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Planète 9 : la piste se précise

Planète 9 : la piste se précise

24.02.2016, par
Vue d'artiste de la 9e planète supposée du Système solaire. Gazeuse, située bien au-delà de l’orbite de Neptune, elle mettrait 10.000 à 20.000 ans pour effectuer une orbite complète autour du Soleil.
Après que des astronomes américains ont postulé l’existence d’une neuvième planète, une équipe française a réduit de moitié l’incertitude sur sa position possible dans le système solaire. Entretien avec l'un des chercheurs à l'origine de cette prouesse.

À peine un mois après l’annonce  de  l'existence possible d’une nouvelle planète dans le système solaire par deux chercheurs du Caltech (États-Unis), vous avez publié une estimation des positions possibles de cette planète. Ce délai est remarquable quand on connaît le processus de validation par les pairs propre aux publications scientifiques. Étiez-vous déjà sur la piste d’une planète avant cette annonce ?
Jacques Laskar, directeur de recherche CNRS à l’Institut de mécanique céleste et de calcul des éphémérides (IMCCE1) : Oui, les astronomes soupçonnaient l’existence d’une planète supplémentaire de type « super-Terre » depuis 2014, quand l’objet 2012 VP113 a été découvert dans la ceinture de Kuiper. L’orbite atypique de cette planète naine,  et de celle de Sedna, nécessitait en effet de nouvelles hypothèses. Nous avions donc déjà commencé avec ma collègue Agnès Fienga du laboratoire GéoAzur2 à voir comment les éphémérides planétaires INPOP pouvaient contraindre la présence d'un objet supplémentaire dans le système solaire. Alors, quand le 20 janvier dernier, Konstantin Batygin et Mike Brown ont publié3 dans Astronomical Journal la nouvelle d'une possible 9ème planète de 10 masses terrestres, nous avons décidé de mettre le turbo ! Nous nous sommes concentrés sur l'orbite proposée par ces chercheurs pour aboutir à un résultat rapide permettant de décider si une telle planète était possible ou non. Nous avons pu ainsi soumettre dès le 31 janvier nos résultats à la revue Astronomy & Astrophysics qui a accepté notre article le 16 février4: nous y confirmons non seulement la plausibilité de l’hypothèse avancée par les américains, mais nous sommes en plus en mesure de réduire de moitié l’incertitude quant aux positions possibles d’une éventuelle planète.

Sur quelles observations nouvelles reposent votre « affinement » des résultats de Batygin et Brown ?
J. L. : En fait, notre méthode est complètement différente de celle qu’ont utilisée les chercheurs du Caltech. Elle repose aussi sur des données observationnelles différentes. Comme je vous l’ai dit, notre travail s’est appuyé sur un modèle baptisé INPOP, développé depuis 2003, qui intègre près de 150 000 observations des planètes et des astéroïdes du système solaire. Il nous permet d’établir des éphémérides prédisant à tout moment la position des corps du système solaire en tenant compte de leurs interactions gravitationnelles mutuelles. Ces éphémérides sont d’une précision telle qu’ils permettent par exemple de connaitre à tout moment la distance entre Saturne et la Terre avec une marge d’erreur de 75m !
 Pour tester la présence d’une neuvième planète d’une dizaine de masses terrestres, nous l’avons introduite dans le modèle dynamique INPOP en utilisant les paramètres, et les configurations possibles, suggérés par Batygin et Brown, puis nous avons recalculé les éphémérides obtenus pour Saturne dans  chacune de ces configurations. En comparant ces éphémérides aux données recueillies sur la position de Saturne par la sonde Cassini depuis 2004, nous avons pu constater que certaines positions de la planète 9 augmentaient considérablement la marge d’erreur du modèle INPOP, tandis que d’autres la diminuaient. INPOP ayant démontré sa fiabilité, nous en avons déduit que la planète 9 ne peut pas se situer dans des positions augmentant significativement la marge d’erreur actuelle du modèle. Elle a en revanche une plus forte probabilité de se situer dans des zones où la présence d’une nouvelle planète diminue cette marge.

Orbite pour une possible neuvième planète. L'analyse des données de la sonde Cassini permet de définir des zones interdites (en rouge) où les perturbations créées par la planète sont incompatibles avec les observations, et une zone probable (en vert) où l'introduction de la planète améliore le modèle de prédiction des distances Terre-Saturne en réduisant les différences entre les calculs et les données de Cassini.
Orbite pour une possible neuvième planète. L'analyse des données de la sonde Cassini permet de définir des zones interdites (en rouge) où les perturbations créées par la planète sont incompatibles avec les observations, et une zone probable (en vert) où l'introduction de la planète améliore le modèle de prédiction des distances Terre-Saturne en réduisant les différences entre les calculs et les données de Cassini.

Vos résultats indiquent donc une zone où la présence de la planète est la plus probable, et excluent certaines autres. Par rapport aux hypothèses initiales de Batygin et Brown, à quel point avez-vous réduit l’incertitude quant à la position d’une éventuelle planète 9 ?
J. L. :
Notre résultat le plus solide concerne les zones d’exclusion, celles où la présence de la planète 9 est impossible car l'écart entre les positions constatées de Saturne et celles calculées par INPOP serait trop important. L’étude de Batygin et Brown fournissait quelques contraintes quant à l’inclinaison de l’orbite de la planète 9 par rapport au plan de l’écliptiqueFermerL'écliptique est le plan sur lequel orbitent les 8 planètes connues du système solaire, de Mercure à Neptune, ainsi que les astéroïdes de la ceinture principale; ce qui n'est pas le cas des planètes naines de la ceinture de Kuiper comme Pluton ou Sedna, mais aucune quant à sa position sur cette orbite, relativement aux autres planètes : les observateurs auraient donc dû scruter toutes les directions possibles sur 360° pour pouvoir l’observer. Grâce à nos calculs, nous avons pu ramener l’éventail des directions possibles à 180°. Et parmi ces directions, nous avons déterminé une zone d’une vingtaine de degrés où la présence de la planète est la plus probable.
Il est toutefois utile de savoir qu’en rallongeant la série de données provenant de la  sonde Cassini nous serions en mesure de réduire encore plus l’éventail des emplacements possibles de la planète 9 : par exemple en repoussant la fin de la mission, prévue en 2017, jusqu’en 2020, la fenêtre des observations serait ramenée de 180° à 120°. En outre, nous comptons également affiner nos estimations grâce aux données que va bientôt nous fournir la sonde Juno sur la position de Jupiter ; même si en raison de sa taille et de son plus grand éloignement de la planète 9, Jupiter est moins sensible à ses perturbations gravitationnelles.

Selon vous, dans quelle direction du ciel devraient regarder les astronomes amateurs qui chercheraient à découvrir la planète 9 ?
J. L. : A priori, avec une magnitude estimée à 23-24, les astronomes amateurs n’ont aucune chance d’observer la planète 9 ! La découverte, si elle a lieu un jour, ne sera possible qu’avec de grands télescopes à large champ, comme la caméra Megacam du CFH à Hawaï, par exemple.

Notes
  • 1. UMR8028 ASD/IMCCE (Observatoire de Paris/CNRS/UPMC/PSL)
  • 2. UMR7329 Géoazur (Observatoire de la Côte d’Azur/Université de Nice-Sophia Antipolis/CNRS/IRD)
  • 3. "Evidence for a Distant Giant Planet in the Solar System" K. Batygin & M. E. Brown The Astronomical Journal, Publié le 20 janvier 2016
  • 4. "Constraints on the location of a possible 9th planet derived from the Cassini data" A. Fienga, J. Laskar, H. Manche, M. Gastineau. Astronomy & Astrophysics, Publié le 23 février 2016

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