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Un jeu vidéo pour détecter Alzheimer
En matière de recherche médicale, le volontaire 2.0 n’a plus rien de l’ancien cliché du cobaye humain. De chez lui ou dans les transports en commun, il joue sur son Smartphone à… un jeu vidéo. En l'occurrence, Sea Hero Quest, jeu gratuit, qui, dans sa version classique ou en réalité virtuelle, offre plusieurs défis de navigation et d’orientation à un capitaine de navire. Mais dans cet univers fictif, les performances du joueur ne servent pas qu’à progresser à travers les niveaux, elles sont soigneusement enregistrées et envoyées, avec son accord, à une équipe de chercheurs en neurosciences spécialisés dans le dépistage de la maladie d’Alzheimer.
Une échelle planétaire
Répartis entre le Laboratoire des sciences du numérique à Nantes (LS2N)1, l’University College de Londres et l’University of East Anglia de Norwich, les scientifiques disposent d’une base de données gigantesque issue des 4 millions de joueurs de Sea Hero Quest. Pour Antoine Coutrot, chargé de recherche au LS2N, l’enjeu principal était justement de constituer le plus grand catalogue possible. « Dans la littérature scientifique des neurosciences, les cohortes comportent entre 50 et 100 candidats quand tout va bien, déplore Antoine Coutrot. Pour notre étude sur Alzheimer, nous voulions atteindre une échelle planétaire. » Une façon de contourner l'un des principaux écueils des études actuelles, qui présentent souvent un important problème de reproductibilité : « Les résultats obtenus changent beaucoup trop lorsque les mesures sont à nouveau prises sur d’autres personnes », explique le chercheur.
L’initiative vient de l’entreprise Deutsche Telekom, qui, en 2015, a contacté l’University College de Londres, où Antoine Coutrot réalisait son postdoctorat, et celle d’East Anglia. Les chercheurs ont rapidement compris que pour attirer le maximum de personnes, ils ne pouvaient pas concevoir eux-mêmes le jeu. Ils ont donc fait appel à un développeur professionnel, Glitchers, qui avait déjà plusieurs jeux mobiles à son actif. À force d’échanges sur plusieurs mois, des tâches et des exercices issus de la littérature scientifique ont été intégrés de manière totalement ludique et agréable.
« Le jeu est sorti en mai 2016, disponible gratuitement sur l’Apple Store et Google Play, précise Antoine Coutrot. Nous nous attendions à avoir plusieurs milliers de joueurs. Ils ont en fait été des centaines de milliers, puis des millions. Une belle surprise ! » Les chercheurs en ont ainsi tiré les performances d’orientation de 4 millions de personnes, qu'ils ont pu croiser avec leur âge, leur sexe et leur pays. Pas de risque de biais lié à une pratique régulière des jeux vidéos : les chercheurs se sont en effet assuré, en demandant à une équipe de volontaires de se prêter à des exercices d'orientation dans les rues de Paris et de Londres, que les performances coïncidaient aux résultats obtenus dans Sea Hero Quest.
L’orientation sous influence
Une première vague de résultats, publiée en 2018, a d’abord montré que l’âge est un facteur majeur dans les compétences en orientation, hors Alzheimer : notre faculté à nous orienter décroît en vieillissant. Viennent ensuite le sexe, puis l’origine. « La nationalité a un impact qui est très corrélé au PIB du pays en question : l’éducation et les opportunités de voyager à l’intérieur et à l’extérieur de son pays influencent la façon de s’orienter dans l’espace, insiste Antoine Coutrot. De même, les meilleures performances des hommes, souvent observées dans la littérature, dépendent du degré d’égalité des sexes dans le pays considéré. Les différences, très marquées en Égypte ou en Arabie Saoudite, s’estompent presque totalement en Scandinavie. L’importance de la culture et de la société sur l’orientation spatiale n’aurait pas pu être mesurée sans un jeu de données de cette ampleur. »
La seconde salve scientifique, centrée sur Alzheimer, vient de paraître. Les chercheurs y ont comparé les résultats à Sea Hero Quest aux symptômes précoces de la maladie d’Alzheimer. Leur conclusion : les personnes aux mauvais résultats, par rapport à la moyenne des individus de même âge, sexe et origine, présentent davantage de prédispositions à la maladie d’Alzheimer, même quand les tests classiques ne décèlent rien.
En particulier, ils ont plus de chances de porter l’allèleFermerVersion variable d'un même gène. Par exemple, vert, marron, bleu pour le gène codant la couleur des yeux. 4 du gène apolipoprotéine E (ApoE), qui multiplie par quatre les risques de développer la maladie d’Alzheimer et est présent chez environ 20 % de la population. Si le jeu n’a pas vocation à servir d’outil de dépistage, sa base de données pourra en revanche offrir un référentiel aux médecins lors de leurs diagnostics. Si une dame âgée présente des soucis d’orientation, cela permettra de savoir si ces difficultés sont normales pour son groupe démographique ou si elles sont plus inquiétantes.
L’aide de l’intelligence artificielle
Les chercheurs poursuivent aujourd’hui l’exploitation de cette phénoménale réserve de données, qui attire d’autres laboratoires prêts à collaborer. « Une altération de l’orientation peut être mesurée dans différentes maladies que celle d’Alzheimer, précise Antoine Coutrot. Elle est liée à des zones cérébrales profondes, comme l’hippocampe, en rapport avec la mémoire. On explore la liste des facultés et maladies cognitives pouvant être ainsi quantifiées, comme l’épilepsie ou le syndrome post-traumatique. » Ce travail réclame l’aide d’intelligences artificielles (IA) et Antoine Coutrot planche à présent sur le machine learning, ou « apprentissage automatique ». Le but est d’entraîner des algorithmes afin qu’ils repèrent des groupes d’individus à risque en dehors des cas les plus évidents, comme les personnes âgées. L’IA pourrait également découvrir que des ensembles apparemment différents partagent certains comportements, et essayer de comprendre pourquoi. Comme quoi, même pour des chercheurs, il est difficile de s’orienter seuls dans les données de 4 millions de terriens... ♦
- 1. Unité CNRS/ École centrale de Nantes/Université de Nantes/IMT Atlantique-Institut Mines-Télécoms.
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Auteur
Diplômé de l’École supérieure de journalisme de Lille, Martin Koppe a notamment travaillé pour les Dossiers d’archéologie, Science et Vie Junior et La Recherche, ainsi que pour le site Maxisciences.com. Il est également diplômé en histoire de l’art, en archéométrie et en épistémologie.