique cache en réalité d’énormes disparités et les écarts de revenus sont forts entre les céréaliers et betteraviers qu’on évoquait à l’instant, qui gagnent leur vie de manière plus que confortable, et les éleveurs poussés à s’endetter pour investir dans des structures de production toujours plus grosses et soumis aux pressions des grandes enseignes d’agroalimentaire.

De plus en plus d’exploitants font aujourd’hui le choix d’habiter en ville et partent tous les matins travailler à la ferme… L’agriculteur est-il en train de devenir un urbain comme les autres ?
G. B. :
L’amélioration des réseaux routiers facilite il est vrai la vie des agriculteurs, qui peuvent plus facilement se « détacher » de leur exploitation – d’autant que beaucoup sont désormais en couple avec un(e) conjoint(e) qui n’exerce pas dans le même secteur. Le développement des fermes périurbaines conforte encore cette tendance. Voir des paysans en ville nous paraît aujourd’hui révolutionnaire, ce n’est pourtant pas si neuf ! Dans les siècles passés, la séparation ville-campagne était beaucoup moins nette. Une ville comme Paris, par exemple, comptait énormément de vignerons, maraîchers ou arboriculteurs qui cultivaient littéralement sur le territoire urbain… C’est la spéculation foncière qui les a chassés à partir du XVIIe et surtout du XIXe siècle.

Troupeau de chèvres à Paris, avant 1914. La séparation ville-campagne n’a pas toujours été aussi nette qu'aujourd'hui.
Troupeau de chèvres à Paris, avant 1914. La séparation ville-campagne n’a pas toujours été aussi nette qu'aujourd'hui.

L’industrialisation, la spécialisation à outrance, et leur cortège d’effets pervers – épizooties, condition animale – sont montrés du doigt. Il existe aujourd’hui une forte pression de la société pour restaurer des pratiques plus vertueuses, associées à l’agriculture d’« autrefois »…
G. B. : Il faut arrêter d’idéaliser l’agriculture du passé. Certes, certaines pratiques actuelles sont remises en cause et doivent certainement évoluer, mais l’industrialisation récente n’est pas la seule responsable. Aujourd’hui, les médias découvrent avec étonnement la division du travail dans la filière du foie gras dans le sud-ouest de la France… Pourtant, la spécialisation ne date pas d’hier dans le monde agricole. Dès le XVIIIe siècle, tout un circuit s’est ainsi mis en place dans la filière bovine : les veaux naissaient dans le Limousin, puis étaient emmenés dans le Bas-Maine où on commençait à les engraisser, et enfin en Normandie où ils terminaient leur prise de poids. Les bovins parcouraient alors sur leurs quatre pattes les 250 kilomètres qui les séparaient de la capitale pour être vendus sur les marchés parisiens. Au milieu du XIXe siècle, cela concernait tout de même près de 100 000 bêtes sur les quelque 200 000 que recevait annuellement la capitale. Quant au « veau blanc » à la viande très blanche dont raffolaient les Parisiens jusqu’au début du XXe siècle, après avoir été nourri exclusivement de lait (l’herbe des pâtures lui donnant en effet une chair plus rosée), puis de lait écrémé, il a fini par ne consommer que des aliments de substitution de faible coût, des farines animales, voire des eaux « perdues » chargées en matière grasse. Imaginez-vous que les veaux qui arrivaient sur les marchés de la capitale étaient si faibles et carencés que les paysans étaient parfois obligés de les porter…

S'il y a encore des agriculteurs en France, c'est grâce aux choix faits dans les années 50 par le marché commun européen.

On l’a dit, le nombre des agriculteurs est en diminution constante en France. Est-il possible qu’un jour, notre pays n’en compte plus du tout ?
G. B. : S’il y a encore des agriculteurs en France, aujourd’hui, c’est grâce aux choix forts faits dès les années 1950 par le marché commun européen et la mise en place de mesures très incitatives pour augmenter la productivité et la taille des exploitations. Ils auraient sinon été balayés par les produits venus de pays comme l’Argentine ou les États-Unis, aux exploitations immenses et aux coûts de production bien inférieurs. La politique agricole commune a certes des défauts, comme la surproduction, mais c’est grâce à elle que l’Europe est devenue, non plus importatrice, mais exportatrice nette de céréales depuis quinze ans et figure avec les États-Unis, le Canada et l’Australie parmi les quatre grands exportateurs mondiaux de céréales.

Maintenir une agriculture dans notre pays comme dans le reste de l’Europe est exclusivement un choix de société : veut-on continuer à produire sur notre sol ou décide-t-on de tout importer, avec les risques que cela peut notamment faire peser sur notre indépendance alimentaire ou sur le plan sanitaire ? L’exemple de la Grande-Bretagne nous éclairera peut-être : au XIXe siècle, ce pays a fait le choix de l’industrie et a liquidé son agriculture en s’ouvrant très largement à l’importation de produits alimentaires. Dans les années 1930, elle produisait à peine la moitié de sa consommation en produits agricoles. S’il n’y avait pas eu les convois américains pour ravitailler l’Angleterre durant l’assaut allemand de 1940-1941, elle n’aurait pas tenu très longtemps… Depuis, le pays n’a eu de cesse de renforcer sa filière agricole.

Notes
  • 1. Centre de recherches historiques (Unité CNRS/EHESS).

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