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Jeux vidéo : les maths sous toutes les surfaces
La Maison Poincaré, à Paris, reprend une exposition sur la contribution des mathématiques aux représentations en trois dimensions, notamment dans les univers virtuels que sont les jeux vidéo. De quelle façon servent-elles au graphisme ?
Olivier Druet1 Quand on pense aux mathématiques dans les jeux vidéo, on les associe surtout à l’informatique, au codage du jeu en tant que tel. Or les mathématiques servent aussi bien à la conception graphique (l’infographisme), de la même manière que dans un film d’animation. En effet, les mathématiques permettent de répondre à un problème artistique connu depuis l’invention de la perspective en peinture à la Renaissance : pour immerger un joueur dans un jeu vidéo, il faut lui redonner l’illusion de la profondeur sur un écran en deux dimensions et, par conséquent, faire en sorte que l’image vue à plat soit la même que celle qu’il verrait dans le monde réel.
Pour ce faire, les infographistes recourent à quantité de concepts mathématiques, allant de la perspective linéaire aux techniques d’ombrage. En effet, pour donner l’illusion qu’on voit la scène d’un certain point de vue, il faut que les rayons lumineux artificiels à l’écran viennent frapper l’œil depuis la direction d’où ils proviendraient dans une scène réelle.
Avec le développement des mondes ouverts dans les jeux vidéo se pose aussi la question de la génération de paysages virtuellement infinis. Pour construire des kilomètres carrés de paysages, les infographistes utilisent des algorithmes de génération procédurale pour automatiser le processus. Ceux-ci peuvent reposer sur des fractales, des objets mathématiques présentant une structure similaire à toutes les échelles. Les forêts et les montagnes virtuelles paraissent alors d’autant plus vraisemblables qu’on a l’impression de voir toujours plus de détails en zoomant ou en s’approchant de plus en plus d’un objet, car les fractales reproduisent le même élément à toutes les échelles. Mais on utilise aujourd’hui des modèles plus développés, reposant parfois sur des programmes d’intelligence artificielle entraînés
Dernier exemple : les infographistes sont particulièrement friands des surfaces « développables », qui peuvent être obtenues en déformant une feuille de papier sans la plier ni la déchirer, comme les cônes ou les cylindres. Ces surfaces ont pour particularité de conserver les angles quand on passe d’un plan à un volume. Ce qui permet aux infographistes de les peindre à plat avant de les transposer telles quelles sur une surface en volume. Elles sont de fait très pratiques pour modéliser les mouvements des vêtements ou d’un drapeau qui flotte au vent.
En donnant l’illusion d’une troisième dimension alors qu’ils travaillent sur des plans en deux dimensions, les infographistes vidéoludiques sont confrontés à des problèmes mathématiques connus depuis la Renaissance.
O. D. Effectivement, et c’est particulièrement le cas dans ce qu’on appelle le « plaquage de textures » – autrement dit, la manière d’appliquer une peau sur un visage virtuel. Comme les infographistes dessinent et peignent à plat, elles et ils rencontrent des phénomènes de déformation en passant d’une représentation en 2D à une autre en 3D. Pour les contourner, ils se réfèrent aux mêmes principes qui régissent les représentations de la Terre à plat.
Les biais des projections terrestres sur les planisphères sont connus depuis longtemps. L’une des projections les plus connues, Mercator, s’avère très utile pour la navigation, car elle conserve les angles. En revanche, elle déforme les distances et les superficies, ce qui laisse apparaître l’Europe beaucoup plus grande qu’elle ne l’est vraiment et surdimensionne le Groenland. On s’en rend compte en observant un globe : il est beaucoup plus facile de rallier en avion Paris et Tokyo en passant par la Sibérie, vu la courbure de la Terre, qu’en survolant l’Asie centrale comme le laisserait croire un planisphère sous projection Mercator !
Les mathématiques contribuent donc aussi bien au réalisme de l’univers qu’à l’optimisation des ressources informatiques lors de la conception d’un jeu vidéo ?
O. D. Tout à fait. L’un des points clés de l’infographie vidéoludique, c’est l’optimisation du temps de calcul. Il n’y a donc pas de modélisation réaliste, mais une illusion de réalisme, quand bien même celle-ci peut s’avérer absurde du point de vue physique. J’en veux pour preuve la manière dont les univers virtuels intègrent la réflexion de la lumière. Éclairages et ombrages participent grandement au réalisme d’un tel univers en donnant à des objets la consistance de la matière, de telle sorte que notre œil puisse distinguer par la seule réflexion lumineuse une mousse verte d’un plastique de la même couleur.
Or une approche réaliste qui représenterait l’ensemble des rayons lumineux d’une scène, voire ceux réfléchis par d’autres objets, serait trop gourmande en calcul, parce qu’elle nécessiterait de calculer en temps réel tous les rayons lumineux qui frappent chaque objet de partout. Pour limiter le calcul des rayons lumineux qui s’éparpillent dans la scène, on préfère aller au plus simple et faire partir le rayon lumineux de l’œil du personnage jusqu’à l’objet visé, soit la théorie de l’émission, défendue par de nombreux philosophes de l’Antiquité ! En effet, selon cette théorie, la perception visuelle reposait sur des rayons lumineux émis par les yeux ; on sait aujourd’hui qu’elle résulte des rayons lumineux émis par une source tierce (soleil, lampe, etc.) puis réfléchis par les objets qu’on regarde.
Ce souci d’économie concerne aussi la modélisation de personnages en volume. Quand on dessine un personnage en 3D, on donne à l’ordinateur un maillage, c’est-à-dire un ensemble fini de points reliés entre eux. Plus le maillage est fin, plus il sera précis… et plus le temps de calcul sera coûteux, au risque que le jeu « rame ». Il faut donc optimiser le maillage et le rendre moins fin lorsqu’il est inutile. Un grand rectangle peut suffire à figurer le dos quand les détails du visage et de ses expressions requièrent un maillage plus fin.
La géométrie telle qu’on l’apprend à l’école serait-elle donc fausse ?
O. D. Non, elle est particulière. En travaillant sur la géométrie des surfaces, on découvre que quantité d’objets mathématiques échappent aux théorèmes appris à l’école. C’est ce qu’on appelle la géométrie non euclidienne. Ainsi, si l’on dessine un grand triangle sur la surface sphérique qu’est la Terre, la somme de ses trois angles est supérieure à 180°… ce qui contredit l’un des résultats fondateurs d’Euclide, qui montre que cette somme est toujours égale à 180° ! En réalité, cette propriété ne vaut pas pour une surface courbe comme la Terre. Elle ne vaut pas non plus pour une surface dite « à courbure négative », comme une selle de cheval, où l’on obtient une somme des angles inférieure à 180°.
En revanche, cette géométrie du collège reste valable sur les surfaces développables. En d’autres termes – et c’est l’un des enseignements quand on travaille sur les surfaces –, la géométrie euclidienne n’est qu’un cas particulier parmi toutes les géométries.
À voir
Exposition « Sous la surface, les maths », jusqu’au 21 mars 2026 à la Maison Poincaré, 11 rue Pierre et Marie Curie, à Paris. À partir de 14 ans.
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- 1. Directeur de recherche au CNRS au sein de l’Institut Camille Jordan (CNRS/École centrale de Lyon/Insa Lyon/Université Lyon 1 Claude Bernard/Université Lyon 3 Jean Monnet), directeur de la Maison des mathématiques et de l’informatique, et commissaire scientifique de l’exposition « Sous la surface, les maths ».
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Auteur
Rédacteur à la direction de la communication du CNRS, Maxime Lerolle s’intéresse aussi bien aux questions environnementales (énergie et biodiversité) qu’à l’actualité culturelle (cinéma et jeux vidéo) éclairée par un regard scientifique.
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