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Le mathématicien Yves Meyer reçoit le prix Abel

Dossier
Paru le 16.10.2017
2017, année de science
Point de vue

Le mathématicien Yves Meyer reçoit le prix Abel

21.03.2017, par
Chercheur d’exception, le mathématicien Yves Meyer se voit décerner cette récompense prestigieuse pour sa contribution majeure au développement de la théorie des ondelettes. Le mathématicien Albert Cohen dresse son portrait.

Né en 1939, Yves Meyer est actuellement professeur émérite à l’École normale supérieure Paris-Saclay1, membre de l’Académie des sciences, ainsi que membre étranger de la National Academy of Sciences des États-Unis. Il a dirigé les travaux de thèses de plus de 50 étudiants, qui sont devenus chargés ou directeurs de recherches au CNRS, professeurs dans les universités françaises ou étrangères. Depuis le début de sa carrière il donne un très grand nombre de conférences, notamment aux trois congrès mondiaux de mathématiques de Nice, Varsovie et Tokyo, et des exposés pléniers au congrès international de physique mathématique de Swansea ainsi qu’au congrès ICIAM de Washington.
 

Le mathématicien Yves Meyer.
Le mathématicien Yves Meyer.

La reconnaissance d'une œuvre

Yves Meyer reçoit aujourd’hui le prix Abel, décerné chaque année par l’académie norvégienne des sciences et des lettres depuis 2003. Souvent perçue comme le prix Nobel des mathématiciens, cette récompense distingue l’œuvre d’un mathématicien dans son ensemble. Ce prix vient s’ajouter au prix Salem reçu par Yves Meyer en 1970, ainsi qu’au prix Gauss en 2010, deux récompenses majeures en mathématiques, décernées par l’International Mathematical Union. Ces distinctions forcent le respect et illustrent combien l’œuvre d’Yves Meyer est unique : on y trouve des accomplissements théoriques d’une grande profondeur, en particulier dans le domaine de l’analyse harmonique, ainsi que des contributions décisives en direction des autres disciplines scientifiques, notamment par le développement d’outils innovants dans le domaine du calcul numérique qui ont eu un impact majeur dans le monde des applications.
 

Ses travaux sur la théorie des opérateurs  inspirent encore les jeunes mathématiciens.

Le prix Abel d’Yves Meyer fait écho au prix Nobel de chimie de Dan Shechtman en 2011 pour la découverte des quasi-cristaux. En effet, dans les années 1960, Yves Meyer introduisit la théorie des ensembles modèles qui a ouvert la voie à la théorie mathématique des quasi-cristaux. Rappelons qu’un quasi-cristal est un solide issu d’un alliage chimique qui possède des propriétés macroscopiques proches de celles d’un cristal mais dont la structure n’est pas périodique même si elle possède un certain ordre.

Les travaux d’Yves Meyer ont permis d’identifier ces structures non périodiques comme des cas spécifiques d’ensembles modèles, appelés quasi-cristaux. L’exemple par excellence d’une telle structure est donné par les pavages de Penrose, particulièrement connus pour leur esthétique ; ils ne seront introduits d’ailleurs de façon théorique qu’après ces découvertes fondamentales. Beaucoup plus récemment, en 2011, Yves Meyer a démontré que les ensembles modèles peuvent aider à reconstruire certains signaux sur lesquels on n’a qu’une information partielle sur la localisation de la bande de fréquence. Ce développement apporte une contribution importante au paradigme du « compressed sensing » (échantillonnage compressif) qui s’est largement développé en traitement du signal, de l’image et de l’information depuis 2005.

Nous devons à Yves Meyer plusieurs contributions majeures en matière d’équations aux dérivées partielles. Ainsi, ses travaux sur la théorie des opérateurs ont ouvert la voie à des développements notables et inspirent encore les jeunes mathématiciens. De même, ses recherches sur les équations de Navier-Stokes sont fondamentales pour la compréhension du comportement des fluides. Rappelons que la résolution mathématique rigoureuse des équations de Navier-Stokes constitue l’un des sept problèmes mathématiques du prix du millénaire posés par l’institut Clay en 2000. Or, nul doute que les travaux novateurs d’Yves Meyer ont suscité l’intérêt pour ces équations. Il a en effet lancé dans les années 1990 un programme de recherche ambitieux sur les solutions dites « mild » qui avaient été introduites par Tosio Kato dans les années 1980, proposant une approche originale, basée sur l’usage systématique de l’analyse harmonique, qui l’a conduit à démontrer l’existence de solutions dans certains espaces.

Les travaux d’Yves Meyer ont permis d’identifier des structures non périodiques telles que ce pavage de Penrose, dont la figure est particulièrement esthétique.
Les travaux d’Yves Meyer ont permis d’identifier des structures non périodiques telles que ce pavage de Penrose, dont la figure est particulièrement esthétique.

Un pionnier de la théorie des ondelettes

Enfin, c’est sans doute pour ses travaux sur les ondelettes et leurs applications au calcul numérique qu’Yves Meyer est le plus connu. À partir des années 1980, on constate une convergence entre des développements scientifiques dans différents domaines visant à décomposer des fonctions : on utilise l’analyse temps-fréquence en traitement du signal, l’analyse multi-échelle en traitement d’image, les décompositions de Littlewood-Paley en analyse harmonique, les splines et les algorithmes de subdivision en théorie de l’approximation. La contribution fondamentale d’Yves Meyer est alors d’organiser ces découvertes disjointes en une théorie unifiée qui conduit à la construction systématique des bases d’ondelettes dans les années 1990. Cette théorie permet d’offrir un cadre général dans lequel on peut décomposer des fonctions pour analyser plus finement leurs propriétés locales. Les travaux d’Yves Meyer vont aboutir à de nombreux développements dans des domaines variés, par exemple en compression des données et en estimation statistique. Aujourd’hui, il existe de très nombreuses applications des ondelettes dont certaines sont spectaculaires – la norme JPEG 2000 fondée sur les ondelettes dites biorthogonales constitue l’état de l’art actuel en compression d’image – et se sont traduites par un grand nombre de brevets, workshops, publications.
 

Yves Meyer a  toujours cherché l’interaction et la discussion avec des experts d’autres disciplines que la sienne.

Le rôle de leader de cette aventure scientifique revient sans conteste à Yves Meyer. Mais il fut également le premier à se montrer très critique envers certaines affirmations trop optimistes, et à suggérer des alternatives aux ondelettes permettant de mieux représenter certaines classes de fonctions, signaux et images. Cette perspective débouche aujourd¹hui sur le concept de représentation parcimonieuse d’un signal, lequel joue un rôle particulièrement important dans de nombreuses applications dont l’imagerie médicale.
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Dans cette liste de contributions, la théorie des ondelettes est certainement celle dont l’impact est particulièrement visible dans le monde scientifique. Elle l’a été tout récemment lorsque le 14 septembre 2015, un algorithme utilisant une technique de décomposition en ondelettes a détecté en premier le signal des ondes gravitationnelles.

La diversité de l’ensemble des contributions d’Yves Meyer est révélatrice de sa façon d’aborder la recherche et de l’utilité de la vision d’un mathématicien pour une recherche interdisciplinaire. Yves Meyer a ainsi toujours cherché l’interaction et la discussion avec des experts d’autres disciplines que la sienne, et nombre d’entre eux se sont engagés avec enthousiasme dans les chemins qu’il a su ouvrir. Il est aussi connu pour sa grande générosité, donnant sans compter son temps pour la direction de jeunes chercheurs et sachant s’effacer pour mettre en avant leurs travaux. La carrière d’Yves Meyer nous montre une fois de plus qu’il n’existe pas de ligne de séparation entre mathématiques pures et appliquées, et encore moins entre les mathématiques et le monde pluridisciplinaire des applications. En cela, le comité Abel honore un magnifique ambassadeur des mathématiques vers la société et les autres sciences.

Lire cet article dans sa version longue sur le site de l'Institut des sciences mathématiques et de leurs interactions.

Notes
  • 1. Au Centre de mathématiques et de leurs applications (CNRS/ ENS Paris Saclay)

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