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Quand la Terre était une boule de neige
Notre planète n’a pas toujours été bleue et hospitalière ; elle a même connu, à plusieurs reprises, des périodes suffisamment froides pour que sa surface se couvre intégralement de glace. Longtemps contestés, ces épisodes dits de « Terre boule de neige » (Snowball Earth) sont aujourd’hui attestés par de nombreuses traces géologiques et géochimiques. Le climatologue Gilles Ramstein enquête1 depuis les années 2000 sur ces épisodes où la Terre vue de l’espace ressemblait à Europe ou Encelade, deux lunes glacées. Retour sur les coups de froid qui ont frappé notre planète.
La Terre est située dans la zone habitable de son étoile, ce qui a priori indique que l’eau peut s’y maintenir à l’état liquide. Comment, dans ce cas, a-t-elle pu s’englacer totalement ?
Gilles Ramstein2 : Les choses ne sont pas si simples ! Il y a 4,56 milliards d’années, quand la Terre s’est formée, l’énergie irradiée par le Soleil était 30 % moins importante qu’aujourd’hui. Depuis, sa puissance augmente de 7 % par milliard d’années. Le paradoxe est qu’en dépit d’une irradiation moindre, la Terre était alors bien plus chaude qu’actuellement. Ce phénomène s’explique par le fait que le climat d’une planète dépend de son bilan radiatif : la différence entre l’énergie reçue du Soleil et celle renvoyée vers l’espace par les continents, les océans et l’atmosphère. Sur Terre, dès l’origine, l’atmosphère a joué le rôle d’une couverture chauffante. En particulier, le dioxyde de carbone et le méthane, qui sont deux puissants gaz à effet de serre et peuvent beaucoup varier dans l’atmosphère, ont été à la base de la régulation des températures de surface.
Le climat résulte ainsi de l’équilibre entre des sources qui émettent des gaz à effet de serre et des puits qui les soustraient de l’atmosphère. Sur notre planète, le CO2 a pour principale source naturelle le volcanisme, tandis que son puits principal repose sur l’érosion des roches continentales silicatées sous l’effet du ruissellement des eaux. En réagissant avec la roche, le CO2 est soustrait à l’atmosphère et fixé sous forme de carbonates qui vont s’accumuler comme sédiments sous-marins.
Il y a plus de 3 milliards d’années, le volcanisme était déjà actif, mais les surfaces continentales étaient encore très réduites et l’érosion demeurait négligeable : la concentration atmosphérique en CO2 était donc très élevée. De surcroît, il y a 3,5 milliards d’années sont apparues les archées méthanogènes – des micro-organismes unicellulaires dont le métabolisme produit du méthane et dont l’effet de serre est trente fois plus puissant que celui du CO2. L’accumulation de ces deux gaz – dioxyde de carbone et méthane – dans l’atmosphère terrestre primitive explique pourquoi notre planète était si chaude dans sa jeunesse.
Mais que s’est-il passé pour que cela aboutisse à une glaciation ?
G. R. : Cette catastrophe climatique découle d’une révolution biologique ! Il faut savoir que durant ses deux premiers milliards d’années d’existence, notre planète est restée anoxique : le gaz oxygène n’y est présent qu’à l’état de traces et constitue un poison violent pour les formes de vies anaérobies qui prospéraient à l’époque, notamment les archées méthanogènes. Or, il y a 2,4 milliards d’années, on observe une augmentation globale de la concentration d’oxygène : c’est ce qu’on appelle le « grand événement d’oxydation » (GEO). Ce phénomène est probablement la conséquence de l’apparition des cyanobactéries, des micro-organismes dotés d’un nouveau métabolisme, la photosynthèse, dont l’oxygène constitue un déchet. En s’accumulant, il va éradiquer la plupart des archées méthanogènes qui peuplaient l’océan primitif, mettant à l’arrêt la production de méthane. De plus, le méthane présent dans l’atmosphère va réagir avec l’oxygène et se transformer en CO2, dont l’effet de serre est bien moins puissant. S’ensuit un fort refroidissement, amplifié lui-même par l’augmentation de l’albédo – la capacité de la surface terrestre à réfléchir les rayons solaires vers l’espace – due à l’apparition de glace. Le phénomène s’emballe alors jusqu’à l’englacement presque total de la Terre. Cet épisode, qui dure près de 300 millions d’années, est appelé glaciation huronienne.
La glaciation huronienne est-elle le seul épisode de « Terre boule de neige » qu’ait connu notre planète ?
G. R. : Non, au cours du dernier milliard d’années, la Terre va connaître deux autres épisodes de glaciation globale : la glaciation sturtienne, qui s’enclenche il y a 720 millions d’années, et, après un bref épisode interglaciaire, la glaciation marinoenne qui s’achève il y a 635 millions d’années (voir l’infographie).
Pourtant, il y a 700 millions d’années, le Soleil est à 94 % de sa puissance actuelle, on aurait donc dû être tiré d’affaire !
En fait, cette fois-ci, c’est le moteur à CO2 qui va lâcher. Il y a 800 millions d’années, le supercontinent Rodinia – qui s’était constitué 500 millions d’années plus tôt – commence à se disloquer le long de la bande tropicale (voir la carte). Ces mouvements tectoniques s’accompagnent de gigantesques éruptions volcaniques qui vont recouvrir de basaltes d’immenses régions.
Cet événement majeur s’accompagne de l’ouverture d’océans et de bras de mer, engendrant de nouvelles sources d’humidité à proximité des continents. Ceci va entraîner une augmentation des précipitations et du ruissellement sur les continents et donc un accroissement de l’érosion des roches continentales. Les roches basaltiques récemment formées s’altérant six à huit fois plus vite que le granit, une grande partie du CO2 atmosphérique disparaît dans ce puits ! Il y a 750 millions d’années, la concentration atmosphérique de gaz à effet de serre baisse à tel point que la Terre a perdu environ 50 °C de température moyenne. Les calottes polaires ont alors atteint l’équateur.
Ces phénomènes d’englacement global s’auto-amplifiant, comment la Terre a-t-elle pu s’extraire de ces épisodes « boule de neige » ?
G. R. : Les épisodes de Terre boule de neige sont des déséquilibres majeurs et finalement très instables. Leur existence a été postulée dès les années 1960 par le géologue anglais Walter Brian Harland : celui-ci remarque des traces de glaciation sur des roches qui, il y a 700 millions d’années, étaient localisées dans les régions tropicales et équatoriales. Ces régions étant par définition les plus chaudes de la planète, cela impliquait que la Terre entière avait été recouverte par les glaces. À l’époque, on ne le croit pas. En effet, l’albédo d’une Terre englacée est si important qu’on estime alors que pour sortir d’une glaciation globale, il aurait fallu un Soleil 1,5 fois plus puissant.
Dans les années 1990, on comprend que ce n’est pas par le Soleil qu’on s’extrait d’une Terre gelée mais par le CO2. Que se passe-t-il ? La Terre, même couverte de glace, maintient une forte activité volcanique ; ainsi, pendant des millions d’années, le CO2 issu du volcanisme s’accumule dans l’atmosphère. Ceci va à la longue générer un super-effet de serre capable de surpasser l’albédo des glaces et de la neige et entraîner une brusque débâcle.
Et la vie dans tout ça ? Comment a-t-elle pu se maintenir lors d’épisodes si extrêmes ?
G. R. : Dans l’hypothèse d’une Terre totalement glacée, la vie qui s’était maintenue dans les océans aurait dû être asphyxiée… Nous avons pu montrer, au Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement, que la Terre n’était pas totalement recouverte de glace, grâce notamment aux sources chaudes, aux volcans. La vie a pu se réfugier dans des cryoconites, sortes de marmites qui forment des trous dans la glace. Ce qui était suffisant pour permettre des échanges entre l’atmosphère et les océans et une continuité de la vie jusqu’à la déglaciation. La Terre a connu de grandes extinctions mais elle est demeurée extrêmement favorable à la vie depuis 4 milliards d’années. Au final, l’histoire de notre planète montre une remarquable stabilité du climat. Les épisodes de glaciation globale n’en représentent qu’une toute petite partie. Toutefois, le contexte climatique ne sera pas toujours favorable à la vie : le Soleil chauffant de plus en plus, il va évoluer en géante rouge. Les derniers milliards d’années de l’histoire de la Terre seront peut-être sans vie, parce qu’elle n’aura pas su s’adapter à l’absence d’eau et de photosynthèse – à l’image de Vénus. La vie aura accompagné la Terre pendant très longtemps. Et c’est une bonne nouvelle pour ceux qui cherchent de la vie ailleurs. Dans le système solaire, on explore aujourd’hui Europe, Encelade. Des satellites gelés qui nous renvoient, finalement, au propre passé de notre planète…
- 1. Il est l’un des auteurs de l’étude parue le 8 novembre 2017 dans Science Advances, « Snowball Earth climate dynamics and Cryogenian geology-geobiology ». http://advances.sciencemag.org/content/3/11/e1600983
- 2. Climatologue, directeur de recherche CEA au Laboratoire des sciences du climat et de l’environnement (Unité CNRS/CEA/Université Versailles Saint-Quentin).
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Auteur
Anne-Sophie Boutaud est journaliste à CNRS Le journal.
Commentaires
La phase géante rouge n'est
laurent pagani le 15 Décembre 2017 à 09h55Connectez-vous, rejoignez la communauté
du journal CNRS