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La matière noire enfin détectée ?

La matière noire enfin détectée ?

10.10.2014, par
Amas de Persée
Amas de Persée vu aux rayons X par le télescope spatial Chandra.
Dans ce Top 10, on s'intéresse à ce signal provenant d'un amas galactique lointain qui pourrait constituer la toute première détection de matière noire, une composante mystérieuse de l’Univers traquée depuis plus de quatre-vingts ans.

Les astronomes ont-ils mis la main sur les premières particules de matière noire, cette substance invisible qui représente plus de 80 % de la masse de l’Univers et dont la nature nous échappe depuis plus de quatre-vingts ans ? C’est ce que laisse espérer la détection, en février dernier, d’un mystérieux signal, sous la forme de rayons X, en provenance d’amas de galaxies lointains. Après avoir éliminé toutes les explications possibles les unes après les autres pour rendre compte de cette observation, plusieurs groupes de chercheurs parviennent à la même conclusion : le signal ne peut être dû qu’à la présence de matière noire dans ces amas.

Une masse très attractive mais insaisissable

Aujourd’hui, peu de scientifiques doutent encore de l’existence de cette composante énigmatique devenue un ingrédient essentiel pour expliquer l’évolution de l’Univers. Indécelable par les télescopes parce qu’elle n’émet aucune lumière, la matière noire peut toutefois être détectée par les effets gravitationnels qu’elle produit sur la matière visible. Dans les amas de galaxies, par exemple, des structures géantes regroupant plusieurs milliers de galaxies comme la Voie lactée, c’est la présence de matière noire qui permet d’expliquer les vitesses anormalement élevées de ces dernières autour du centre de l’amas. À de telles vitesses, elles auraient dû en effet échapper à l’attraction de leurs congénères. À moins que l’amas n’abrite de la masse supplémentaire qui exerce une attraction suffisante pour maintenir les galaxies regroupées, autrement dit de la matière noire. Mais pour être totalement convaincus de son existence, les scientifiques recherchent désormais des traces plus directes de cette matière fantôme. Dans des détecteurs souterrains ou à bord d’expériences embarquées dans des satellites d’abord, ils tentent ainsi d’attraper les particules dont elle serait constituée. Dans les accélérateurs de particules ensuite, ils essayent de fabriquer et de détecter de telles particules.

Distribution de matière noire dans un amas de galaxies
Amas galactique géant CL0025+1654 situé à 4,5 milliards d’années-lumière : les galaxies visibles sont en jaune, la matière noire (invisible) est représentée en bleu.
Distribution de matière noire dans un amas de galaxies
Amas galactique géant CL0025+1654 situé à 4,5 milliards d’années-lumière : les galaxies visibles sont en jaune, la matière noire (invisible) est représentée en bleu.

Un signal inexpliqué venu de Persée

C’est dans cet objectif que deux équipes d’astronomes, l’une menée par Esra Bulbul, du Harvard-Smithsonian Center for Astrophysics aux États-Unis, et l’autre dirigée par Alexey Boyarsky, de l’université de Leiden aux Pays-Bas, ont pointé les observatoires spatiaux XMM-Newton et Chandra sur plus de 70 amas de galaxies lointains, notamment celui de Persée, situé à 240 millions d’années-lumière de la Terre. Ce type de structures abriterait, pense-t-on, la plus forte densité de matière noire dans l’Univers. Ce qui en fait des cibles privilégiées pour les astronomes. Dans leurs données, les deux groupes découvrent alors avec excitation, et ce indépendamment l’un de l’autre, la présence d’un « pic » de rayons X à une énergie d’environ 3,5 kilo-électronvolts (3,5 keV) qu’ils ne peuvent associer à aucun phénomène astrophysique connu.

Ce nouveau signal
ne correspond
à aucun élément chimique connu.

Dans ces structures, l’espace entre les galaxies n’est pas vide, mais il est rempli de gaz chauffé à plusieurs millions de degrés émis par les explosions d’étoiles au sein des galaxies. Sous l’effet de la chaleur, ce gaz génère des rayons X qui permettent alors de remonter, en fonction de l’énergie de ces rayonnements, aux différents éléments chimiques qui composent le nuage de gaz. On a pu ainsi identifier la présence d’oxygène, de fer, de calcium, de soufre et de bien d’autres éléments encore.

L’hypothèse du neutrino stérile

Mais ce nouveau signal ne correspond à aucun élément chimique connu. « Si bien qu’aujourd’hui l’explication la plus convaincante est celle de la détection de particules de matière noire », juge Yann Mambrini, du Laboratoire de physique théorique d’Orsay1, coauteur d’un article qui met en avant cette hypothèse audacieuse2. Mais à quoi ressemblent ces particules ? Deux scénarios sont avancés. Dans le premier modèle, privilégié par les deux groupes à l’origine de la découverte3, le signal observé correspondrait à la désintégration d’un neutrino dit stérile, une particule hypothétique dont l’existence a été postulée par les physiciens au début des années 2000. Ce quatrième neutrino, qui viendrait s’ajouter aux trois autres déjà connus, présente la caractéristique de n’interagir avec aucune autre particule, sauf par gravitation. Exactement ce qu’on attend de la matière noire. D’après ses partisans, ces neutrinos stériles se désintégreraient en émettant un neutrino « normal » et un photon doté d’une énergie de 3,5 keV. Et ce sont ces photons que XMM-Newton et Chandra auraient capturés.

Un nouveau boson de Higgs ?

Dans le second scénario, avancé par Yann Mambrini et ses collègues, le signal serait cette fois le résultat de l’annihilation de particules de matière noire d’une autre nature. « À la suite de leurs collisions, celles-ci produiraient une sorte de boson de Higgs mais beaucoup plus léger que celui qui a été découvert au LHC le 4 juillet 2012, explique le physicien. À son tour, ce boson, déjà prédit par certains modèles, se désintégrerait pour donner deux photons, de 3,5 keV chacun. »

Ces candidates
à la matière noire
sont des particules
cent fois plus
légères qu’un électron.

Dans un cas comme dans l’autre, ces candidates à la matière noire sont des particules légères, cent fois plus légères qu’un électron par exemple. Une propriété qui tranche avec celle des « particules élémentaires massives interagissant faiblement », les WIMP, d’autres particules candidates, plusieurs millions de fois plus lourdes, sur lesquelles les recherches se focalisent actuellement. « Ces particules légères offrent une alternative extrêmement intéressante », confie Gianfranco Bertone, à la tête du groupe Astroparticules de l’université d’Amsterdam aux Pays-Bas, actuellement en détachement du CNRS.

Le détecteur de matière noire Edelweiss-III
Dispositif de détection directe des particules WIMP utilisé dans l’expérience Edelweiss.
Le détecteur de matière noire Edelweiss-III
Dispositif de détection directe des particules WIMP utilisé dans l’expérience Edelweiss.

La matière noire moins froide que prévu ?

Qui plus est, ces particules poids plume offrent un avantage de taille sur leurs rivales : elles permettent d’expliquer le faible nombre de galaxies satellites autour de la Voie lactée. Dans les scénarios cosmologiques, la matière noire s’est regroupée dans certaines zones, puis c’est la matière ordinaire qui s’est ensuite accumulée autour de ces puits gravitationnels pour former les galaxies principales et celles en orbite autour de ces dernières. « Comme ils sont massifs, les WIMP se déplacent lentement et s’accumulent donc facilement, explique Yann Mambrini. Résultat : ils auraient dû donner naissance à de très nombreuses galaxies autour de la Voie lactée. Or on en observe beaucoup moins. À l’inverse, les particules légères de matière noire, en mouvement rapide, auraient mis plus de temps à concentrer la matière si bien qu’elles auraient engendré autant de galaxies satellites que ce que montrent effectivement les observations. »

Une découverte à confirmer

Télescope japonais Astro-H
Vue d’artiste du télescope spatial à rayon X japonais Astro-H.
Télescope japonais Astro-H
Vue d’artiste du télescope spatial à rayon X japonais Astro-H.

Malgré tout, face à cette nouvelle potentiellement très importante, la prudence reste de mise. « Même si le signal observé s’avère statistiquement significatif, on n’est pas à l’abri d’une erreur, avance Gianfranco Bertone. D’abord parce que ces observations poussent Chandra et XMM-Newton dans leurs derniers retranchements en termes de précision. Et puis, il est toujours possible que ces rayons X proviennent d’un processus ordinaire encore mal compris. » Le verdict devrait maintenant venir de nouvelles mesures sur notre propre galaxie. On attend beaucoup notamment du télescope spatial à rayons X japonais Astro-H, qui sera lancé l’année prochaine. Celui-ci scrutera le centre de la Voie lactée avec une précision inégalée et, si ce mystérieux signal existe vraiment, il ne pourra alors pas le rater…

Notes
Aller plus loin

Auteur

Julien Bourdet

Julien Bourdet, né en 1980, est journaliste scientifique indépendant. Il a notamment travaillé pour Le Figaro et pour le magazine d’astronomie Ciel et Espace. Il collabore également régulièrement avec le magazine La Recherche.

À lire / À voir

Le Mystère de la matière noire. Dans les coulisses de l’Univers, Gianfranco Bertone, Dunod, coll. « Quai des Sciences », avril 2014, 224 p., 18,90 €

Commentaires

11 commentaires

Voici une théorie des plus pertinentes : la matière noire ne serait qu’une extension de la création de paire ! Ci-joint la vidéo qui l’explique : https://www.youtube.com/watch?v=D6x7RRKIGx8&t=14s Théorie scientifique ou erreur humaine ? Qu’en pensez-vous ?

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