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Détecter le Covid-19 au bout du souffle
Aux premiers jours de juin, un mystérieux appareil est apparu dans les services dédiés aux patients atteint de Covid-19 de l’hôpital de la Croix-Rousse, à Lyon. Boîte grise de la taille d’un réfrigérateur, l’instrument est muni d’un écran tactile et d’un long tube flexible terminé par un bec amovible. Des semaines durant, des chercheurs de l’Institut de recherches sur la catalyse et l'environnement de Lyon (Ircelyon)1 ont déplacé le lourd engin de chambre en chambre afin d’inviter les patients, capables et volontaires, à souffler dans le tube de prélèvement. Malgré le surmenage et la fatigue, une partie du personnel soignant a bien voulu elle aussi donner du souffle pour la science.
Un espoir les motivait tous : celui d’obtenir une méthode de détection de la maladie qui soit immédiate, non invasive et précise. Une méthode fondée sur l’identification des composés chimiques présents dans l’air expiré. L’appareil en question n’était autre qu’un spectromètre de masse dernier cri, capable d’identifier et de quantifier les molécules gazeuses dans un échantillon d’air. Bijou technologique du constructeur suisse Tofwerk, la sensibilité et la résolution du Vocus PTR-TOF sont inégalées dans le monde. « Nous sommes les premiers à avoir eu accès à cet instrument grâce au soutien de la région Auvergne Rhône-Alpes, des fonds européens de développement régional (Feder) et de l’État », se félicite Matthieu Riva, chercheur à l’Ircelyon.
À l’origine du projet, ces faits biologiques : l’air que nous expirons contient plusieurs milliers de molécules produites par notre métabolisme selon une composition qui varie en fonction de notre état de santé. Or, lors d’une infection, nos cellules, asservies par le virus, s’emploient à fabriquer des protéines virales et délaissent une grande partie de leurs activités normales. Ainsi, les molécules qu’une personne malade expulse de ses poumons peuvent différer de celles d’une personne saine. Si l’on parvenait à identifier des composés volatiles typiques du Covid-19, une sorte de « signature », on pourrait alors mettre au point une méthode de dépistage de la maladie via le souffle.
Identifier la « signature » du Covid-19
Les chercheurs ont donc décidé d’analyser l’air expiré d’un large panel de personnes à l’hôpital de la Croix-Rousse. Pour mener à bien le projet, les chimistes de l’atmosphère de l’Ircelyon se sont alliés aux spécialistes des virus du Centre international de recherche en infectiologie2 et aux spécialistes en chimiométrie de l’Institut des sciences analytiques3. Ils ont aussi pu compter sur le soutien des médecins des services d’infectiologie et de réanimation de la Croix-Rousse. « Peu habituelle, cette collaboration s’est avérée très enrichissante », commente Christian Georges, directeur adjoint de l’Ircelyon.
Les données récoltées à l’hôpital subissent en ce moment une rigoureuse analyse mathématique afin d’identifier les biomarqueurs moléculaires potentiels du Covid-19. « Fin juillet ou à la rentrée, nous aurons sans doute les premières tendances », annonce Mattieu Riva. Tendances qu’il faudra encore confirmer à l’aide de nouveaux échantillons provenant de patients et de personnes non infectées.
Traquer des molécules dans des milieux complexes
L’idée de déceler, grâce à l’air expiré, l’état physiologique d’une personne n’a rien de nouveau. Dès 1954, l’éthylotest permet d’évaluer l’alcoolémie en mesurant le taux d’alcool dans l'air expiré. Depuis, des chercheurs du monde entier ont tenté de mettre au point des méthodes de diagnostic fondées sur le souffle. Tous se sont heurtés au même obstacle : les molécules volatiles pouvant servir de marqueur d’une pathologie étaient toujours en trop faible concentration. Pire : milieu humide et chaud, l’air expiré se prête mal aux mesures et met à mal la robustesse des résultats. Sur le papier, l’approche était prometteuse, mais dans la pratique, les applications se faisaient attendre...
Les choses sont en train de changer grâce à cette nouvelle génération de spectromètres de masse. « Il y a huit ans, nous avons acheté le meilleur instrument sur le marché. La sensibilité de celui que nous utilisons aujourd’hui est mille fois supérieure », fait remarquer Sébastien Perrier, ingénieur de recherche à l’Ircelyon. « Et ce que nous faisons actuellement était impensable il y a seulement deux ou trois ans », complète Christian Georges.
Ces instruments ouvrent un nouveau champ de recherche en sciences de l’environnement : celui de l’infiniment dilué. Des molécules à l’état de trace, même prises dans des milieux aussi complexes que l’air expiré, peuvent être identifiées et quantifiées. « Un médecin de la Croix-Rousse avait bu un jus d’orange dix heures avant de souffler dans le dispositif, se souvient le chercheur. Et nous avons réussi à en détecter les traces ! » Les terpènes, caractéristiques des agrumes, n’avaient pas échappé à l’appareil.
La médecine est l’un des domaines qui devrait profiter en premier lieu de cette petite révolution technologique. C’est en tout cas ce que veulent montrer les chercheurs lyonnais. Si, au terme de leurs travaux, les biomarqueurs du Covid-19 sont identifiés de façon claire et robuste, on pourra penser au déploiement de spectromètres de masse similaires dans les hôpitaux. « Ce pourrait être un instrument doté d’un logiciel de traitement des données dédié à cette maladie, quelque chose de très simple, avec un voyant rouge et un voyant vert, par exemple », imagine Matthieu Riva. Il ne faudrait alors que quelques minutes pour recommander ou non à une personne un confinement de quatorze jours.
Les molécules volatiles propres au Covid-19 pourraient aussi apporter des renseignements précieux sur les modifications métaboliques induites par le nouveau coronavirus. L’appareil pourrait également faire partie du suivi des patients et informer les médecins sur l’effet des traitements. Et ensuite ? Les chercheurs veulent transposer le concept à d’autres maladies comme la légionellose ou le cancer. Et ainsi donner, peut-être, un nouveau souffle au diagnostic médical... ♦