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Le dépistage prénatal : jusqu'où aller ?

Le dépistage prénatal : jusqu'où aller ?

15.07.2013, par
Mis à jour le 24.02.2014
Médecine prédictive, échographie
Au-delà de la simple échographie (ici en photo), il existe de nombreux tests portant sur les gènes qui permettent de dépister des anomalies congénitales.
Des futurs bébés en bonne santé : telle est l’une des préoccupations majeures de la médecine prédictive. Pour prendre en charge le plus tôt possible les enfants ­atteints de maladies, voire éviter certaines naissances, les examens prénataux ne cessent de progresser.

En France, on dépiste actuellement près de 70 % des anomalies congénitales, contre 16 % il y a vingt ans. Et les progrès de la génétique vont sans aucun doute amplifier cette tendance. Très prochainement, on détectera la trisomie 21 chez un fœtus à partir d’une simple prise de sang mater­nel. Le 25 avril 2013, dans son avis n° 120, le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) s’est déclaré favorable à cette forme de dépistage qui permettra de réduire largement le recours à l’amniocentèse, potentiel­lement à risque de fausse couche. Dans un premier temps, ce test sera proposé uniquement aux femmes à risque élevé, puis à l’ensemble des femmes encein­tes lorsque son coût aura baissé.

Au-delà de la trisomie 21, cette nouvelle technique annonce l’avènement d’un dépistage prénatal bien plus large. Car, aujourd’hui, lorsque les médecins suspectent une maladie, ils vérifient uniquement la présence d’altérations d’un gène ou d’un chromosome associés à cette pathologie. En récupérant, dès la 9e semaine de grossesse, l’ADN du fœtus présent dans le sang de la mère, les biologistes ont désormais son génome entier à portée de main ! Et, dans un futur proche, il sera même plus simple et moins cher de le séquencer en entier que par bribes.

Le diagnostic prénatal reste difficile à établir

Une somme d’informations extrêmement précieuse, mais dont l’interprétation n’aura rien d’évident. « Même pour la mucoviscidose, dont on sait parfaitement quelles mutations génétiques sont responsables de la maladie, cela ne suffit pas pour dire si le futur enfant en développera une forme sévère ou modérée », souligne Patrick Gaudray, généticien au laboratoire Génétique, immunothérapie, chimie et cancer1, à Tours, et rapporteur de l’avis n° 120 du CCNE. Parfois, même, la présence d’une anomalie génétique ne renseignera que sur un risque potentiel de développer une maladie. C’est le cas du diabète ou de certains cancers dont la survenue est due à de multiples facteurs, parmi lesquels des facteurs génétiques.

Or ces nouveaux séquençages seront disponibles très tôt au cours de la grossesse, avant même la fin du délai légal de l’interruption volontaire de grossesse. « En cas de doute, de nombreux couples pourraient être tentés de recourir à une interruption volontaire de grossesse (IVG), même lorsque le risque de maladie aura été jugé faible par les médecins, prévient le philosophe Pierre Le Coz, de l’unité de recher­che Anthropologie bioculturelle, droit, éthique et santé2, à Marseille, et membre du CCNE de 2008 à 2012. C’est une réaction tout à fait légitime, mais qui pourrait faire augmenter le nombre d’avortements en France, au moins transitoirement. » Certains y voient même des risques de dérive eugénisteFermerL’eugénisme est une doctrine prônant une amélioration du patrimoine génétique humain par la sélection des naissances et l’interdiction de la reproduction des individus considérés comme inférieurs..

Quelle information délivrer aux parents sur le patrimoine génétique de leur futur enfant ?

Mais alors, que faire de toutes ces données disponibles sur le patrimoine génétique d’un futur enfant ? Dans son dernier avis, le CCNE penche plutôt pour une sélection par les médecins des informations à délivrer au couple. Le génome du fœtus serait intégralement analysé pour les parents qui le souhaitent, mais seules les informations concernant des maladies graves et incurables au moment du diagnostic leur seraient communiquées pour ne pas les inquiéter inutilement. Jusqu’ici, ce sont en effet ces caractéristiques qui ont été retenues par la loi pour une demande d’interruption médicale de grossesse.

Certains s’inquiéteront sûrement de ce retour du paternalisme médical, laissant l’équipe décider de ce que les parents sont en mesure d’entendre. Quitte à cacher les prédispositions d’un futur enfant à une maladie grave lorsque les risques encourus seront jugés trop faibles statistiquement. « La loi relative au droit des patients bannit la rétention d’informations, rappelle Pierre Le Coz. Je ne vois pas trop comment les médecins vont pouvoir dissimuler des informations aussi importantes aux parents. »

Consultation de dépistage prénatal.
Consulter un conseiller génétique devient de plus en plus courant pour les couples qui suivent un protocole de dépistage prénatal.
Consultation de dépistage prénatal.
Consulter un conseiller génétique devient de plus en plus courant pour les couples qui suivent un protocole de dépistage prénatal.

Il faut tenir compte du contexte génétique familial

Mais, pour le professeur René Frydman, spécialiste de procréation médicalement assistée à l’hôpital Foch à Paris, père du premier bébé éprouvette français et du premier bébé né après un diagnostic préimplantatoireFermerTechnique qui consiste, après une fécondation in vitro, à sélectionner les embryons indemnes d’une affection génétique présente chez les parents, en vue d’une grossesse. dans l’Hexagone, l’essentiel n’est pas là. « Il y a plus de 5 000 maladies génétiques connues actuellement, signale-t-il. Je ne pense pas qu’il faille les rechercher systématiquement chez tous les fœtus. Selon moi, ce sont d’abord les antécédents familiaux qui doivent nous indiquer la ou les maladies à rechercher. Et, pour juger de la gravité d’une pathologie, outre sa nature, il faut également prendre en compte le contexte individuel de chaque famille. »

C’est ce contexte familial qui explique pourquoi sont désormais acceptées certaines demandes d’interruption tardive de grossesse portant sur des maladies qui ne mettent pas nécessairement en jeu le pronostic vital et pour lesquelles des traitements existent. On peut citer le cas de fœtus porteurs d’une mutation du gène BRCA1 – qui augmente le risque de développer un cancer du sein et de l’ovaire – dans des familles déjà marquées par des décès nombreux et précoces dus à ces deux maladies. Dans ces situations rares, ont jugé les experts, la demande d’interruption de grossesse est justifiée.

Outre le problème de la sélection des informations, c’est la manière dont elles seront annoncées aux couples qui comptera beaucoup. Sur ce point, nombreux sont ceux qui s’inquiètent du développement de sociétés privées qui proposent déjà ce type de séquençage directement aux parents. Des tests ADN sanguins permettant de rechercher les trisomies 21, 13 et 18 sont ainsi commercialisés sur Internet aux États-Unis et dans plusieurs pays d’Europe. « Le danger de ces tests privés, c’est qu’ils laissent les ­parents seuls et désemparés face aux résultats, juge Patrick Gaudray. Il n’y a personne pour leur expliquer les risques réels de développer une maladie d’origine génétique, pour discuter de sa gravité et des thérapeutiques possibles. »

L’accompagnement médical des parents avant la naissance est crucial

Pour éviter les dérives à la fois eugénistes et commerciales, l’accompagnement médical des parents jouera un rôle central. « Malheureusement, on ne peut pas dire que les informations données actuellement aux couples permettent à ces derniers de faire un choix totalement libre et éclairé – l’objectif pourtant affiché par la société – quant à la poursuite de la grossesse, estime Isabelle Ville, sociologue au Cermes3, à Villejuif. Dans le cas de la trisomie 21, par exemple, il y a un manque criant de pédagogie sur le fait que le degré de gravité de la maladie peut être extrêmement variable d’un enfant à l’autre, et qu’il est désormais possible d’offrir une vie correcte aux enfants trisomiques. »

Mais les choses sont peut-être en train d’évoluer dans le bon sens. Dans son dernier rapport, le CCNE met en avant le métier de conseiller génétique, déjà usuel lors des protocoles concernant adultes et nouveau-nés, et qui se développe maintenant dans le cadre de l’anténatal. Éclairés sur les questions techniques et éthiques, espérons que les futurs parents pourront envisager plus sereinement l’avenir.

  

À lire aussi :
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Les 9 questions clés de la médecine prédictive (partie 1)
Les 9 questions clés de la médecine prédictive (partie 2)

 

Notes
  • 1. Unité CNRS/Université François-Rabelais.
  • 2. Unité CNRS/Aix-Marseille Univ.
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Auteur

Julien Bourdet

Julien Bourdet, né en 1980, est journaliste scientifique indépendant. Il a notamment travaillé pour Le Figaro et pour le magazine d’astronomie Ciel et Espace. Il collabore également régulièrement avec le magazine La Recherche.

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