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Des parasites intestinaux chez les soldats de 14-18

Des parasites intestinaux chez les soldats de 14-18

27.01.2015, par
La mise en évidence de parasites intestinaux chez des soldats de la Première Guerre mondiale apporte une preuve supplémentaire du quotidien effroyable de ces hommes. Une découverte rendue possible grâce à une nouvelle discipline, la paléoparasitologie, que nous fait découvrir Matthieu Le Bailly, chercheur au laboratoire Chrono-environnement.

L’homme est affecté de parasites intestinaux depuis des milliers d’années. Ce que l’on sait moins, c’est que ces parasites laissent des traces dans le corps humain bien après qu’ils se sont dégradés. Leurs œufs se conservent en effet très bien grâce à une coque constituée notamment de chitine, une substance très résistante qui compose également la carapace des insectes. L’analyse de ces œufs permet d’en savoir plus sur l’état de santé d’hommes décédés depuis des dizaines, voire des centaines d’années, et a permis l’émergence d’une nouvelle science : la paléoparasitologie.

Deux sites alsaciens de la Grande Guerre, le Schwobenfeld et le Kilianstollen, ont récemment fait l’objet d’analyses.1 Quatre types de parasites intestinaux y ont été retrouvés, ce qui confirme les conditions de vie éprouvantes des soldats de 14-18. Le Schwobenfeld est un ancien complexe militaire qui servait à protéger la ville de Strasbourg, alors sous occupation allemande. Au sein de ce complexe, un abri servait de latrines, dans lesquelles une quinzaine d’échantillons ont été prélevés en vue d’une étude paléoparasitologique. Le Kilianstollen est un ancien système de galeries construit durant l’hiver 1915-1916 par l’armée allemande, à l’ouest de la ville d’Altkirch. À la suite du bombardement de la zone le 18 mars 1918 par l’armée française, la partie sud du complexe s’est effondrée et vingt et un soldats allemands ont été ensevelis. Trois de ces hommes retrouvés lors de fouilles archéologiques menées en 2011 ont fait l’objet d’une étude de paléoparasitologie, à partir d’échantillons prélevés au niveau des cavités abdominales.
 

Squelette d'un soldat retrouvé dans le Kilianstollen.
Le soldat 1012 a été retrouvé dans le Kilianstollen, un ancien système de galeries construit en Alsace durant l’hiver 1915-1916 par l’armée allemande. Il souffrait de parasites intestinaux.
Squelette d'un soldat retrouvé dans le Kilianstollen.
Le soldat 1012 a été retrouvé dans le Kilianstollen, un ancien système de galeries construit en Alsace durant l’hiver 1915-1916 par l’armée allemande. Il souffrait de parasites intestinaux.

Ténia, ascaris et trichocéphale, les compagnons invisibles

Sur chacun des sites, trois parasites ont pu être identifiés : le ténia, l’ascaris et le trichocéphale. Les ténias sont des vers plats dont la longueur varie entre 2 et 6 mètres, parfois plus. Ces parasites s’installent à la suite de la consommation de viande crue, fumée ou mal cuite de bœuf ou de porc dans laquelle les formes larvaires du parasite se sont installées. Les larves, une fois ingérées par l’homme, vont se fixer à la paroi intestinale et évoluer en adultes. L’ascaris et le trichocéphale sont des vers ronds qui vivent aux aussi fixés à la paroi intestinale. Les vers adultes d’ascaris mesurent entre 15 et 50 centimètres de long, ceux du trichocéphale, entre 3 et 5 centimètres. Lorsqu’ils se reproduisent, les femelles pondent des œufs expulsés par les voies naturelles avec les selles. L’ingestion accidentelle des œufs, qui souillent les aliments, l’eau de boisson ou les sols, conduit à l’installation du parasite. La présence de ces parasites souligne donc une mauvaise hygiène corporelle et une pollution fécale de l’environnement, voire des aliments. Les symptômes liés à la présence de ces parasites sont généralement peu importants. Cependant, dans certains cas, des douleurs abdominales, nausées, vomissements, diarrhées ou constipations peuvent apparaître, pouvant même aller jusqu’à des occlusions intestinales.

Site archéologique alsacien, le Kilianstollen
Le Kilianstollen à Carspach au moment des fouilles.
Site archéologique alsacien, le Kilianstollen
Le Kilianstollen à Carspach au moment des fouilles.

L’ingestion accidentelle des œufs, qui souillent les aliments, l’eau de boisson ou les sols, conduit à l’installation du parasite.

Dans deux des trois échantillons du Kilianstollen, les œufs d’un quatrième parasite, appelé capillaria, ont également été mis en évidence. Les capillaria sont de petits vers ronds dont les adultes mesurent entre 1 et 4 centimètres. Les œufs retrouvés à Kilianstollen ne sont néanmoins pas ceux d’espèces connues chez l’homme, mais sont proches d’espèces de capillaria présentes chez les rongeurs, le rat en particulier. La découverte de ces œufs chez des soldats semble indiquer l’ingestion accidentelle de matières fécales de rongeurs avec la nourriture ou l’eau de boisson. Un scénario plus que plausible dans la mesure où l’omniprésence des rats dans les tranchées ou les galeries durant la Grande Guerre est connue, et largement retranscrite dans les lettres écrites par les soldats ou dans les journaux des tranchées. 

Une cohabitation millénaire

Les résultats de ces études inédites fournissent la preuve biologique qu’en plus des autres vermines dont souffraient les soldats comme les poux, les puces ou les rats, certains combattants de la Grande Guerre étaient porteurs de verminoses intestinales. Avec l’absence d’hygiène, la proximité, les conditions d’accès à l’eau, la présence d’animaux comme le rat et la méconnaissance des maladies parasitaires à cette époque, l’ensemble des conditions environnementales et sociales étaient réunies pour que ces parasites s’installent et se développent chez l’homme.

Oeuf d'Eucoleus
Les œufs de capillaria retrouvés chez les soldats du Kilianstollen ne sont pas ceux d’espèces connues chez l’homme, mais sont proches d’espèces de capillaria présentes chez les rongeurs, le rat en particulier.
Oeuf d'Eucoleus
Les œufs de capillaria retrouvés chez les soldats du Kilianstollen ne sont pas ceux d’espèces connues chez l’homme, mais sont proches d’espèces de capillaria présentes chez les rongeurs, le rat en particulier.

Les plus vieilles traces de
trichocéphale ont
été retrouvées chez
Otzi, l’homme des
glaces, et datent
de 5 300 ans.

L’association entre les parasites intestinaux et l’homme remonte en réalité à bien plus loin, comme l’ont montré les travaux de la paléoparasitologie. En Europe de l’Ouest, les chercheurs ont démontré que l’homme était infesté par le trichocéphale et le ténia depuis plusieurs milliers d’années. Pour le premier, les traces les plus anciennes ont été retrouvées chez Otzi, l’homme des glaces, et datent de 5 300 ans. Pour le ténia, des marqueurs ont également été mis en évidence dans des coprolithes humains retrouvés dans des couches archéologiques du site de Chalain dans le Jura, datant de 5 000 ans environ. L’ascaris, quant à lui, ne semble s’installer dans nos régions qu’à la fin du Néolithique. À partir de l’époque gallo-romaine, ascaris et trichocéphale ont vu leur fréquence dans les échantillons archéologiques augmenter de manière radicale, une conséquence probable de l’urbanisation. Ils continueront à être très présents dans les populations humaines jusqu’à la période moderne.

Notes
  • 1. Le Bailly M., Landolt M., Mauchamp L., Dufour B. 2014. Intestinal parasites in First World War German soldiers from "Kilianstollen", Carspach, France. PlosOne

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