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Ce coquillage est un instrument de musique vieux de 18.000 ans
C'est un véritable trésor qui dormait dans les réserves du Muséum d’histoire naturelle de Toulouse. Ce coquillage de 31 centimètres de long, décrit comme un « vase à eau » lors de sa découverte en 1931 sous le porche de la grotte ornée de Marsoulas, vient de livrer sa vraie nature aux archéologues qui publient aujourd’hui leur découverte dans Science advances1. Loin de servir de contenant, ce coquillage de la famille des Charonia lampas, un mollusque que l’on retrouve aujourd’hui encore dans le golfe de Gascogne, se révèle en réalité être un... instrument à vent. Cela en fait la première conque musicale jamais identifiée pour la période paléolithique, un objet contemporain de l’occupation de la grotte ornée pyrénéenne, il y a 18 000 ans de cela, par les hommes du Magdalénien.
« On sait depuis quelques dizaines d’années que les hommes du Paléolithique avaient une culture musicale. Les plus vieux instruments à vent connus sont des flûtes fabriquées dans des os de vautour et datées de 35 000 ans pour celle d’Isturitz au Pays Basque, et de 40 000 ans pour celle de Hohle Fels, en Allemagne. Mais aucune conque musicale n’avait encore jamais été retrouvée », explique Carole Fritz2, la directrice du Centre de recherche et d’études de l’art préhistorique - Émile Cartaihac (Creap), qui raconte sa sidération lorsqu’elle a entendu le son produit par la conque, un beau jour de 2018.
« J’étais en train d’inventorier les objets retrouvés dans les différentes couches stratigraphiques de la grotte de Marsoulas, afin d’établir une chronologie fine du site, et Guillaume Fleury, le responsable des collections préhistoriques du muséum, m’a dit en me montrant le coquillage : “Tu sais qu’il fait un très joli son ?” La note qu’il en a tirée, grave et puissante, m’a estomaquée : cela ne pouvait être qu’un instrument de musique... Et l’orifice par lequel mon confrère soufflait, au sommet du coquillage, ne devait pas être apparu là par hasard. »
Un coquillage modifié par l'homme
Un examen approfondi de la conque a permis d’attester qu’elle avait bien été aménagée par les Magdaléniens de Marsoulas pour en faire un aérophone – un instrument de musique à vent. « Les spécialistes me l’ont confirmé : ces coquillages sont d’une extrême dureté et il est impossible que la pointe du coquillage – aussi appelée apex – ait été séparée accidentellement du spécimen », indique Carole Fritz. Un second orifice, pratiqué à l’intérieur de la conque au niveau de la deuxième spire du coquillage et révélé par la tomographie réalisée sur la plateforme d’imagerie du Centre national d’études spatiales (Cnes) confirme l’intervention humaine. Autre modification visible : le bord extérieur du pavillon du coquillage a été taillé, afin de le rendre plus étroit.
À l’invitation des chercheurs, un joueur professionnel de cor est venu souffler dans la conque, et l’analyse des fréquences produites a permis d’identifier trois sons proches des notes do, do dièse, et ré. « Il n’a pu en tirer davantage, car le bord coupant de l’orifice l’empêchait de bien positionner ses lèvres, commente Carole Fritz. Mais les notes émises par le coquillage ont confirmé notre intuition : on était bien en présence d’un instrument de musique ! » Également sollicité, Emmanuel Kasarherou, le directeur du musée du Quai Branly, n’a pu que constater la parenté de l’objet avec les conques musicales présentes dans les collections du musée consacré aux arts premiers. « La conque dans le Pacifique est un objet extrêmement commun dont on fait encore de nos jours des instruments de musique », rappelle l’archéologue, qui s’est livré à une étude comparée de ces différents aérophones.
« Parmi la vingtaine de Charonia présentes dans nos collections, réunies pour la plupart au XIXe siècle, j’ai relevé deux façons d’aménager le coquillage et d’en jouer, note Emmanuel Kasarherou : soit en pratiquant une perforation latérale sur la conque, ce qui permet au musicien de moduler le son en plaçant facilement sa main dans le pavillon du coquillage, soit en pratiquant une perforation apicale semblable à celle retrouvée sur la conque de Marsoulas. » Dans ce dernier cas, il n’est pas rare d’ajouter un embout en cire naturelle afin de faciliter le jeu du musicien, ce qui expliquerait les traces de matière organique retrouvée près de la pointe de la conque de Marsoulas.
La perforation pratiquée au niveau de la deuxième spire du coquillage est en revanche plus intrigante, l’examen à l’endoscope des conques du musée n’en révélant pas de similaire. L’une des hypothèses des chercheurs, à confirmer, est qu’un os d’oiseau de petite taille – on sait en effet que ceux-ci sont creux – était peut-être introduit dans les deux orifices.
Un probable objet cérémoniel
Dans quel cadre la conque de Marsoulas était-elle jouée par nos ancêtres magdaléniens ? « Ce n’était probablement pas un objet du quotidien. Les traces de points rouges visibles à l’intérieur du pavillon, semblables aux points rouges du bison peint sur les parois de la grotte, laissent plutôt supposer un usage cérémoniel de cet instrument », avance Emmanuel Kasarherou, qui évoque les conques richement décorées des îles Marquises ou du Japon jouées pour accompagner des rites bien précis. Carole Fritz en est en tout cas persuadée : « La conque et la grotte sont en correspondance et ne peuvent être envisagées séparément. » Grâce à l’impression 3D, une copie conforme du coquillage a pu être créée. Elle permettra de continuer à en explorer toutes les possibilités sonores, mais aussi d’aller – à nouveau ! – le faire sonner dans la grotte de Haute-Garonne où il a été transformé, il y a 18 000 ans de cela... ♦
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Auteur
Journaliste scientifique, Laure Cailloce est rédactrice en chef adjointe de CNRS Le journal. et de la revue Carnets de science.