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L’Encyclopédie à portée de clic
C’est un véritable monument du siècle des Lumières qui s'ouvre au public. À l’occasion du tricentenaire de la naissance de d’Alembert, la célèbre Encyclopédie de Diderot, d’Alembert et Jaucourt (le troisième éditeur de l’ouvrage, qu’on oublie toujours de citer !) est désormais accessible en ligne sur le site de l’Académie des sciences dans la première édition critique jamais réalisée. C’est le résultat d’un chantier presque aussi titanesque que celui de la publication, entre 1751 et 1772, des 28 volumes de l’Encyclopédie : il aura en effet fallu plus de six ans à l’équipe du projet Enccre (Édition numérique, collaborative et critique de l’Encyclopédie), piloté par l’historien des mathématiques Alexandre Guilbaud1, pour aboutir à cette édition numérique. Et c’est loin d’être terminé : si l’intégralité du Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers est aujourd’hui ouverte à la consultation, l’ajout des notes et commentaires destinés à éclairer la lecture des 74 000 articles de l’Encyclopédie n’en est qu’à ses débuts…
Pourquoi vous être attaqué à l’Encyclopédie ?
Alexandre Guilbaud : L’Encyclopédie est l’œuvre des plus grands esprits du XVIIIe siècle. Près de 150 savants y ont contribué, parmi lesquels Voltaire pour la grammaire et la littérature, Rousseau pour la musique, Daubenton pour l’histoire naturelle…
À la différence des autres dictionnaires édités en nombre depuis la fin du XVIIe siècle, l’Encyclopédie n’est pas seulement une compilation de textes existants, elle rassemble des contenus originaux faisant état des dernières découvertes. Elle consacre notamment des milliers d’articles aux arts mécaniques, que Diderot voulait réhabiliter : techniques de production et de tissage des textiles, techniques d’élevage…, et j’en passe ! Elle se distingue aussi par sa farouche volonté critique : critique des savoirs réservés à quelques-uns, critique des autorités politique et religieuse, dénonciation de l’obscurantisme, de l’esclavage…
Cela lui vaut d’être deux fois interdite : en 1752, dès la parution du deuxième volume, puis en 1759 à la fois par le roi Louis XV et par le pape qui en proscrit la lecture sous peine d’excommunication. Mais cela n’a pas empêché son succès considérable : on estime qu’il s’est vendu 4 000 exemplaires de la première édition, 20 000 au total si l’on compte les rééditions et les copies pirates – du jamais-vu pour l’époque !
Des versions numérisées de l’Encyclopédie existent déjà sur Internet. En quoi la vôtre est-elle radicalement différente ?
A. G. : À l’inverse des versions numérisées qui existent déjà, notre Encyclopédie n’est pas une simple « photographie » de l’ouvrage, c’est une véritable interface numérique qui met en regard la transcription et le texte original et permet de naviguer facilement à l’intérieur des 28 volumes – 17 de texte et 11 de planches illustrées. Elle s’appuie sur un premier tirage de la première édition de l’Encyclopédie, dont la bibliothèque Mazarine conserve deux exemplaires. Ce n’est pas le cas des autres versions numérisées qui sont souvent incomplètes et mélangent des volumes issus de différentes éditions – plus ou moins amendées. Le projet Enccre est, enfin, un vrai travail d’édition critique, grâce à la production de notes et commentaires destinés à remettre dans leur contexte les articles de l’Encyclopédie. Pour le moment, une large documentation sur l’Encyclopédie est déjà disponible et 300 articles sont commentés.
Le chantier de numérisation semble vous avoir donné pas mal de fil à retordre…
A. G. : Nous y avons passé plus de trois ans, ce qui n’est pas si étonnant vu l’ampleur et la richesse de l’ouvrage. Nous avons par exemple vérifié et activé tous les renvois prévus par les encyclopédistes eux-mêmes d’un article vers un autre article, et entamé le même travail sur les liens entre les articles et les planches illustrées… Nous avons également apporté le plus grand soin à l’établissement de la nomenclature et « tagué » tout ce qui nous paraissait pertinent : des onglets permettent de faire des recherches par mot, par domaine, ou encore par auteur, ce qui était loin d’être évident quand on sait que beaucoup des articles de l’Encyclopédie ne sont pas signés, ou portent seulement une petite marque : un (O) pour d’Alembert, un (I) pour Daubenton, etc. Grâce à ce travail, on peut accéder en un clic aux 17 000 articles écrits par Jaucourt, de loin l’auteur le plus productif !
Vous insistez beaucoup sur l’aspect collaboratif de cette Encyclopédie numérique.
A. G. : C’est indispensable quand on se lance dans une entreprise pareille. Si le projet est coordonné par quatre personnes – Marie Leca-Tsiomis, Irène Passeron, Alain Cernuschi et moi-même –, en réalité ce sont plus de cent chercheurs internationaux qui y ont collaboré à ce jour, principalement des historiens spécialistes des domaines abordés : sciences, arts, philosophie… Nous continuons d’ailleurs à en accueillir ! Nous avons aussi des bénévoles qui nous aident à corriger le texte, par exemple en repérant les renvois des encyclopédistes qui ne débouchent sur aucun article. La publication de cet ouvrage hors du commun s’est étalée sur une période si longue – plus de vingt ans – que certaines sections prévues au départ ont été modifiées ou ont tout simplement disparu.
Pourquoi lire l’Encyclopédie aujourd’hui ?
A. G. : Parce que c’est une œuvre majeure du siècle des Lumières, qui par sa volonté critique a contribué à modifier le cours de l’histoire de notre pays – elle se termine vingt ans à peine avant la Révolution. Mais aussi parce qu’elle est d’une troublante actualité et que nombre de ses articles, sur l’intolérance, le fanatisme…, font écho à ce que nous vivons aujourd’hui. Pour citer un autre exemple, l’article en faveur de l’inoculation, « opération par laquelle on communique artificiellement la petite vérole, dans la vue de prévenir le danger & les ravages de cette maladie contractée naturellement », rappelle étrangement le débat actuel sur la vaccination.
Pour accéder à l'Encyclopédie en ligne : enccre.academie-sciences.fr
- 1. Maître de conférences à l’université Pierre-et-Marie-Curie et membre du projet « Histoire des sciences mathématiques » de l’Institut de mathématiques de Jussieu - Paris Rive Gauche (CNRS/ Université Pierre-et-Marie-Curie/Université Paris-Diderot).
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Auteur
Journaliste scientifique, Laure Cailloce est rédactrice en chef adjointe de CNRS Le journal. et de la revue Carnets de science.
Commentaires
Très bonne idée que d'avoir
Bernard Thomazeau le 4 Novembre 2017 à 15h20Très bonne idée que d'avoir
Bernard Thomazeau le 4 Novembre 2017 à 15h20Bonjour,
Jean-Pierre Bou... le 16 Novembre 2017 à 07h52Bonjour cher confrère. Je
Mark le 16 Novembre 2017 à 11h03@Mark et Jean-Pierre,
laurent pagani le 20 Novembre 2017 à 14h11Génial....:)
alaink le 5 Avril 2018 à 07h11Connectez-vous, rejoignez la communauté
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