Vous êtes ici
Traitements contre le Covid-19 : les scientifiques affûtent leurs armes
« L’ennemi invisible » n’est pas encore désarmé. Pour tous les spécialistes, le SARS-CoV-2 va continuer à circuler parmi nous un peu à la manière des virus de la grippe et du rhume. La recherche de médicaments contre le Covid-19 reste aussi nécessaire qu’aux premiers jours de l’année 2020. Et cela, pour plusieurs raisons. Tout d’abord, le virus va évoluer au fil du temps. Nul doute, parmi les scientifiques, que l’apparition de nouveaux variants va mettre à l’épreuve le bouclier vaccinal. Ensuite, certaines catégories de la population, les personnes immunodéprimées par exemple, ne sont pas réellement protégées par les vaccins. Sans oublier, comme le rappelle Jean Dubuisson, directeur de recherche CNRS au Centre d'infection et d'immunité de Lille1 (CIIL), les gens qui refusent de se faire vacciner. « Ces personnes, il faudra bien les soigner », soupire-t-il.
Trois grandes stratégies s’ouvrent aux laboratoires qui tentent d’offrir aux médecins de nouvelles stratégies thérapeutiques. Le repositionnement de molécules est la voie la plus rapide. Il s’agit de rechercher parmi les molécules existantes de la pharmacopée celles qui pourraient avoir une activité antivirale. Un des avantages est qu’une grande partie du développement a déjà été réalisée. Vient ensuite la recherche de nouvelles molécules antivirales spécifiques, un processus long et semé d’embûches. En effet, mettre sur le marché un médicament inédit prend en moyenne dix ans pour un investissement qui peut dépasser le milliard d’euros. Enfin, les anticorps monoclonaux pourraient eux aussi devenir des armes de choix contre le SARS-CoV-2.
Voici quelques exemples d’avancées dans ces trois champs de recherche, des illustrations puisées parmi les nombreux projets en cours dans les laboratoires du CNRS.
Le repositionnement : puiser dans les banques de molécules
Aux premières semaines de la pandémie, les laboratoires du monde entier ont puisé dans l’arsenal pharmaceutique déjà disponible pour y rechercher une molécule efficace contre le Covid-19. Parmi eux, l’équipe VirPath, du Centre international de recherche en infectiologie2 (Ciri) à Lyon. Auparavant, l’équipe avait déjà identifié l’efficacité du diltiazem contre les virus influenza, un médicament prescrit pour traiter l’hypertension. Forts de ce résultat, les chercheurs ont voulu savoir si celui-ci avait aussi un effet antiviral sur le SARS-CoV-2. Pour cela, ils ont d’abord réalisé des tests in vitro, puis des expériences en faisant appel à un modèle d’épithélium humain reconstitué.
Ce modèle, constitué de cellules primaires, présente des caractéristiques très proches de celles observées dans le tractus respiratoire humain : « Ce modèle est particulièrement bien adapté à l’évaluation de molécules candidates contre les virus respiratoires, et permet d’identifier les molécules les plus efficaces », explique Olivier Terrier, chercheur au Ciri et lauréat de la médaille de bronze du CNRS 2021. Enfin, en collaboration avec l’équipe de Roger Legrand, ils ont réalisé une évaluation chez l’animal.
Les chercheurs ont montré que le diltiazem ne cible pas directement le virus, mais qu’il induit une partie spécifique de la réponse interféron. Cette réaction immunitaire est la première ligne de défense contre les pathogènes. « Cette molécule pourrait être intéressante seule, ou en association avec des antiviraux classiques qui ciblent le virus », anticipe Olivier Terrier. Grâce à son mode d’action, elle pourrait faire partie de traitements contre un panel plus large de virus respiratoires. Ainsi, un essai clinique de phase 2 pour le traitement des formes graves de grippe vient tout juste de s’achever. À présent, les chercheurs attendent le feu vert des autorités sanitaires pour réaliser, en collaboration avec la start-up Signia Therapeutics, un essai clinique pour le traitement du Covid-19.
Autre piste : les chercheurs du Ciri et du Centre de recherche Saint-Antoine ont découvert que le naproxène, anti-inflammatoire et anti-douleur d’usage courant, présente aussi un effet antiviral contre le SARS-CoV-2. Cette molécule interagirait avec la protéine N du virus, et perturberait ainsi sa réplication. Grâce à l’Assistance publique – Hôpitaux de Paris (AP-HP), un essai clinique, appelé Enacovid, est en cours chez des patients atteints de Covid-19.
Criblage haut débit
De son côté, le Centre d'infection et d'immunité de Lille (CIIL) a découvert une autre molécule prometteuse. Pour cela, grâce à un laboratoire de niveau de sécurité P3 robotisé, ses chercheurs ont testé sur des cultures de cellules l’activité antivirale des 1 942 molécules d’une large chimiothèque. Résultat de ce criblage haut débit : une soixantaine de molécules semblaient bloquer la propagation du virus. « D’expérience, nous savons que dans ce genre de screening, on va trouver quelques dizaines de molécules antivirales. Mais toutes ne sont pas utilisables, explique Jean Dubuisson. Par exemple, il y a des antidépresseurs qui ont une action antivirale, mais on sait qu’ils ne sont pas adaptés pour une thérapie. On ne peut pas attaquer le virus en affectant d’autres fonctions. »
Ainsi, à la suite de recherches bibliographiques et d’une nouvelle batterie de tests, les chercheurs ont rétréci la liste de candidats à une dizaine, pour finalement se focaliser sur un seul composé, le clofoctol, un médicament utilisé pour le traitement des infections bactériennes respiratoires.
Après avoir montré in vitro que le clofoctol bloque la réplication du virus, les chercheurs ont réalisé des expériences sur des souris sensibles au coronavirus. Les résultats se sont avérés très encourageants. In vivo, la molécule bloque toujours la réplication virale et réduit la dégradation des poumons des rongeurs. Mais ce n’est pas tout : ces tests ont montré que le clofoctol présente en prime un effet anti-inflammatoire. Un effet important car l’inflammation induite par le SARS-CoV-2 aggrave l’état de santé des malades. Les chercheurs du CIIL viennent de lancer un essai clinique pour le repositionnement du clofoctol qui sera réalisé sur un panel de 684 patients.
De nouvelles molécules pour de nouvelles cibles
Dès 2003, année où l’épidémie de SRAS a causé environ 800 morts dans le monde, les chercheurs du laboratoire Architecture et fonction des macromolécules biologiques3 (AFMB) avaient compris que les coronavirus reviendraient un jour et feraient des dégâts. Voilà pourquoi, les années suivantes, les chercheurs se sont consacrés à l’étude des protéines du SARS-CoV-1. Ils se sont intéressés en particulier à son complexe de réplication, les enzymes qui lui permettent de se reproduire une fois dans la cellule hôte. En effet, un bon nombre d’antiviraux ont pour effet d’inactiver ce complexe. Après bien des efforts, ils ont réussi l’exploit d’extraire cette machinerie et de la faire fonctionner in vitro. « Grâce à ces travaux, on aurait pu, dès 2012, réaliser des criblages pour chercher des molécules antivirales », se souvient Bruno Canard, directeur de recherche CNRS à l’AFMB. Mais, il y a dix ans, les criblages à haut débit sur des virus émergents étaient difficiles à financer, et les chercheurs sont passés à d’autres sujets.
Avec la pandémie de 2020, les chercheurs ont repris leurs travaux. Ils ont tout de suite remarqué que le complexe de réplication du SARS-CoV-2 était presque identique à celui de son prédécesseur. Ils ont pu alors se mettre rapidement à la recherche d’une molécule capable d’enrayer son fonctionnement. « Grâce à notre plateforme de criblage, pilotée par Jean-Claude Guillemot, nous avons testé environ 20 000 composés de la chimiothèque nationale », explique Bruno Canard. Résultat : les chercheurs ont identifié une dizaine de molécules candidates qui pourraient être développées pour un traitement anti-Covid-19. Ce sont là encore des résultats très préliminaires, mais l’AFMB dispose à présent d’un atout majeur : le laboratoire fait partie du projet européen IMI-Care, un partenariat public-privé né avec la pandémie auquel participent plus de trente partenaires et institutions scientifiques de huit pays (dont le CNRS), ainsi que les principales firmes et start-up pharmaceutiques.
Grâce à cet échange de compétences, l’étude de ces molécules est bien plus rapide. L’AFMB peut se consacrer au criblage de nouvelles molécules et à l’étude de leur mode d’action, tandis que d’autres laboratoires prennent en charge leur optimisation et les différents tests précliniques. L’AFMB travaille aussi sur une molécule, l'AT-527, récemment découverte par l’entreprise américaine ATEA, basée à Boston. Grâce aux travaux réalisés auparavant sur la polymérase du SARS-CoV-1, ATEA et l'AFMB ont établi un partenariat pour déterminer le mécanisme d'action de cet antiviral très prometteur. Les essais cliniques ont montré une efficacité chez les patients, qui a justifié son entrée en phase 3 en juin 2021 aux États-Unis. Ce même médicament est aussi développé contre l’hépatite C et le virus de la dengue, étudié aussi depuis longtemps à l'AFMB.
Antiviraux à large spectre
Avant le début de la pandémie, les chercheurs de l’Institut de recherche en infectiologie de Montpellier4 (Irim) s’étaient engagés dans une voie originale : la recherche d’une molécule efficace sur un large panel de virus à ARN. Pour cela, il leur fallait viser non pas les virus eux-mêmes, mais les protéines cellulaires qu’ils détournent à leur profit pour se répliquer. Ils ont ainsi identifié une hélicase appelée DHX9. Cette protéine, qui a pour fonction de dérouler les molécules d’ARN, est indispensable à la réplication du VIH, du chikungunya, d’Ébola, d’influenza ou encore, de la dengue. DHX9 semblait bien être une cible de choix.
« Nous avons utilisé des outils bioinformatiques pour identifier in silico des molécules potentiellement capables d’inactiver l’hélicase DHX9 », explique Laurent Chaloin, directeur de recherche CNRS à l’Irim. Puis, munis de plusieurs molécules candidates, ils ont testé expérimentalement leur effet antiviral avant de se concentrer sur la plus prometteuse. Celle-ci enraye efficacement, sur des cultures de cellules, la réplication des virus à ARN mentionnés. C’est alors que la pandémie de Covid-19 s’est déclenchée. Les chercheurs ont bien entendu testé la molécule sur le SARS-CoV-2. Résultat : sur ce virus à ARN aussi, elle présente une puissante action antivirale. En effet, comme ils ont pu le montrer, le nouveau coronavirus mobilise lui aussi DHX9 à son profit.
Un des avantages de cette molécule, outre son étonnant spectre d’action, est sa très faible toxicité. « Nos essais confirment qu’en bloquant l’hélicase DHX9, on ne produit pas d’effet néfaste sur les cellules humaines », affirme Jean-Marie Péloponèse, également chercheur CNRS à l’Irim. Il s’avère que, pour ses propres besoins, la cellule dispose d’autres hélicases qui ne sont pas affectées par cette molécule.
À présent, un long travail d’optimisation de la molécule ainsi qu’une longue série de tests attendent les chercheurs. Dans l’immédiat, ils espèrent réaliser un essai in vivo sur des souris sensibles au SARS-CoV-2 avant la fin de l’année. « On espère emmener ce travail jusqu’à la phase clinique. Ensuite, il nous faudra trouver des partenaires, start-up ou firmes pharmaceutiques, pour aller plus loin », conclut Jean-Marie Péloponèse.
Immunothérapies : un nouveau front contre le virus
Les anticorps sont l’une des armes les plus puissantes de notre système immunitaire. Produits par les lymphocytes B en réponse à une agression, ils reconnaissent et neutralisent les agents pathogènes de manière spécifique. Depuis les années 1980, ils sont utilisés pour traiter diverses maladies parmi lesquelles de nombreux cancers, la maladie de Crohn et le psoriasis. Dès le début de la pandémie, chercheurs et firmes pharmaceutiques ont pensé à les utiliser contre le SARS-CoV-2. Ainsi, en octobre 2020, Donald Trump a reçu un traitement expérimental basé sur des anticorps monoclonaux qui, depuis, a été adopté par plusieurs pays dont la France.
Le premier pas pour mettre au point un traitement basé sur les anticorps est de bien choisir la cible que l’on veut inactiver. Sans surprise, la plupart des recherches se focalisent sur la protéine Spike (S) du virus, celle qui lui donne son aspect de bogue de châtaigne et lui permet de s’attacher et d’infecter les cellules de son hôte.
Mais inactiver Spike peut avoir des effets inattendus. C’est ce qu’a montré une équipe franco-singapourienne avec la participation de l’équipe VirPath. Lors de leurs expériences, ils ont criblé in vitro une banque d’anticorps ciblant le domaine de la protéine Spike qui lui permet de s’attacher aux cellules. Certains de ces anticorps étaient très efficaces. Mais d’autres, qui s’attachaient tout aussi bien à Spike, stimulaient la fusion membranaire et la formation de syncytia, des cellules fusionnées possédant donc plusieurs noyaux. Cette propriété de fusion pourrait constituer un problème car la formation de syncytia peut accentuer les dommages tissulaires chroniques observés chez les patients. « L’utilisation thérapeutique d’anticorps présente un énorme potentiel, mais nos travaux soulignent l’importance d’un travail de caractérisation préclinique en amont, pour éviter des effets indésirables potentiels », avertit Olivier Terrier.
Apaiser le système immunitaire
À l’Institut Cochin, c’est une cible différente que les chercheurs étudient. Leur idée n’est pas d’attaquer le virus avec des anticorps monoclonaux, mais de moduler la réponse immunitaire des patients. En effet, dans de nombreux cas graves de Covid-19, c’est la réaction disproportionnée des défenses de l’organisme qui compromet la survie des malades. En cause, une catégorie de cellules tueuses du système immunitaire, les cellules MAIT. Activées par des cytokines, molécules produites, entre autres, par les macrophages, les cellules MAIT s’accumulent dans les poumons et peuvent tuer aussi bien les cellules infectées que les cellules saines. Chez de nombreux patients, elles sont associées à la dégradation de l’épithélium pulmonaire et à la détresse respiratoire. De ce fait, à l’hôpital Bichat, le niveau d’activation des cellules MAIT sert déjà de marqueur pronostique : si celui-ci est élevé, c’est que l’état du patient va se dégrader prochainement.
Les anticorps monoclonaux pourraient aider à limiter cette surréaction du système immunitaire. « Nous avons identifié deux anticorps monoclonaux capables d’inactiver les MAIT, annonce Agnès Lehuen, directrice de recherche CNRS à l’Institut Cochin. Le premier est déjà commercialisé par la firme GSK pour le traitement de certains cas graves de la maladie de Crohn. Le deuxième est encore expérimental et n’a fait l’objet que d’essais précliniques. » Mais déjà, les chercheurs ont montré que ce dernier inactive bien les cellules MAIT lors de tests in vitro. La prochaine étape consiste à optimiser et tester cet anticorps monoclonal pour lancer des essais cliniques.
De tous les anticorps et molécules anti-Covid-19 étudiés dans les laboratoires, impossible de dire lesquels seront un jour administrés aux patients. Dans ce domaine, il y a de beaucoup d’aspirants et très peu d’élus. Cependant, l’importance de ces travaux va au-delà du développement de stratégies thérapeutiques. « On apprend énormément de choses sur les virus à chaque fois que l’on découvre une nouvelle molécule antivirale, rappelle Bruno Canard. On obtient des informations sur leur structure et leurs interactions avec notre organisme ». Ils permettent aussi de mobiliser des outils nouveaux pour la recherche de traitements. Ces outils et connaissances seront cruciaux lorsque la prochaine pandémie se déclarera quelque part dans le monde, un jour que l’on espère aussi éloigné que possible. ♦
À lire sur notre site
Covid-19 : 1,5 milliard de molécules passées au criblage virtuel
Les chimistes du projet Gavo s’attaquent aux virus
La bioinformatique, une alliée de taille contre le Covid-19
À voir sur notre site
Quelles molécules contre le SARS-CoV-2 ? (vidéo)
Commentaires
Bonjour
samaki soufiane le 16 Août 2021 à 13h06Connectez-vous, rejoignez la communauté
du journal CNRS