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Claude Lorius distingué aux États-Unis

Dossier
Paru le 16.10.2017
2017, année de science
Point de vue

Claude Lorius distingué aux États-Unis

04.05.2017, par
Claude Lorius sur la côte de la Terre Adélie, en 1993.
Le glaciologue français Claude Lorius a reçu le prestigieux prix américain Bower à Philadelphie, pour ses travaux sur le climat. Retour sur une carrière hors norme avec son confrère Jérôme Chappellaz, de l’Institut des géosciences de l’environnement, à ses côtés lors de la cérémonie.

Vous accompagnez cette semaine aux États-Unis Claude Lorius, lauréat du « Bower Science Award » du comité de l’institut Franklin, pour ses recherches pionnières sur le changement climatique. Cette nouvelle récompense vient s’ajouter à un palmarès déjà impressionnant…
Jérôme Chappellaz1 : Oui, Claude Lorius a déjà reçu de nombreux témoignages de reconnaissance. En France, avec la médaille d’or du CNRS en 2002, conjointement décernée à Jean Jouzel, son complice scientifique de longue date. Mais aussi sur le plan international, avec le prix Tyler, le prix Blue Planet, le prix Balzan... Cette nouvelle récompense revêt une saveur particulière toutefois, par la liste impressionnante de scientifiques de haut vol déjà récompensés par cet institut depuis 200 ans (Tesla, Einstein, Marie Curie...), mais aussi compte tenu du contexte climatosceptique exprimé au plus haut niveau de l’État américain depuis l’automne dernier... Claude a revêtu à nouveau le smoking pour l’occasion, comme au festival de Cannes en 2015, qu’il clôturait avec le film de Luc Jacquet, La Glace et le Ciel, consacré à sa vie de scientifique.
 
Ces récompenses, c’est surtout l’occasion de mettre un coup de projecteur sur le fonctionnement de la recherche en général, telle que Claude a pu la vivre avec son équipe : un long processus de tâtonnement intellectuel exigeant de la patience, de l’intuition, de la prise de risque, une équipe ingénieuse et soudée autour de soi, pour éventuellement aboutir après des décennies d’effort. Mais c’est aussi l’occasion d’attirer les regards vers l’anthropocène, cette nouvelle ère géologique qui voit l’humanité laisser son empreinte indélébile sur l’environnement planétaire, et devant laquelle nous ne pouvons rester les bras croisés à regarder. C’est le combat de Claude depuis des décennies.
 
Quelle serait aujourd’hui la recherche sur le changement climatique sans le travail de Claude Lorius et de ses collaborateurs ?
J. C. : La science des carottes de glace, que Claude a lancée en France, a largement contribué à notre compréhension des mécanismes régulant le climat terrestre en conditions naturelles, mais aussi à mettre en perspective l’impact des activités humaines. Peu de temps après le glaciologue Willi Dansgaard qui étudiait les précipitations au Groenland dans les années 1950, Claude a pu révéler – grâce aux échantillons collectés en 1959 lors d’un mission exploratoire américaine en Antarctique – que le rapport entre les isotopes lourds et légers de l’hydrogène constituant les molécules d’eau de la neige suivait fidèlement la température à laquelle la précipitation neigeuse s’était produite. Le « thermomètre isotopique » était né. C’est l’outil de base dont nous nous servons encore aujourd’hui pour retracer l’évolution passée du climat, grâce aux carottes glaciaires.
 

Forage léger en Terre Adélie, en Antarctique, où se situe la base scientifique de Dumont-d’Urville (1964-1965).
Forage léger en Terre Adélie, en Antarctique, où se situe la base scientifique de Dumont-d’Urville (1964-1965).

En 1965, alors qu’il hivernait comme chef de base à Dumont-d’Urville en Antarctique, Claude conduisait avec son équipe le tout premier forage dans la glace côtière de cet immense continent. Au terme d’une dure journée de labeur, il jeta un morceau de ce forage dans un verre de whisky bien mérité. Là, en voyant les bulles d’air sous pression, qui étaient piégées dans la glace, s’ouvrir brutalement pour relâcher le gaz contenu, Claude eut l’idée que cet air pourrait servir à reconstituer la composition passée de l’atmosphère. De cette idée aux premiers résultats fiables, il s’est écoulé presque vingt ans. Temps de développements techniques, d’essais, d’échecs. Avec deux de ses anciens doctorants, Dominique Raynaud et Robert Delmas, il atteignit le Graal en utilisant le forage de 900 mètres qu’il avait coordonné au site du Dôme C en 1977-1978, puis le fameux forage de Vostok conduit par les Soviétiques et qui atteignait plus de 2 000 mètres de profondeur en 1984.
 
Le point d’orgue, ce fut un très fameux triptyque publié dans Nature en octobre 1987. Trois articles ainsi que la couverture du fameux journal scientifique, montrant les tours de forage à Vostok. Ce triptyque comprenait pour la première fois la description détaillée de l’évolution du climat antarctique sur 150 000 ans, soit un cycle climatique complet. Mieux, il révélait pour la première fois l’évolution concomitante de la teneur en gaz carbonique dans l’atmosphère, grâce aux mesures de notre regretté collègue Jean-Marc Barnola. Une impressionnante corrélation entre les deux signaux apparaissait pour la première fois ! Surtout, comme Claude le démontrera au début des années 1990, le rôle du CO2 dans l’évolution climatique naturelle – par son impact radiatif – devenait un des facteurs essentiels pour expliquer les variations climatiques glaciaires-interglaciaires. Et par ricochet, l’impact de l’augmentation du CO2 dans l’atmosphère au cours des deux derniers siècles, due aux activités humaines, prenait une dimension nouvelle.
 

Les trois tours de forage du site de Vostok en Antarctique, en 1984-1985. Cette photographie illustrera la couverture de la revue Nature en octobre 1987, où les résultats de recherche de l'équipe de Lorius montrent pour la première fois le lien direct entre climat et concentration de l’atmosphère en gaz à effets de serre.
Les trois tours de forage du site de Vostok en Antarctique, en 1984-1985. Cette photographie illustrera la couverture de la revue Nature en octobre 1987, où les résultats de recherche de l'équipe de Lorius montrent pour la première fois le lien direct entre climat et concentration de l’atmosphère en gaz à effets de serre.

Depuis ses premières recherches, comment ces mesures se sont-elles affinées ?
J. C. : Si Claude a laissé son équipe poursuivre les recherches au début des années 1990, cette science ne s’est pas endormie, loin de là. On doit notamment à Claude – qui fut le premier président de l’Institut polaire français – d’avoir œuvré à la naissance du consortium européen EPICA2 et à la construction de la base franco-italienne Concordia en Antarctique. Grâce à ces deux événements essentiels, un forage atteignant 3 270 mètres de profondeur sur le site du Dôme C nous a permis d’étudier l’évolution du climat et de la composition de l’atmosphère sur 800 000 ans ! Soit huit cycles climatiques glaciaires-interglaciaires. Les progrès technologiques nous ont aidés à aborder ces changements avec beaucoup plus de précision. De révéler des disparités régionales dans l’évolution des températures. De reconstituer d’autres paramètres importants du système climatique, comme l’étendue de la glace de mer, l’intensité des sources de poussières d’origine continentale, l’intensité des éruptions volcaniques, et j’en passe.
 

Claude Lorius examine un jeu de carottes lors d’un forage glaciaire au Groenland, en 1992. Il était à l’époque président de l'Institut polaire.
Claude Lorius examine un jeu de carottes lors d’un forage glaciaire au Groenland, en 1992. Il était à l’époque président de l'Institut polaire.

Quels sont les projets qui poursuivent aujourd’hui les travaux entamés par Claude Lorius ?
J. C. : Cette science demeure bien vivante ! Aujourd’hui, notre communauté tente de localiser quelque part en Antarctique de la glace formée il y a 1,5 million d’années. L’objectif est d’étudier la transition climatique du mi-Pléistocène qui s’est produite il y a environ 1 million d’années. C’est une énigme, caractérisée par un important changement dans la rythmicité et l’amplitude des cycles climatiques glaciaires-interglaciaires. Nous espérons pouvoir documenter pour la première fois avec précision l’évolution comparée du CO2 et d’autres gaz à effet de serre, qui pourraient être responsables de ce changement majeur.
 
À Grenoble, nous abordons cette question de manière très innovante. Au cours des derniers cinq ans et notamment dans le cadre de mon projet ERC « Ice & Lasers », nous avons conçu et construit, avec l’équipe technique du laboratoire, une sonde embarquant un spectromètre laser. L’idée est de forer le glacier antarctique en seulement deux mois et d’obtenir les informations nécessaires pour confirmer l’existence de glace suffisamment ancienne, mais aussi d’obtenir tout de suite une partie des données principales.
 
La science des carottes de glace évolue aussi dans sa lecture de l’alphabet naturel que contient la glace. Les progrès technologiques, les idées nouvelles, conduisent à des études inenvisageables auparavant. Quelques exemples : nous pouvons maintenant distinguer les éruptions volcaniques dont le panache a atteint la stratosphère, jouant alors un rôle important sur le climat. Nous disposons aussi de nouveaux traceurs pour reconstruire l’évolution des feux de végétation, ou encore le degré d’humidité à la surface des océans qui a généré la vapeur d’eau à l’origine des neiges et glaces que nous étudions.
 

Extraction d’une première carotte de glace suite à une opération de forage au col du Dôme (4 300 m), dans le massif du Mont-Blanc, en août 2016. Cette mission s’inscrit dans le cadre du programme «Mémoire de la glace» ou «Ice Memory», pour la sauvegarde du patrimoine glaciaire mondial.
Extraction d’une première carotte de glace suite à une opération de forage au col du Dôme (4 300 m), dans le massif du Mont-Blanc, en août 2016. Cette mission s’inscrit dans le cadre du programme «Mémoire de la glace» ou «Ice Memory», pour la sauvegarde du patrimoine glaciaire mondial.

Et puis il y a un paradoxe qui nous affecte : la glace – formidable mémoire naturelle du climat et de l’environnement planétaire – est menacée par le réchauffement climatique. Nous nous sommes donc lancés dans un nouveau défi : collecter de la matière première de qualité à partir des glaciers de montagne, et la stocker en Antarctique pour les générations futures, avant qu’il ne soit trop tard. Ce projet dénommé « Ice Memory », que j’ai initié en 2015, a déjà vu une première opération conduite sous l’arête sommitale du Mont-Blanc. Ce printemps, mon collègue Patrick Ginot va piloter la deuxième opération au sommet du glacier Illimani en Bolivie.
 
Toute sa vie, Claude Lorius s’est battu pour la Terre, et pour démontrer l’effet dévastateur de l’activité humaine. Que pense-t-il du cadre politique et social actuel avec ses aspects positifs, comme la signature de la COP21, mais aussi un climatoscepticisme qui semble resurgir ?
J. C. : Il faudrait lui poser la question directement... Mais pour l’avoir côtoyé durant ces dernières années, je pense que Claude a repris espoir. Dans les années 2000, le pessimisme l’emportait dans son esprit. Et puis l’intérêt porté par le réalisateur Luc Jacquet pour son histoire lui a redonné le moral. Bénéficier d’une tribune chargée d’émotion, ce que ce film unique véhicule, c’était important pour Claude. Malgré ce qui se passe en ce moment au plus haut niveau de l’État américain, les lignes ont bougé, et dans le bon sens. Même les patrons de grandes entreprises ont compris qu’ils ne pouvaient pas rester les bras croisés. La Chine, notamment, mise fortement sur les nouvelles technologies, avec l’intention de montrer l’exemple et de devenir le leader d’un monde rendant compatible le développement humain et les impératifs environnementaux. Je pense que globalement Claude se réjouit de cela, même s’il aurait évidemment aimé voir nos décideurs prendre des mesures fortes bien plus tôt.

Lire aussi :
Claude Lorius, une vie sur la glace
Il fait parler la glace
Les glaces du Mont-Blanc à l'abri en Antarctique

 

Notes
  • 1. Directeur de recherche à l’Institut des géosciences de l’environnement (CNRS/IRD/Univ. Grenoble-Alpes/Grenoble INP).
  • 2. European Project for Ice Coring in Antarctica.

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