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Une informatique à réinventer pour le calcul quantique

Une informatique à réinventer pour le calcul quantique

04.03.2021, par
Mise au point du premier processeur quantique de la start-up Pasqal.
Pour révolutionner le calcul, ainsi que le laisse espérer l’arrivée des tout premiers ordinateurs quantiques, les chercheurs doivent résoudre d’excitants défis, comme écrire une nouvelle informatique ou limiter les nombreuses erreurs encore commises par ces machines surpuissantes.

Au cœur d’une course planétaire, impliquant aussi bien des laboratoires publics que des multinationales privées, l’ordinateur quantique, imaginé au début des années 1980 par le Nobel de physique Richard Feynman, amorce une incroyable révolution. Mais au milieu des promesses et des grandes annonces, difficile de savoir où en est vraiment cette technologie et quelles seront ses véritables applications. Contrairement à un ordinateur classique et aux appareils similaires, comme les smartphones, un système quantique n’utilise pas des bits à deux valeurs, qui sont zéro ou un. Il est basé sur des qubits qui, grâce aux propriétés uniques aux objets quantiques, présentent des états différents de plus en plus nombreux au fur et à mesure qu’on ajoute de nouveaux qubits. Ainsi, chaque qubit supplémentaire double la puissance de l’ensemble. Cette force de frappe n’est cependant pas adaptée à toutes les situations.

La suprématie quantique n’est pas systématique

« L’ordinateur quantique n’est pas juste un ordinateur qui va plus vite, son fonctionnement particulier n’a pas le même effet selon la nature des problèmes qu’il tente de résoudre, insiste Frédéric Magniez, directeur de recherche à l’Institut de recherche en informatique fondamentale (Irif)1 et titulaire de la chaire annuelle Informatique et sciences numériques au Collège de France. Certains cas vont présenter une accélération exponentielle du temps de calcul, mais il peut aussi n’y avoir aucune différence. » On parle de suprématie quantique dans les situations où cette technologie est plus efficace, y compris avec un nombre limité de qubits, que les supercalculateurs actuels les plus performants. Pour cela, un équipement adapté est bien évidemment nécessaire. 

L’ordinateur quantique n’est pas juste un ordinateur qui va plus vite, son fonctionnement particulier n’a pas le même effet selon la nature des problèmes qu’il tente de résoudre.

Un consortium européen s’est ainsi monté sous le nom de « High performance computer and quantum simulator hybrid ». Il permettra de partager, via une plateforme en ligne, la puissance d’un appareil fourni par Pasqal, une start-up liée au CNRS par le Laboratoire Charles Fabry2. Son processeur compte cent qubits, obtenus en contrôlant des atomes refroidis par laser et manipulés par des pinces optiques. « L’ordinateur quantique, en tant qu’objet macroscopique disposant d’une mémoire au moins comparable aux tout premiers ordinateurs binaires et capables de répondre à différents types de problèmes, n’existe pas encore, affirme Frédéric Magniez, qui participe au consortium. Nous sommes plutôt en présence de calculateurs spécialisés, pour lesquels il faut trouver pour quelles tâches bien précises ils atteignent la suprématie quantique. »

Si les chercheurs ont préparé le terrain théorique depuis de nombreuses années, il leur faut à présent développer les méthodes et outils nécessaires avant de commencer à écrire de vrais programmes. Chaque type d’algorithme doit être transposé au monde quantique, mais après s’être assuré qu’il y a bien un intérêt à le faire. Et même si c’est le cas, il faut aussi vérifier à partir de combien de qubits l’avantage quantique est réel.

Une nouvelle informatique dédiée au monde quantique

Un véritable travail de fourmis attend ainsi les scientifiques et les ingénieurs. Certains thèmes semblent déjà prometteurs : le machine learning (ou apprentissage automatique), l’optimisation de systèmes complexes, les simulations, etc. Plusieurs chercheurs prennent comme exemple des modèles de distribution de l’électricité en hiver, où le fournisseur doit pouvoir livrer tous les usagers dans un contexte tendu, et sans causer un effondrement du réseau. Des problèmes plus fondamentaux seront également abordés.

« L’objectif le plus intéressant de la plateforme est d’apprendre comment programmer et utiliser une telle machine, s’enthousiasme Simon Perdrix, chargé de recherche au Laboratoire lorrain de recherche en informatique et ses applications3 et membre du consortium européen. Nous allons devoir développer des langages et des solutions logicielles spécialement dédiés au monde quantique, car on ne peut pas simplement dupliquer ce qui est déjà disponible pour un ordinateur traditionnel. » Simon Perdrix souhaite également tester des algorithmes quantiques théoriques : trouver comment les implémenter sur un vrai appareil et voir s’ils fonctionnent aussi bien que prévu. Jusqu’à présent, ces objets étaient étudiés sur des simulateurs tournant sur des ordinateurs puissants, mais classiques.

On ne peut pas utiliser Windows sur un ordinateur quantique et, même si on y arrivait, ce serait terriblement peu efficace.

« Il faut encore travailler de concert sur les deux types d’ordinateurs, explique Tristan Meunier, directeur de recherche à l’Institut Néel du CNRS. On ne peut pas utiliser Windows sur un ordinateur quantique et, même si on y arrivait, ce serait terriblement peu efficace. » Tristan Meunier ne participera pas au consortium européen et se focalise sur une approche différente, basée sur des puces en silicium. Elles sont exposées à des températures extrêmement basses pour atteindre un comportement quantique. Ce sont alors des électrons, et non des atomes comme chez Pasqal, qui servent de qubit.

Mais dans tous les cas, les problématiques sont les mêmes : trouver pour quel contexte et comment passer sur des systèmes quantiques. « La difficulté vient que les algorithmes théoriques considèrent qu’ils vont tourner sur des systèmes quantiques quasi parfaits, poursuit Tristan Meunier. Or les machines commettent beaucoup d’erreurs. »

Plus de cohérence, moins d'erreurs

En effet, malgré leur réputation de surpuissance un brin futuriste, les ordinateurs quantiques se trompent énormément et perdent encore une part importante de leur puissance à identifier et vaincre ces difficultés. Certains modèles n’ont même pas assez de ressources pour se corriger eux-mêmes, un déséquilibre qui s’aggrave au fur et à mesure qu’ils gagnent en puissance pour essayer de régler le problème. Ces erreurs sont provoquées par le phénomène de décohérence, où un système quantique est perturbé par des interactions parasites avec le monde extérieur. Or, pour utiliser les propriétés de particules enfermées dans des « boîtes », il faut bien en ouvrir un minimum le couvercle. Tous les qubits ne sont ainsi pas égaux, car la manière dont ils sont obtenus joue sur ces difficultés.

Prototype de puce Cat-Qubits mis au point par la start-up Alice & Bob. Cette puce vise à augmenter considérablement la puissance de calcul permettant un calcul quantique tolérant aux pannes et pouvant exécuter n'importe quel algorithme quantique.
Prototype de puce Cat-Qubits mis au point par la start-up Alice & Bob. Cette puce vise à augmenter considérablement la puissance de calcul permettant un calcul quantique tolérant aux pannes et pouvant exécuter n'importe quel algorithme quantique.

« Augmenter les propriétés de cohérence des systèmes quantiques est un des points cruciaux du domaine, souligne Tristan Meunier. Plus on garde longtemps la cohérence sur un grand nombre de qubits, et plus le potentiel de calcul est important. Pour cela, l’environnement de la particule doit être mieux compris, car un système n’est jamais parfaitement isolé. »

Le chantier de l’ordinateur quantique est ainsi encore loin d’être terminé. « Ma chaire au Collège de France aidera à apporter ces connaissances à un public plus large et j’adapterai le niveau pour que les gens puissent s’en faire une idée précise, sur des fondements solides, explique Frédéric Magniez. En effet, il faut amorcer dès maintenant la formation de futurs chercheurs et des ingénieurs, puis leur offrir des postes permanents, si l’on veut rester dans la course face au Canada, aux États-Unis, au Japon ou à la Chine. »

Le scientifique rappelle que c’est un physicien français, Alain Aspect4, qui a mené en 1980 une des principales expériences sur l’existence d’une mécanique quantique. « Un groupe s’est ensuite développé dans les années 1990 à Orsay autour de Miklos Santha5, dont j’étais l’étudiant avant d’être recruté au CNRS. Nous étions alors une dizaine d’experts, formés en France, à réaliser des travaux très fondamentaux avant que les technologies quantiques ne deviennent plus à la mode. Pour continuer d’avancer, nous avons toujours besoin de cet esprit de recherche pérenne et libre. » ♦

Rerouvez tous nos articles sur le sujet dans notre dossier 
Dans les coulisses de la nouvelle révolution quantique 

 

Notes
  • 1. Unité CNRS/Université de Paris.
  • 2. Unité CNRS/Institut d’Optique Graduate School.
  • 3. Loria - Unité CNRS/Université de Lorraine/Inria.
  • 4. Professeur titulaire à l’Institut d’Optique, directeur de recherche émérite au CNRS et professeur à l’École polytechnique.
  • 5. Actuellement directeur de recherche à l’Irif.
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Auteur

Martin Koppe

Diplômé de l’École supérieure de journalisme de Lille, Martin Koppe a notamment travaillé pour les Dossiers d’archéologie, Science et Vie Junior et La Recherche, ainsi que pour le site Maxisciences.com. Il est également diplômé en histoire de l’art, en archéométrie et en épistémologie.

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