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Lutter contre les inégalités de santé en Seine-Saint-Denis
Vos travaux portent sur les « inégalités socio-territoriales de santé et les politiques locales en Seine-Saint-Denis ». Pourquoi avoir étudié ce département, le plus jeune et le plus pauvre de France métropolitaine ?
Céline Véniat1. C’est sur ce territoire, où je vis depuis très longtemps et que je connais donc très bien, que j’ai réalisé ma thèse sur l’accès aux droits des familles roms vivant dans les bidonvilles. Il y a dans ce département un fort enjeu scientifique et politique : en termes de santé, la Seine-Saint-Denis cumule des difficultés avec des indicateurs très défavorables, ce qui s’est confirmé par une forte mortalité durant la pandémie. Un objectif est aussi de créer du lien avec le territoire proche, sachant que la Plateforme SHS Santé du CNRS à laquelle j'appartiens est hébergée par le Campus Condorcet, à Aubervilliers. L’idée est mettre en lien différents laboratoires de recherche en sciences sociales, tout en se rapprochant des acteurs institutionnels et de terrain travaillant autour de la santé.
Comment avez-vous procédé pour réaliser votre étude ?
C. V. J’ai choisi de baser mon étude sur le Contrat local de santé (CLS), un texte qui pointe les orientations choisies par la Ville concernant les politiques de santé, en lien avec l’Agence régionale de santé (ARS). J’ai donc commencé par recenser toutes les villes de Seine-Saint-Denis qui avaient signé un CLS avant d’identifier, dans ces contrats, quelles étaient les thématiques qui revenaient le plus et les publics visés par les actions. Pour réaliser mon enquête, j’ai travaillé sur une ville en particulier qui a été choisie en raison de la présence de quartiers diversifiés (type d’habitat, situation géographique) et dont je préfère pour le moment ne pas révéler le nom. J'ai contacté différents acteurs et actrices travaillant sur l’enfance, la jeunesse et la parentalité, l’hygiène et l’habitat, la santé mentale ou encore l’accès aux droits ou la prise en charge des personnes âgées. J’ai également expérimenté l’accès aux différents quartiers, relevé la présence de services municipaux, réalisé un relevé photographique pour identifier les différents types d’habitat. Plusieurs quartiers sont majoritairement constitués d’immeubles de logement social, rénovés ou en cours de rénovation, alors que d’autres voient cohabiter des grands ensembles avec de l’habitat pavillonnaire dégradé. Enfin, j’ai distingué deux quartiers qui se trouvaient séparés du centre-ville, seulement reliés à ce dernier par un pont traversant des voies ferrées.
Quelles conséquences l'enclavement de ces quartiers a-t-il sur les pratiques de leurs habitants, notamment en matière de santé ?
C. V. Les habitants de l’un d’eux, situé au nord de la commune, se tournent davantage vers la ville voisine pour leurs pratiques quotidiennes. L’autre, un quartier d’habitat social en cours de rénovation reçoit, en raison de son éloignement et de la précarité de sa population, plus d’attention de la part des acteurs municipaux : beaucoup d’actions y sont menées contre l’habitat indigne et on y retrouve beaucoup de services tels qu’une maison des services publics, une médiathèque ou un centre municipal de santé (CMS), même si celui du centre-ville propose plus de spécialités et de créneaux horaires. J’ai remarqué que la notion d’enclavement dépend de la perspective dans laquelle on se place, car si elle est en effet utilisée par les acteurs de la municipalité concernant les deux quartiers éloignés du centre, elle ne s’exprime pas dans l’expérience des habitants, qui sont ancrés dans leur quartier avec une mémoire collective et une sociabilité propre.
Alimentation, pollution, sédentarité, santé mentale... Comment les problématiques de santé sont-elles abordées dans ces quartiers ?
C. V. Beaucoup d’ateliers autour de la santé sont menés en partenariat avec les écoles ou la Maison des parents concernant l’alimentation, le sport, le diabète, l’obésité ou encore la petite enfance. Et suite à la pandémie, la question de la santé mentale, notamment des adolescents, est davantage prise en compte. De plus, le confinement a entraîné le développement de réseaux de solidarité dans ces quartiers : des collectifs d’habitants se sont organisés pour prendre des nouvelles des personnes les plus vulnérables ou distribuer des colis alimentaires. Toujours dans cette tendance, le besoin de partager des questionnements sur le quotidien ou l’éducation des enfants prend de plus en plus d’importance. Ainsi, de nombreux groupes de parole ont été mis en place. Plus largement, on remarque que, pour lutter contre les inégalités de santé, il faut d’abord lutter contre les inégalités sociales, matérielles, de logement, d’éducation... Cela nécessite une politique ambitieuse pour collecter les besoins – en s’appuyant sur les relais locaux – et financer l’amélioration du cadre de vie au sens large.
Que révèle votre étude sur l’articulation entre les services municipaux et les autres échelles territoriales ?
C. V. Les différentes échelles d’actions de la santé publique – Ville, Département, Région, État – s’articulent entre elles, autant dans la mise en œuvre que dans le financement des actions. Par exemple, lorsque le Département finance des actions de vaccination, c’est le personnel des centres municipaux de santé qui vaccine. J’ai également rencontré une accueillante sociale, au commissariat, dont le poste est financé pour moitié par la Ville et pour moitié par le ministère de l’Intérieur. J’ai également remarqué que des liens de sociabilité professionnelle se tissent entre les acteurs de la ville, ce qui permet de porter des actions de manière plus pérenne en favorisant l’articulation entre les thématiques et le partenariat entre les services.
Comme dans les quartiers populaires, de nombreux territoires ruraux se trouvent démunis en termes d’accès aux soins. Face à ces inégalités, existe-t-il des solutions ?
C. V. Comme dans les quartiers populaires, des associations se mobilisent pour installer des centres de soins dans les zones rurales qualifiées de « déserts médicaux ». Certaines villes de Seine-Saint-Denis – dont celle sur laquelle j’ai travaillé – sont classées « déserts médicaux » par l’ARS, car le nombre de professionnels de santé est insuffisant par rapport à la densité de population. Quelles solutions ? Ce sont des réponses à apporter politiquement, peut-être à travers des incitations, pour attirer les professionnels dans les quartiers populaires ou les zones rurales concernées.
Alors que le premier volet du Conseil national de la refondation (CNR) consacré à la santé vient d’être lancé, le ministre de la Santé, François Braun, a déclaré que « l’accès » aux soins de chacun des Français était une préoccupation première. Les acteurs de terrain ont-ils des attentes particulières concernant ce CNR ?
C. V. Je ne sais pas si les acteurs des politiques locales de santé attendent beaucoup de ce programme, mais ils essayent de faire de leur mieux en poursuivant leur travail de maillage et de coordination. Ils auraient toutefois besoin qu’on revalorise leur travail et qu’on leur donne davantage de moyens. Plusieurs professionnels que j’ai rencontrés pointent le manque de reconnaissance du métier et la précarité des postes qui rendent plus difficiles les partenariats et la pérennité des actions. Leur tâche est d’autant plus compliquée que, depuis des années, ils mènent des actions conjointement avec des associations dont on coupe progressivement les financements.
Qu’attendre du colloque d'Aubervilliers pour trouver des solutions dans un contexte de crises multiples – écologique, économique, sociale, politique – à l’origine d’impacts sanitaires majeurs ?
C. V. L’enjeu de ce colloque est de faire un état des lieux de nos connaissances sur la santé et de poser des orientations, dans un rôle de passeurs entre recherche et action... Nous, chercheurs, produisons du savoir en vue de décrire des situations, formuler des questionnements et les mettre en perspective. L’enjeu est d’ouvrir la recherche sur la société et de valoriser l’expérience des acteurs sur le terrain. Nos résultats peuvent servir de point d’ancrage pour préconiser des actions publiques et proposer des solutions. Pour cela, ils doivent être entendus et portés par les politiques. ♦
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La Plateforme SHS santé, impulsée par l’Institut des sciences humaines et sociales du CNRS, a été mise en place à l’automne 2020 pour une durée de deux ans. Des laboratoires et des collectifs de chercheurs ont été recrutés suite à des appels à projets autour de trois axes de travail : (1) Engagement des patients et du public dans l’organisation des services et l’élaboration des politiques publiques ; (2) Effets des mutations structurelles, notamment environnementales, climatiques et démographiques, sur la santé humaine ; (3) Analyse de la décision publique et de ses acteurs à différentes échelles du territoire national. Pour en savoir, le site de la Plateforme SHS santé ♦
Informations
Colloque « Risques, crises et sciences humaines et sociales : vers des observatoires inclusifs santé-environnement-travail », campus Condorcet, Aubervilliers, du 24 au 26 octobre, retransmis en direct et en visioconférence.
Lien vers le programme
- 1. Céline Véniat est sociologue, membre associée au Centre d'études des mouvements sociaux (EHESS/CNRS/Inserm). Elle a mené cette enquête dans le cadre d'un postdoctorat de la Plateforme SHS Santé CNRS.
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Auteur
Spécialisé dans les thématiques liées aux religions, à la spiritualité et à l’histoire, Matthieu Sricot collabore à différents médias, dont Le Monde des Religions, La Vie, Sciences Humaines ou encore l’Inrees.
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