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« La République a besoin de savants »
Les crédits de la science, thème de ma chronique précédente, ont suscité des réactions. On ne va pas s’en étonner. Avant tout, merci de vos messages bienveillants. Merci aussi pour ceux qui l’étaient moins… et tournons la page pour aborder un sujet plus consensuel. Pourquoi pas la politique ? Rien de tel pour rétablir un peu de sérénité dans les cœurs et les esprits ! À ceux qui craignent la redondance, une précision : si le budget de la recherche découle en partie de choix politiques, une bonne politique de la recherche ne se résume pas à un exercice comptable. Il faut aussi une ambition, disons même une vision, adossées à une solide détermination. Une sacrée alchimie, en somme, dont l’histoire récente offre des exemples.
Pierre Mendès France, des mots…
Il y a tout d’abord les précédents notoires. Parmi eux figurent le Front populaire et le tandem des deux Jean, Zay et Perrin, qui ont posé les fondations du CNRS et, plus largement, les bases d’une politique nationale de la science. Ou, vingt ans plus tard, cette France gaullienne qui a suivi pendant une décennie le mot d’ordre lancé par le Général dès février 1959 : « L’État a le devoir et a la fonction d’entretenir dans la Nation un climat favorable à la recherche ». Ou encore, à nouveau vingt ans plus tard, le même pays qui a porté François Mitterrand à sa tête, avec la promesse – tenue, cela arrive parfois... – de redonner confiance à ses chercheurs et d’ériger « la recherche scientifique et le développement technologique » au rang de priorités nationales.
Et puis il y a les épisodes moins connus, mais néanmoins déterminants. Le « moment Mendès France » en fait partie. Bien avant d’accéder aux plus hautes responsabilités, Pierre Mendès France s’était déjà illustré par son engagement en faveur de la recherche. Le 3 juin 1953, à la tribune de l’Assemblée nationale, il avait pris position : « La République a besoin de savants ; leurs découvertes, le rayonnement qui s’y attache et leurs applications contribuent à la grandeur du pays ». Il s’était ensuite impliqué dans la préparation d’un numéro spécial de la revue La Nef, paru en juin 1954, où il martelait qu’une nation « est vouée à la décadence si elle perd sa vitalité intellectuelle ».
… et des actes
Le 18 juin 1954, Pierre Mendès France est désigné à la présidence du Conseil. Au lendemain de Diên Biên Phu, tous les regards sont tournés vers l’Extrême-Orient. Mobilisé sur la scène internationale, le chef du gouvernement n’en oublie pas pour autant la science. Déployant un effort massif en faveur de l’enseignement supérieur, il institue aussi auprès de lui un secrétariat d’État à la Recherche scientifique, confié à l’ancien directeur du CNRS Henri Longchambon. Las ! l’expérience est de courte durée : huit mois après avoir fait face à la question indochinoise, le gouvernement Mendès France trébuche sur les « affaires algériennes ».
de la recherche,
le « moment Mendès France » transcende sa fugace présidence du Conseil.
Mais, dans le domaine de la recherche, le « moment Mendès France » transcende cette fugace présidence du Conseil. Après son départ et pendant plus d’un an et demi, avec le regretté Jean-Louis Crémieux-Brilhac et quelques scientifiques dont Pierre Auger, Jacques Monod et André Lichnerowicz, le député de l’Eure travaille à l’organisation d’une consultation nationale. Le « colloque de Caen », du 1er au 3 novembre 1956, a posé un jalon capital sur le chemin de notre politique de la recherche. Dans sa forme, en donnant la parole aux chercheurs – « Parlez, nous vous écoutons », leur annonce d’emblée Pierre Mendès France –, il préfigure les grandes réflexions ultérieures, telles que les assises de la recherche de 1981.
Sur le fond, en abordant des sujets aussi variés que l’investissement dans l’équipement scientifique, la réforme de l’enseignement supérieur, le développement des liens avec l’industrie, ou encore la revalorisation des carrières des personnels de la recherche, il fournit un bréviaire dont le pouvoir gaullien s’inspirera deux ans plus tard avec l’assentiment de Pierre Mendès France. Parce que si l’argent de la science n’a pas forcément d’odeur, la politique scientifique n’a pas nécessairement de couleur…
Les points de vue, les opinions et les analyses publiés dans cette rubrique n’engagent que leur auteur. Ils ne sauraient constituer une quelconque position du CNRS.
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