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Sanctuary : une sauvegarde pour l’humanité

Sanctuary : une sauvegarde pour l’humanité

31.05.2024, par
© Sanctuary On The Moon
Disque Espace du projet Sanctuary
Né il y a près de dix ans, le projet Sanctuary va déposer sur la Lune des disques contenant un corpus de connaissances et de témoignages matériels de notre civilisation.

Face à l’accélération du réchauffement climatique et aux autres menaces que ne cesse de se créer l’humanité, l'effondrement de notre civilisation constitue une hypothèse de plus en plus crédible. Comment, dans un tel contexte, faire en sorte qu’une partie du patrimoine culturel et scientifique de l'humanité survive à un éventuel délitement de nos sociétés modernes ? Pour tenter de répondre à cette question, le projet Sanctuary propose d’emmener vers la Lune une capsule temporelle renfermant un ensemble de traces de notre espèce. « Notre projet peut être assimilé à une sorte de triptyque qui entend réunir à la fois ce que nous sommes par le biais de notre génome, ce que nous savons via une somme de contenus scientifiques, et ce que nous créons à travers l’art », résume Benoît Faiveley, coordinateur du projet.

© Benedict Redgrove
L’équipe Sanctuary devant le mur d’images Wilder de l’Inria (Paris Saclay) observant une partie du contenu du disque « vie ». Cet écran est tactile multipoints de très haute résolution avec un système de suivi du mouvement et permet à l’équipe de vérifier tout le contenu des disques.
© Benedict Redgrove
L’équipe Sanctuary devant le mur d’images Wilder de l’Inria (Paris Saclay) observant une partie du contenu du disque « vie ». Cet écran est tactile multipoints de très haute résolution avec un système de suivi du mouvement et permet à l’équipe de vérifier tout le contenu des disques.

Pour passer de la théorie à la pratique, cet ingénieur s’est entouré de chercheurs issus de diverses disciplines (astrophysique, paléontologie, physique des particules, informatique), d’artistes et de designers. Avec le soutien du CNRS et l’appui technique1 du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), l’équipe d’une dizaine de personnes s’est d’abord attelée à la conception du support destiné à accueillir toutes ces informations. Après maintes discussions, le choix s’est porté sur des disques en saphir artificiel de 10 cm de diamètre pour 1 mm d’épaisseur. « Ce matériau presque aussi dur que le diamant sera en mesure de résister aux fortes températures qui règnent à la surface de notre satellite naturel sans subir la moindre altération pendant plusieurs millions d’années », précise Benoît Faiveley.

Une nouvelle pierre de Rosette

Pour enregistrer les données sur chaque disque, le consortium a opté pour une forme d’encodage analogique à partir de micropixels gravés directement dans le matériau à l’aide d’un laser. Un parti pris qui ne doit rien au hasard comme l'explique Jean-Philippe Uzan, cosmologiste à l'Institut d'astrophysique de Paris2 impliqué dans Sanctuary depuis ses débuts : « Les informations qui figurent sur les disques étant destinées à nos lointains descendants, les outils de lecture dont ils disposeront seront probablement très différents de ceux de la technologie numérique que nous utilisons aujourd'hui. En postulant a minima que ces descendants, humains ou non, resteront dotés de facultés visuelles, nous avons décidé de représenter la plupart des données sous forme d’images et d’infographies élaborées par microgravures de sorte qu'elles puissent être observables à l'œil nu ou avec une simple loupe. » Un seul disque de saphir pouvant contenir jusqu’à sept milliards de ces pixels d’un micromètre environ, on peut y stocker l’équivalent de 2 500 pages de texte au format A4.

© Vincent Thomas
Benoit Faiveley, fondateur du projet Sanctuary, inspecte les premiers disques gravés au CEA Leti, à Grenoble.
© Vincent Thomas
Benoit Faiveley, fondateur du projet Sanctuary, inspecte les premiers disques gravés au CEA Leti, à Grenoble.

À ce stade du projet, neuf de ces disques ont déjà été remplis à 95 %. Cinq d’entre eux décrivent des notions universelles sur les mathématiques et la matière, la position de notre espèce dans l’espace et le temps, son rapport à l’Univers et au reste du vivant, etc. On y trouve également des représentations du corps humain sous la forme de planches anatomiques, de la surface de la peau jusqu'au squelette en passant par les systèmes vasculaires, nerveux et musculaires. Chaque disque intègre par ailleurs des clés de déchiffrement et de compréhension, des pierres de Rosette destinées aux Champollion du futur. « En partant du principe que les bases du langage mathématique, les constituants fondamentaux de la matière et les lois universelles qui les régissent resteront inchangées, cette pierre de Rosette 2.0 définit toutes les grandeurs physiques utilisées dans nos infographies au premier rang desquelles les unités de mesure du système international que sont le mètre, le kilogramme, ou la seconde », détaille Jean-Philippe Uzan.

Le soutien de la Nasa fait décoller le projet

La rigueur scientifique combinée à l’esthétique des créations visuelles ont convaincu la Nasa d'apporter son soutien au projet. En septembre 2023, l’Agence spatiale américaine a ainsi confirmé vouloir embarquer les 1,4 kg de cette capsule temporelle dans la future mission lunaire Artemis CLPS, dont le départ est planifié pour 2027. Ce qui permettra de déposer sur notre satellite 24 disques de saphir entreposés dans un conteneur en aluminium à la fois léger et résistant.

Avec ce partenariat prestigieux, Sanctuary s’inscrit dans la continuité du « Golden Record3 » embarqué sur les deux sondes Voyager lancées vers les confins de notre Système solaire à la fin des années 1970. Le projet porté par Benoît Faiveley s’en démarque toutefois en y ajoutant, entre autres, cette grande avancée scientifique que fut la révolution génomique au tournant des années 2000. Quatre disques de la future capsule temporelle contiennent ainsi l’intégralité du code génétique d’un homme et d’une femme.

Nasa / JPL-Caltech
Le disque d’or, produit en 1977 et embarqué sur les sondes Voyageur 1 et 2, contient des sons et des images. Sur le couvercle, à gauche, sont gravés le mode d’emploi et la localisation de notre système solaire, destinés à d’éventuels extraterrestres.
Nasa / JPL-Caltech
Le disque d’or, produit en 1977 et embarqué sur les sondes Voyageur 1 et 2, contient des sons et des images. Sur le couvercle, à gauche, sont gravés le mode d’emploi et la localisation de notre système solaire, destinés à d’éventuels extraterrestres.

L’équipe de Sanctuary a également tenu à matérialiser le buissonnement et la diversité du vivant sur terre. La tâche a été confiée au paléontologue Jean-Sébastien Steyer du Centre de recherche en paléontologie de Paris4. « À travers cette visualisation du grand arbre de la vie réalisée en collaboration avec des artistes canadiens, nous souhaitions proposer une vision moderne de l’évolution permettant de mieux saisir les relations de parenté entre espèces actuelles et fossiles, précise le chercheur. En employant un procédé situé entre la bande dessinée et la carte mentale, je me suis efforcé de visualiser les processus de fossilisation ainsi que les différentes hypothèses sur l’origine du vivant. »

Culture et sciences naturelles

Le projet Sanctuary n’a pas négligé la pop culture. Ainsi, les créatures pixelisées du célèbre jeu vidéo Space Invaders s’invitent dans l’arbre du vivant pour illustrer le foisonnement d’espèces qui caractérise, par exemple, le groupe des arthropodes. « Au-delà de sa mission de capsule temporelle, Sanctuary entend également redonner le goût des sciences naturelles à nos contemporains en diffusant le contenu des disques lors d'expositions donnant à voir, de manière vulgarisée et sur un ton parfois décalé, la richesse de leur contenu », complète Jean-Sébastien Steyer.

En outre, fruit d’un partenariat noué avec l’Unesco, au moins quatre disques devraient être dédiés au patrimoine mondial de l’humanité, via la représentation d’une grande variété de sites naturels et culturels prestigieux. Si la sélection définitive devrait donner lieu à d'âpres débats parmi les membres du consortium, Benoît Faiveley a d’ores et déjà une petite préférence pour le vignoble de Bourgogne5. « Étant originaire de la ville de Nuits-Saint-Georges, ce serait pour moi un beau symbole de faire figurer dans Sanctuary ces parcelles de vignes en tant qu’archétype du vignoble de terroir. » Un choix qui semble d’autant plus légitime que le nom de la commune désigne depuis 1971 l’un des cratères du site d'alunissage de la mission Apollo 15. ♦

Notes
  • 1. Outre le CEA, le projet Sancturay bénéficie du soutien du Centre national d'études spatiales (Cnes) et de l’Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique (Inria).
  • 2. Unité CNRS/Sorbonne Université.
  • 3. Imaginé par l’astronome américain Carl Sagan, ce disque d’or destiné à de potentiels extra-terrestres regroupe une centaine d’images, des dizaines de langues et de sons censés représenter la diversité de la vie et de la culture terrestre.
  • 4. Unité CNRS/MNHN/Sorbonne Université.
  • 5. Inscrit au patrimoine mondial de l’humanité depuis 2015, ce site regroupe 1247 parcelles de vignes situées sur les pentes de la côte de Nuits et de Beaune, au sud de Dijon.
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Auteur

Grégory Fléchet

Grégory Fléchet est né à Saint-Étienne en 1979. Après des études de biologie suivies d’un master de journalisme scientifique, il s’intéresse plus particulièrement aux questions d’écologie, d’environnement et de santé.

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