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Qu’est-ce qui fait bouger le manteau terrestre ?
« L’homme a marché sur la Lune. Des robots arpentent la surface de Mars. Des sondes vont même jusqu’aux confins du système solaire. Mais l’intérieur de notre propre planète nous reste complètement inaccessible », insiste Patrick Cordier professeur à l’université de Lille 1 et chercheur à l’Unité matériaux et transformation1. Il vient de présenter les résultats de quatre ans de recherches sur les déformations du manteau terrestre menées avec son équipe dans le cadre du projet RheoMan, lauréat de l’ERC Advanced Grant. Un projet de cinq ans dont le but était d’étudier la nature et le comportement des roches du manteau afin de les mettre en équation et les simuler sur ordinateur.
Modéliser les profondeurs de la Terre
Coincé entre la croûte et le noyau de la Terre, le manteau est soumis à une température de plusieurs milliers de degrés et à une pression plus d’un million de fois supérieure à la pression atmosphérique. L’activité géologique à la surface de la Terre résulte de mouvements profonds, dits de convection, qui agitent le manteau terrestre jusqu’à 3 000 kilomètres sous nos pieds. À une telle profondeur et dans des conditions si extrêmes, étudier et comprendre l’écoulement continu des roches solides qui le composent constitue un défi scientifique. Toutefois, bien que le manteau terrestre demeure en majeure partie inaccessible, la dynamique à l’œuvre en son sein se dévoile peu à peu.
possible, il nous
fallait partir
des lois que
l’on connaît
sur la matière.
Il faut avant tout comprendre que, bien que solides aux échelles de temps géologiques, les roches mantelliques ne cessent de se déformer. On évalue cette capacité de déformation par la viscosité, qui se mesure en pascal.seconde (Pa. s) et qui correspond à la résistance d’un matériau à l’écoulement. Alors que l’eau liquide présente une viscosité de 10-3 Pa. s, le miel de 10 Pa. s et le bitume de 108 Pa. s, le manteau terrestre varie entre 1018 et 1021 Pa. s. Cette viscosité permet une vitesse de déplacement du manteau de quelques millimètres par an.
C’est à l’échelle microscopique, à l’intérieur de la matière, que se jouent les grandes déformations de la Terre. « Sans observation possible, il nous fallait partir des lois que l’on connaît sur la matière. Avec des concepts théoriques suffisamment robustes et des calculateurs suffisamment puissants pour parvenir à des résultats, explique le chercheur, qui s’est vu décerner en décembre dernier la médaille Dana par la Société américaine de minéralogie (Mineralogical Society of America). Une des difficultés majeures, c’est d’être capable de réaliser des expérimentations dans des conditions de plus en plus extrêmes, tant en température qu’en pression. Le calcul nous permet d’outrepasser ces limitations expérimentales. » Aussi, afin de pallier l’impossibilité d’étudier directement les propriétés des roches situées dans le manteau, son équipe a-t-elle développé une modélisation numérique multi-échelles de leur comportement. Trois niveaux de modélisation – atomique, microscopique et macroscopique – ont ainsi été combinés.
Résoudre le paradoxe de l’olivine
Cette approche a permis aux chercheurs de s’attaquer à un mystère persistant : celui des déformations de l’olivine, un minéral qui constitue jusqu’à 60 % du manteau supérieur.
Pour simplifier, on peut voir une roche comme un agglomérat de grains minéraux : toute déformation de cette dernière résulte d’une modification soit de la structure atomique des grains qui la composent, soit des interactions entre ces grains. Les géologues ont donc d’abord cherché à identifier les défauts cristallins de l’olivine. « Les défauts cristallins sont les impuretés des minéraux ; sans eux, nous serions dans un monde infiniment dur, sans métallurgie possible, uniquement des métaux durs et cassants. Des défauts cristallins découle la capacité des matériaux à être mis en forme, déformés, forgés, précise Patrick Cordier. Dans le cas de l’olivine et dans un espace 3D, il fallait trouver ce qui lui permettait d’effectuer un mouvement de cisaille dans toutes les directions. »
Jusqu’ici, les scientifiques ne connaissaient qu’un seul défaut de l’olivine conduisant à des déformations : les dislocations. Mais ces dernières ne permettent d’expliquer que les mouvements de translation. À l’aide d’un microscope électronique capable de sonder la structure atomique de l’olivine, Patrick Cordier et ses collègues ont pu mettre en évidence qu’il existait aussi des disclinaisons. Or ces défauts permettent cette fois d’expliquer les mouvements de rotation observés à l’intérieur du minéral.
Ces travaux marquent une avancée majeure en sciences des matériaux et pour la compréhension de la plasticité des roches du manteau terrestre. Avec les disclinaisons, les chercheurs disposent d’un nouveau concept leur permettant d'expliquer de nombreux phénomènes liés à la mécanique des roches solides, notamment les plus inaccessibles. Un modèle terrestre qui pourrait aussi être utilisé pour les exoplanètes rocheuses par exemple.
- 1. Unité CNRS/Univ. de Lille 1/ENSCL/Inra.
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Auteur
Anne-Sophie Boutaud est journaliste à CNRS Le journal.
Commentaires
Un article fort intéressant
sandrine_chercheuse le 15 Septembre 2016 à 15h07Connectez-vous, rejoignez la communauté
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