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Météo solaire, tempêtes et black-out
« Mesdames, messieurs, bonsoir. La nuit dernière, un peu après minuit, une éruption solaire très intense s’est produite à la surface du Soleil. Dans les prochains jours, des vents solaires pourraient souffler à des vitesses supérieures à la normale en direction de la Terre. Une énorme tempête géomagnétique est à prévoir sur l’hémisphère Nord. Par mesure de précaution, pensez à sauvegarder vos données informatiques. » La diffusion de tels bulletins sera peut-être un jour la norme à la télévision, à l’instar de la météo ou des points trafic de Bison Futé.
Une discipline émergente
Théorisée aux États-Unis et en URSS au début des années 1990, la météo de l’espace est arrivée en Europe une dizaine d’années plus tard avec la publication des premiers rapports commandés par l’Agence spatiale européenne (ESA). Cette discipline émergente est la dernière-née des branches de la science dédiées à l’étude des aléas. Elle vise, détaille Jean Lilensten, directeur de recherche à l’Ipag1 et auteur d’un récent ouvrage sur le sujet, « d’une part, à comprendre et à prévoir l’état du Soleil et celui des environnements interplanétaires, ainsi que les perturbations qui les affectent ; et, d’autre part, à analyser en temps réel ou à anticiper d’éventuels effets sur les systèmes biologiques et technologiques ».
C’est que notre étoile a, elle aussi, ses humeurs. À certaines périodes, dites de forte activité, les éruptions qui s’y produisent peuvent engendrer un supplément de rayonnement dans les domaines visibles, UV, X et radio, voire se traduire par l’émission de particules de hautes énergies. Plus haut dans l’atmosphère du Soleil, d’autres événements comme les éjections de masse coronale aboutissent, quant à eux, à la formation de bulles de plasma. Ces énormes nuages, constitués de centaines de millions de tonnes d’électrons et de protons, se superposent au vent solaire, voyagent à travers l’espace et, s’ils croisent le chemin de la Terre, perturbent la magnétosphère, sa barrière de protection naturelle.
Les dangereuses sautes d’humeur du Soleil
Or, explique Jean Lilensten, de tels phénomènes n’ont pas toujours pour la Terre des conséquences aussi anodines et indolores que l’apparition dans le ciel d’aurores boréales : « Il est notoire qu’ils sont également susceptibles d’occasionner des pannes du réseau électrique, de dégrader ou d’interrompre la navigation GPS et les transmissions radio et de données, d’endommager ou de détruire des satellites, de provoquer, sur certaines lignes, des pannes à bord des avions ou de soumettre le personnel de bord à un surplus de radiation. »
deux énormes
éruptions solaires
ont perturbé
gravement les
télécommunications
par télégraphe.
Le 1er septembre 1859, deux énormes éruptions solaires, observées par l’astronome anglais Richard Carrington, ont abouti à la destruction de 5 % de l’ozone atmosphérique terrestre et perturbé gravement les télécommunications par télégraphe électrique en Amérique du Nord et en Europe. Et, le 15 mars 1989, une autre de ces colères astrales provoqua un black-out dans la ville de Montréal (Québec). Celle-ci fut plongée dans le noir à la suite de surtensions survenues sur le réseau dues au passage dans le sol de grandes quantités de particules chargées ayant pénétré l’ionosphère terrestre.
Mais que se produirait-il si des événements de ce genre venaient à se répéter ?
Dans nos sociétés devenues encore plus dépendantes du bon fonctionnement des réseaux de communication et d’énergie, les dégâts seraient probablement considérables. En 2009, un rapport de l’Académie américaine des sciences chiffrait ainsi à plus de 6 000 milliards de dollars le coût des dommages que provoquerait, sur la seule économie des États-Unis, une tempête comparable à celle de 1859 décrite par Richard Carrington ! Autant de raisons pour panique ? « Non, plutôt de se préparer », juge Jean Lilensten. De fait, des débuts de solution ont été trouvés.
De nouveaux outils pour anticiper les tempêtes solaires
Si bien des progrès restent encore à faire, les scientifiques sont aujourd’hui en mesure, sinon de prévoir, du moins de repérer suffisamment tôt le déclenchement d’une de ces tempêtes. Ensuite, placées de l’autre côté du Soleil, les sondes Stereo 1 et Stereo 2 de la Nasa complètent, depuis quelques années, le dispositif du suivi de l’activité de notre étoile.
sont aujourd’hui
en mesure
de repérer
suffisamment tôt
le déclenchement
de ces tempêtes.
Elles permettent aux chercheurs d’évaluer, jusqu’à 27 jours à l’avance, les risques qu’une éruption survienne à sa surface. Déployés au sol ou dans l’espace, toute une série d’instruments – comme les satellites ACE (Nasa) et Soho (ESA-Nasa) ou l’installation Orfées2 de la Station de radioastronomie de Nançay3 – peuvent également être mis à profit pour suivre le déplacement des nuages de plasma issus des éjections de masse coronale.
Ces nuées mettant en moyenne deux jours et demi à atteindre la Terre, elles pourraient être un jour utilisées pour lancer l’alerte tant auprès des opérateurs que des particuliers.
D’autant qu’il y a peu, des chercheurs du Centre de physique théorique4 et du laboratoire Astrophysique, interprétation - modélisation5 ont réalisé une percée majeure dans la compréhension des phénomènes impliqués dans le déclenchement éruptions solaires. A partir de calculs réalisés à l'IDRIS6, ils ont montré qu'une structure caractéristique, en forme de corde magnétique, apparaît progressivement dans les jours précédant l'éruption. Ces résultats, publiés dans la revue Nature7, permettent d’envisager une méthode efficace de prévision des éruptions : en se basant sur les données magnétiques accumulées en temps réel et une chaîne de modèles numériques adaptés, il sera bientôt possible, un peu comme en météorologie standard, de prévoir la météorologie dans l'espace et de prévenir les conséquences sur Terre des tempêtes solaires.
Des réponses institutionnelles
Si Paris a pris du retard par rapport à d’autres capitales comme Washington ou Bruxelles, qui disposent sur le centre de la NOAA de Boulder (Colorado) et dans les locaux de l’Académie royale de Belgique de structures opérationnelles à même de produire des bulletins, diverses initiatives ont été prises dans l’Hexagone. Au côté du Cnes qui continue à travers sa start-up CLS à jouer son rôle historique de promoteur du domaine, le Programme national Soleil-Terre , placé sous l’égide de Ludwig Klein et Dominique Delcourt, représente une force de frappe de près de deux cents scientifiques issus d'une quinzaine de laboratoires. D’autres acteurs comme l’Armée de l’air, qui finance Fedome8, un projet ouvert aux chercheurs du civil, sont apparus. Tandis que des institutions nationales, comme Météo-France, manifestent de plus en plus d’intérêt pour cette activité. Autant d’initiatives qui pourraient un jour finir par faire de la « météo de l’espace » une réalité concrète en France.
À voir :
La Météo de l’espace, l’émergence d’une nouvelle science (2014, 52 min.),
un film réalisé par Jean-Louis Saporito, produit par TGA, CNRS Images et Thelos,
1re diffusion le 25 juillet 2015, à 19 heures, sur France 5
À lire :
Chasseur d’aurores, Jean Lilensten,
Éditions de la Martinière, 2014, 200 p., 14,50 €
- 1. Institut de planétologie et d’astrophysique de Grenoble (CNRS/UJF).
- 2. Observation radio-fréquences pour l’étude des éruptions solaires.
- 3. Unité CNRS/Observatoire de Paris/Univ. d’Orléans.
- 4. CNRS/École polytechnique
- 5. CNRS/CEA/Université Paris Diderot
- 6. Institut du Développement et des Ressources en Informatique Scientifique
- 7. Characterizing and predicting the magnetic environment leading to solar eruptions ; Tahar Amari, Aurélien Canou et Jean-Jacques Aly ; Nature ; publié le 23 octobre 2014.
- 8. Fédération des données de météorologie de l’espace.