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Six moments de télé qui ont marqué l'histoire
Les archives de la télévision nous touchent car elles font resurgir des souvenirs qui participent désormais de notre mémoire collective. De ces images, Monique Sauvage et Isabelle Veyrat-Masson1 ont tiré « Culture TV. Saga de la télévision française », une exposition visible au Musée des arts et métiers.
1953 : tout le faste de la monarchie dans votre salon
« Le 2 juin 1953, la cérémonie du couronnement d’Élisabeth II, jeune reine de 27 ans, marque les esprits. Pour suivre le sacre en direct, les Français, encore très peu équipés, se massent devant les vitrines des marchands de télévisions. L’événement correspond d’ailleurs à une vague d’achat de récepteurs. Retransmis pour la première fois en Eurovision, il est commenté par un journaliste avec un ton très particulier, dont Léon Zitrone ensuite fera un genre télévisuel en soi. Dans cette période où les ménages s’équipent, les Français comprennent vite l’intérêt d’avoir une télévision. C’est le début d’un fort engouement pour cette manière de vivre, depuis chez soi, de grands événements par le biais de l’image. Pour des sociologues comme Daniel Dayan et Elihu Katz ces « media events », véritables moments de « communion », sont créateurs de lien social. Un lien très profond parfois, lié à notre humanité même, comme lorsque la télévision a retransmis les premiers pas de l’homme sur la lune en 1969. Les événements mondains satisfont un besoin de divertissement. Les Anglais parlent de « celebrities », et nous de « people », pour évoquer ces puissants, ces riches ou/et beaux pour la vie desquels les simples gens se passionnent. La télévision va en partie entretenir cet appétit populaire, d’ailleurs vieux comme le monde. Auparavant, on descendait dans la rue pour voir les rois et les reines, des images circulaient. Si le cinéma a fait connaître ce qu’Edgar Morin appelait des « olympiens » pour parler des vedettes du 7e art, la télévision a sans doute contribué à rendre plus proches les personnages inaccessibles. »
Voir la vidéo du couronnement sur le site de l'INA, et ce passage commenté par Léon Zitrone.
1967 : Les Dossiers de l’écran ouvrent une fenêtre sur la société
« Créés en 1967 par le journaliste et producteur Armand Jammot, Les Dossiers de l’écran ont accompagné les grands débats historiques et sociétaux de la France de l’après-guerre pendant de longues années. L’émission commençait par un film, suivi d’un débat et de questions posées par les téléspectateurs. Le film permettait d’entrer dans le sujet, de sensibiliser et de toucher le plus grand nombre. Il créait un terrain commun pour le débat, seule forme possible pour traiter des sujets délicats ou brûlants. Il s’agissait de débats sérieux, menés avec une gravité assez éloignée de l’ironie actuelle. Des sujets comme le crime passionnel, l’homosexualité, la collaboration, l’antisémitisme ou le racisme y ont été abordés pour la première fois. Ils ont été souvent très animés, troublés parfois par des arrivées inopinées et quelquefois à l’origine de prolongements dans l’espace public. Certaines émissions, comme celle touchant à l’extermination des Juifs d’Europe, ont rencontré un succès immense. Avec la série américaine Holocauste, certains Français découvraient cet événement, à travers des images de reconstitution mais aussi des témoignages de survivants dans le débat qui a suivi. Grâce à la télévision, le sujet est mis sur la place publique, les soirées sur ce thème – et sur la responsabilité de la France de Vichy – se multiplient. En ce sens, la télévision va fortement contribuer à la constitution d’une mémoire collective sur cette époque. »
Voir un extrait des Dossiers de l'écran consacré à la révolution mexicaine sur le site de l'INA
Mai 1968 : une brèche dans le monopole de l’information
« En mai 1968, la révolution s’est jouée à l’Université, dans la rue et les usines, mais aussi à la télévision ! À l’époque, le gouvernement nomme les responsables des médias audiovisuels et contrôle les contenus de l’ORTF, entreprise d’État. Pourtant, malgré la censure, la France entière regarde chaque soir les quelques images que les journalistes sont parvenus à tourner et à diffuser sur les événements, et cela suffit pour que chacun comprenne qu’il se passe quelque chose de très important dans le pays. En 1968, la question de l’ambiguïté du statut de l’ORTF et des journalistes de télévision est portée largement dans l’espace public et à travers d’importantes grèves. La revendication d’une information indépendante repose sur l’idée très généralement partagée que le pouvoir politique peut manipuler les gens par la télévision. Nous savons pourtant, mais peu de gens en sont convaincus, qu’aucune recherche empirique n’a trouvé de corrélation entre les programmes diffusés et l’opinion des gens. Les travaux scientifiques montrent plutôt que les messages sont filtrés par les publics et que les conversations provoquées par les contenus jouent, elles, un rôle déterminant dans la formation de l’opinion. On le sait, l’ordre en 1968 est vite revenu. La télévision française ne commence à se libéraliser qu’à partir de 1974 avec l’éclatement de l’ORTF et l’ouverture à une certaine concurrence entre les chaînes. Le combat pour la liberté d’informer est pourtant loin d’être gagné. Les pressions de la sphère politique sur les médias de service public demeurent : les nominations, celles des responsables de la télévision publique puis des membres composant les instances de régulation de l’audiovisuel (Haca, CNCL, CSA) restent un sujet sensible. »
Voir la vidéo consacrée aux manifestations de Mai 68 sur le site de l'INA
1974 : les politiques entrent dans l’arène
« À l’origine, le débat de mai 1974 entre Valéry Giscard d’Estaing et François Mitterrand s’inspire de celui qui avait opposé Nixon et Kennedy en 1960. Alors que les États-Unis ont abandonné la formule, en France, ce duel binaire de la vie politique française s’installe comme une tradition. C’est même l’acmé des élections présidentielles avec des audiences qui voisinent les 20 millions de spectateurs. Comme aux débuts de la télévision, les Français de toutes obédiences se réunissent devant leur récepteur, partageant la même expérience. En ce sens, ces débats sont devenus de véritables spectacles populaires. C’est tellement vrai que les débats de 1974 et de 1981 ont récemment été joués et mis en scène au théâtre. Pourquoi cette passion française ? Ces débats sont des moments de grande tension : on y trouve une vérité et une authenticité indiscutables. Le danger pour les candidats est palpable malgré les stratégies. Tout devient possible dans ce grand direct de la démocratie. Chacun de nous, tel un spectateur de corrida, espère ou craint l’accident et la mise à mort (symbolique !). On distribue des points aux uns et aux autres. On admire l’habilité à rétorquer, à surprendre l’adversaire, à lancer ces fameuses petites phrases. La performance de l’homme politique est jugée par un public de plus en plus expert. Pourtant, aucun débat n’a encore renversé une élection. Les choses sont la plupart du temps déjà jouées ; si les débats modifient l’opinion de certains, ce serait à la marge, celle des indécis… »
Voir la vidéo de l'introduction du débat télévisé entre Valéry Giscard d'Estaing et François Mitterrand sur le site de l'INA
1998 : les héros du jour
« Les Coupes du monde de football sont les émissions qui rassemblent le plus de téléspectateurs. Il me semble que la télévision a démultiplié le rôle du sport dans la société. Les grands matchs sont des moments forts durant lesquels se renforce le sentiment d’appartenance, à une équipe, à une nation, à un groupe humain. Les Coupes du monde sont des rituels populaires dans lesquels la télévision est centrale. Tous les quatre ans, on se réunit avec des amis, en famille, on boit un verre et on partage ce moment léger, festif. Le soir du 12 juillet 1998, la victoire de la France au Mondial de football a revêtu une signification particulière. La composition de l’équipe nationale a pris le visage de la diversité : la France était devenue "black-blanc-beur" à cette occasion. Ce sont des Français de toutes les couleurs et de toutes les origines qui ont permis cette victoire. Ce soir-là, nous appartenions tous à une nation dont on voyait bien la complexité et la diversité. La télévision a donné cela à voir très massivement. Les jeunes issus de l’immigration ont pu exprimer leur fierté, revendiquer une appartenance à la France, appartenance qui n’excluait pas une fidélité à leur pays d’origine. Une brèche s’était ouverte, qui s’est refermée depuis. Pourtant, ce moment a existé, il a laissé une trace. Il fait partie de notre mémoire collective. »
11 septembre 2001 : ce que nous ne voyons pas
« S’il n’y avait pas eu les caméras de surveillance, nous n’aurions probablement pas eu le même 11 septembre ! Nous n’aurions pas vu les avions rentrer dans les tours, ni peut-être leur effondrement. Ce jour-là, l’omniprésence des caméras nous a permis de voir en direct, ou quelques minutes après, un événement inimaginable, proprement sidérant. Un pas de plus a été franchi dans le fait de voir le monde partout et tout le temps. En visionnant les archives, nous n’avons pas trouvé le moment où un journaliste, commentant en direct l’événement, se serait exclamé devant la chute des tours « Regardez, la tour tombe ! ». Devant les images, incroyables, de l’écroulement de la première tour, aucun commentateur ne comprend en effet, tout de suite, ce qui se passe devant ses yeux. Il ne peut que constater a posteriori ce qu’il n’a pas pu/su saisir. Comme si ce qui était advenu sous ses yeux n’était pas immédiatement dicible. Par la suite, nous avons tous vu ces images en boucle pendant des jours et des semaines. Et, si on peut les regarder autant de fois, c’est aussi parce que ces images sont « clean » : pas de sang, pas de morts, pas de hurlements. Le réel est supportable parce qu’il ressemble à une fiction, une fiction qui nous protégerait de la violence du réel. Si nous les avons tellement regardées, ad nauseam, c’est aussi parce qu’il nous a fallu du temps pour les assimiler. Or ce qui nous retenait devant l’écran, c’était non seulement ce que l’on voyait mais surtout ce que l'on ne pouvait pas voir. Voir et revoir ces images nous aidait à faire un travail de reconstitution de la réalité. L’image ne suffit pas, il faut aller au-delà. L’écran de la télévision… fait écran. On regarde indéfiniment les films du 11-Septembre parce que l’on sait que, au-delà des images, 3 000 personnes souffrent et meurent dans un silence fracassant. »
En librairie :
Histoire de la télévision française, Monique Sauvage et Isabelle Veyrat-Masson, Nouveau Monde, coll. « Poche Histoire », octobre 2014, 402 p., 8 €
- 1. Monique Sauvage a exercé des responsabilités à Radio France, puis à FR3 et France Télévisions. Isabelle Veyrat-Masson est directrice du laboratoire Communication et politique du CNRS.
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Auteur
Claire Debôves est rédactrice institutionnelle multi-supports au sein de la Direction de la communication du CNRS.