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Les 9 questions clés de la médecine prédictive (partie 2)

Les 9 questions clés de la médecine prédictive (partie 2)

15.07.2013, par
Mis à jour le 24.02.2014
Scène du film « Bienvenue à Gattaca »
Dans le film « Bienvenue à Gattaca » (1997), Vincent (Ethan Hawke) doit veiller à toujours effacer derrière lui les traces de son patrimoine génétique imparfait afin de conserver son emploi.
Gardera-t-on le droit de ne pas savoir ? Comment préserver notre intimité génétique ? Trop de diagnostic va-t-il tuer le diagnostic ? Les points clés de la médecine prédictive en 9 questions/réponses.

6) Fait-on des découvertes fortuites en génétique ?

Oui, cela arrive. Dans le cadre médical, on ne cherche pourtant qu’un seul ou que quelques gènes précis, liés à l’objet de la consultation. « Mais, quand la cause génétique n’est pas clairement connue, ou lorsqu’une première exploration n’a pas abouti à un diagnostic, procéder au séquençage complet de l’ensemble des gènes pour poursuivre les recherches est devenu une pratique courante, sauf en anténatal », explique Anne Cambon-Thomsen. Problème : cela génère d’autres informations et risque d’occasionner des découvertes fortuites sur d’autres risques de maladies. « Or la question se pose aujourd’hui de l’opportunité d’opter d’emblée pour le séquençage complet, car son coût diminue et deviendra sous peu plus avantageux que celui d’une suite d’examens ciblés en cascade », indique la généticienne. Il pourrait alors y avoir de plus en plus de découvertes fortuites.
 

Laboratoire d’analyse du génome humain
La première analyse complète du génome humain fut achevée en 2003. Il fallut treize ans et 3 milliards de dollars. Aujourd’hui, on l’obtient en moins d’une journée et pour 1 000 dollars.
Laboratoire d’analyse du génome humain
La première analyse complète du génome humain fut achevée en 2003. Il fallut treize ans et 3 milliards de dollars. Aujourd’hui, on l’obtient en moins d’une journée et pour 1 000 dollars.
 

7) Gardera-t-on le droit de ne pas connaître le résultat des tests génétiques ?

En France, on peut refuser de connaître le résultat de son test. « Dans tous les cas, si l’on découvre une anomalie génétique grave faisant aussi courir des risques aux membres de la famille, et si une prévention ou des soins sont possibles, alors les choses se compliquent », informe Sonia Desmoulin-Canselier. Parce que le patient peut refuser que quiconque soit averti. Le devoir d’assistance du médecin à la famille se heurte donc au secret médical… « Si le consentement du patient est obtenu, le médecin invite par courrier les autres membres de la famille à se rendre à une consultation de génétique, sans dévoiler d’informations, afin que les destinataires aient eux aussi le droit de ne pas savoir, poursuit la juriste, mais cette invitation est déjà une information pesante, me semble-t-il… » Toutes ces questions éthiques pourraient devenir fréquentes et cornéliennes si les tests génétiques portant sur tout le génome se généralisent. Que faire, en particulier, des découvertes fortuites ? « Il y a actuellement un débat international très animé, et les avis divergent, commente Anne Cambon-Thomsen. Par exemple, l’American College of Medical Genetics and Genomics a recommandé aux médecins de regarder systématiquement 57 gènes lors de tout test et d’informer le patient sans qu’il puisse refuser.1 » Une position qui ne fait pas l’unanimité aux États-Unis et tranche avec les avis du Comité consultatif national d’éthique (CCNE) qui, en France, s’en remet aux praticiens pour agir dans l’intérêt du patient, en proposant de l’informer tout en respectant son droit de ne pas savoir.
 

Réunion de l’American College of Medical Genetics and Genomics
Réunion de l’American College of Medical Genetics and Genomics. Pour certaines maladies, cette association américaine de généticiens recommande aux médecins d’informer le patient sans qu’il puisse refuser.
Réunion de l’American College of Medical Genetics and Genomics
Réunion de l’American College of Medical Genetics and Genomics. Pour certaines maladies, cette association américaine de généticiens recommande aux médecins d’informer le patient sans qu’il puisse refuser.
 

8) Comment préserver notre intimité génétique ?

« En France, aux États-Unis et dans de nombreux pays, la loi sanctionne l’utilisation discriminatoire d’informations génétiques, notamment dans les domaines de l’emploi et des assurances », explique Sonia Desmoulin-Canselier. Mais, quand les tests sont autorisés à titre indicatif, comme c’est le cas pour les employeurs américains, « reste la difficulté de prouver que c’est bien l’information génétique qui est à l’origine de la mesure jugée discriminatoire », souligne la juriste. En Angleterre, le gouvernement a ouvert une brèche : il autorise les assureurs à tenir compte du résultat d’un test sur la maladie de Huntington pour contracter une assurance-vie excédant 500 000 livres sterling. Il est vrai que des informations aussi lourdes de conséquences, si elles deviennent largement disponibles et fiables, remettent forcément en cause le fonctionnement même des assurances, qui repose par définition sur l’incertitude. Quant à l’anonymat promis aux participants à la recherche scientifique, dont l’ADN est parfois recueilli par le biais de firmes privées sur Internet (le client donne son accord en cochant une case), il a récemment été mis à mal. En janvier 2013, Yaniv Erlich, généticien à Cambridge, aux États-Unis, a joué les hackers du génome et a réussi à trouver l’identité de 50 personnes qui avaient donné leur ADN anonymement pour un projet scientifique2.
 

9) Trop de diagnostic va-t-il tuer le diagnostic ?

« Si, à l’avenir, on se met à chercher tout et n’importe quoi chez des individus bien portants, on va créer de plus en plus de catégories de personnes à risque », fait remarquer Ilana Löwy. Et accentuer un travers de la médecine d’aujourd’hui, certes de plus en plus efficace, qui consiste à maintenir de plus en plus de personnes « suspendues entre bonne santé et suspicion de maladie, parfois pendant des années, alors qu’elles ne présentent aucun symptôme », poursuit la biologiste et historienne de la médecine. Outre le stress provoqué et d’éventuelles chirurgies inutiles3, cela coûte cher à la collectivité et au patient. « Que se passera-t-il quand un banal test donnera 300 facteurs de risque : fera-t-on des examens complémentaires pour chacun d’eux ? », interroge la chercheuse. Dès lors, prévenir vaudra-t-il vraiment mieux que guérir ? Ou bien cela précipitera-t-il le système d’assurance-maladie vers la faillite complète ?

À lire aussi :
Les 9 questions clés de la médecine prédictive (partie 1)
Le dépistage prénatal : jusqu'où aller ?
La médecine prédictive, médecine d'avenir ?

Notes
  • 1. Science, 17 mai 2013, vol. 340.
  • 2. Science, 18 janvier 2013, vol. 339.
  • 3. Plusieurs études déplorent de tels cas, notamment pour des cancers du sein qui seraient restés silencieux sans intervention médicale.
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Auteur

Charline Zeitoun

Journaliste scientifique, autrice jeunesse et directrice de collection (une vingtaine de livres publiés chez Fleurus, Mango et Millepages).

Formation initiale : DEA de mécanique des fluides + diplômes en journalisme à Paris 7 et au CFPJ.
Plus récemment : des masterclass et des stages en écriture de scénario.
 

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