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Une piste pour empêcher les formes sévères de Covid-19
« Neutrophiles » : le grand public connaît peu ce nom, pourtant cette famille de globules blancs jouerait un rôle clé dans la réaction du corps face au Covid-19. « Les neutrophiles en circulation dans le sang sont les premières cellules à être recrutées en cas d’intrusion virale au niveau d’un tissu. Ces cellules du système immunitaire quittent alors la circulation sanguine et s’infiltrent dans le tissu infecté – le poumon, dans le cas d’une infection au Covid-19 », explique Mireille Laforge, immunologiste au laboratoire Toxicité environnementale, cibles thérapeutiques, signalisation cellulaire et biomarqueurs, qui cosigne avec d’autres chercheurs du CNRS, de l’Inserm et d’Université de Paris un article sur le sujet dans Nature Reviews Immunology.
Des cellules qui s'emballent
Une fois dans le tissu infecté, les neutrophiles sont activés et libèrent des radicaux libres qui détruisent l’agent infectieux : les ROS (pour reactive oxygen species), des formes réactives d’oxygène. Problème : si les ROS sont des armes très efficaces contre les intrus, ces dérivés toxiques peuvent échapper au contrôle du corps et se retourner contre lui, en attaquant les cellules saines de l’organisme. « Normalement, le corps dispose de défenses antioxydantes qui neutralisent rapidement les ROS. Mais celles-ci diminuent avec l’âge, ou lors de pathologies comme le diabète, l’obésité et d’autres pathologies chroniques, ce qui conduit à un stress oxydatif », précise l’immunologiste.
C’est ainsi qu’une activation excessive des neutrophiles et une production particulièrement importante de leur arme fatale, les ROS, pourraient être impliquées dans les formes sévères de Covid-19. « Cette hypothèse validée par plusieurs études internationales est renforcée par la présence chez les patients atteints par le Covid-19 d’une proportion de neutrophiles anormalement élevée dans le sang, et ce d’autant plus qu’ils présentent une forme sévère », indique Mireille Laforge.
L’emballement de ces cellules du système immunitaire contribuerait à l’aggravation de la maladie et à diverses complications observées chez les malades envoyés en réanimation : problèmes de circulation et de caillots, dommages dans les poumons et dans divers tissus du corps et un taux d’oxygène insuffisant dans le sang, pouvant conduire jusqu’au décès du patient.
En plus de détruire l’agent infectieux, les ROS sont en effet capables d’attaquer directement les cellules saines de l’organisme comme celles qui constituent les parois des vaisseaux sanguins, mais aussi nos globules rouges – les empêchant de fixer l’oxygène et de le distribuer dans le corps. « Cette atteinte simultanée des tissus pulmonaires et des globules rouges expliquerait pourquoi le taux d’oxygène mesuré dans le sang des patients reste anormalement bas chez des malades qui ont pourtant été mis sous assistance respiratoire », indique la chercheuse.
Le rôle clé des neutrophiles et des radicaux libres dans l’évolution de la maladie expliquerait également pourquoi les enfants, aux neutrophiles moins réactifs et aux défenses antioxydantes plus efficaces, sont moins concernés par les formes sévères du Covid-19.
Vers un diagnostic plus précoce
Cette découverte fondamentale pourrait ouvrir la voie à un diagnostic précoce des malades afin d’identifier parmi eux les patients les plus à risque et de mettre en place rapidement un traitement adapté. « En évaluant la proportion de neutrophiles activés dans le sang ainsi que le stress oxydatif chez les malades dès les premiers jours de la maladie, on pourrait prédire ceux qui sont susceptibles de développer une forme sévère, et leur fournir au plus vite un traitement associant des médicaments anti-élastase pour inhiber les neutrophiles activés et des antioxydants pour piéger les ROS », indique Mireille Laforge.
La bonne nouvelle, c’est que ces molécules thérapeutiques sont déjà sur le marché. Il reste maintenant aux chercheurs à valider leurs hypothèses au cours d’une étude qui pourrait être menée durant la deuxième vague de l’épidémie. « Tout est une question d'équilibre. Il s’agit en effet de ne pas bloquer trop tôt l’action des neutrophiles, car ceux-ci sont évidemment capitaux dans la lutte contre le virus lui-même », pointe l’immunologiste. Ou comment calmer l’emballement du système immunitaire sans l’empêcher de faire son travail. ♦
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Auteur
Journaliste scientifique, Laure Cailloce est rédactrice en chef adjointe de CNRS Le journal. et de la revue Carnets de science.
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