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Les mystères de la grotte Cosquer
La découverte de la grotte Cosquer constitue une histoire en soi. Quelles en ont été les grandes étapes ?
Cyril Montoya1. C’est une histoire heurtée que celle de cette découverte. Le terrain, très difficile d’accès, n’est bien sûr pas pour rien dans cette histoire compliquée. La découverte remonte au milieu des années 1980 mais le plongeur Henri Cosquer attendra 1991 pour la déclarer officiellement, à la suite d’un drame où trois plongeurs ont trouvé la mort dans le boyau qui mène à la grotte. Alors que la grotte relève du Paléolithique supérieur comme le prouvent les premières datations au carbone 14 réalisées sur des échantillons de charbons prélevés, c’est à Jean Courtin, néoliticien, qu’il revient de l’authentifier car aucun archéologue spécialiste de la période n’est alors en capacité de plonger par 37 mètres de fond, et en suivant un boyau sombre et assez étroit de plus de 137 mètres sous le massif des Calanques.
La France a beau être le pays qui concentre le plus grand nombre de grottes ornées au monde, aucune n’avait encore été découverte à l’est du Rhône, en Provence, ce qui a conduit des préhistoriens à douter de son authenticité pendant plusieurs mois. Le doute levé, plusieurs campagnes de fouille et de conservation s’organisent en 1992 et 1994, auxquelles s’associe le préhistorien et spécialiste d’art pariétal, Jean Clottes. Des travaux d’aménagement et d’autres campagnes suivront2. La restitution de la grotte, plus de trente ans après sa découverte, marque la fin d’un cycle mais pas celles des découvertes. Elle nous réserve certainement encore des surprises.
À quelles périodes préhistoriques correspond la fréquentation de la grotte ?
C. M. Avec une quarantaine de datations réalisées, la grotte Cosquer est sans doute – avec Chauvet – une des grottes ornées les mieux datées au monde grâce aux nombreux résidus de charbon qui y ont été prélevés. Elle a été fréquentée pendant plusieurs millénaires, dans une fourchette située entre 27 000 ans et 14 000 ans avant notre ère.
Cette longue période correspond à deux grandes cultures paléolithiques identifiées par les préhistoriens : le Gravettien et l’Épigravettien. Les hommes, femmes et enfants dont on trouve les traces de mains dans la grotte sont des sapiens-sapiens, autrement dit des gens qui ressemblent en tout point aux humains que nous sommes. Rappelons que les hommes et femmes préhistoriques n’habitaient pas à l’intérieur des grottes : à proximité de l’entrée, sous abri, oui, ou en plein air mais jamais en profondeur.
Dans quel environnement, dans quels paysages évoluaient-ils ?
C. M. L’entrée de la grotte Cosquer est située aujourd’hui sous la mer, ce qui n’était pas le cas il y a 30 000 ans. Le niveau de la mer se trouvait 120-130 mètres plus bas qu’aujourd’hui et il fallait parcourir de 6 à 10 kilomètres pour rejoindre le littoral depuis la grotte. Cosquer n’est donc pas une grotte littorale stricto sensu même si l’on y trouve des représentations d’animaux marins, tels que le phoque-moine et le grand pingouin. Autour de la grotte, il faut s’imaginer un espace très ouvert, de type steppique, avec à la fois le massif escarpé des calanques et devant, une grande plaine avec des bosquets d’arbustes comme des genévriers, des collines, des vallées détourées par des pins sylvestres – une espèce d’arbres dont les charbons ont été identifiés à la fois comme ayant servi à l’éclairage dans la cavité et comme composant des aplats enduits noirs sur les parois. Le climat était celui de l’Islande actuelle : étés courts et hivers très rigoureux. Ce qui explique la présence de certaines espèces animales.
Précisément, avec douze espèces représentées, plus de 230 figures animales, les parois offrent un spectacle d’une grande diversité…
C. M. Une diversité relative car les espèces représentées de manière dominante sont celles que l’on trouve dans d’autres grottes préhistoriques : chevaux, bovidés tels que des bisons, cervidés, bouquetins et chamois. Présents en grand nombre, les chevaux ressemblent à des chevaux de Przewalski, trapus et courts au garrot. Cosquer contient cependant quelques éléments très originaux comme les animaux marins (pingouins, phoques) mais également la représentation d’antilopes saïgas, animal en voie de disparition qui vit aujourd’hui dans les steppes d’Asie centrale, au Kazakhstan par exemple. Parmi les cervidés représentés on trouve un mégacéros, animal très spectaculaire dont les bois pouvaient atteindre trois mètres de haut. Ainsi que des animaux qui restent encore indéterminés. Plusieurs de ces espèces ont aujourd’hui complètement disparu de la Méditerranée comme les félins, le grand pingouin, l’antilope saïga ou encore le bison.
Les artistes préhistoriques dessinent et peignent des animaux mais, hormis les mains, jamais des humains. Cosquer, de ce point de vue, ne fait guère exception.
C. M. C’est en effet une des nombreuses énigmes de l’art pariétal bien que ce ne soit pas tout à fait exact. Disons que les représentations humaines sont très rares. À Cosquer, il y a la potentielle gravure de « l’homme tué », silhouette anthropomorphe dont la tête est proche de celle d’un phoque. Les archéologues ont également trouvé des visages sur des plaquettes gravées du site de La Marche dans la Vienne, une grotte datée elle aussi du Paléolithique supérieur. Et nous disposons aussi de ces statuettes « Vénus » gravettiennes qui témoignent d’une représentation humaine féminine.
La présence de nombreuses mains « en négatif » interroge. Quelle signification peut-on leur attribuer ?
C. M. Nous en avons en effet recensé un très grand nombre. L’artiste apposait sa main sur la paroi et soufflait de l’argile tout autour, comme avec un pochoir, laissant ainsi apparaître sa main. D’où l’expression de mains « en négatif ». Des mains d’hommes, de femmes, d’enfants : l’intégralité d’un groupe humain a fréquenté Cosquer. Ce qui n’est guère étonnant si l’on songe à la logistique et à l’organisation nécessaires pour atteindre la cavité et y réaliser les peintures : il fallait beaucoup de bras ! Mais ce n’est certainement pas la seule raison… La présence de mains en négatif n’est pas une caractéristique propre à Cosquer. On peut même parler de comportement propre à la culture gravettienne en Europe. La grotte de Gargas notamment, dans les Hautes-Pyrénées, en compte plusieurs centaines ; à Pech Merle dans le Lot, ou à Chauvet en Ardèche également. À Cosquer, certaines de ces mains ont des doigts incomplets, des phalanges en moins. On peut imaginer des mains mutilées, blessées mais l’hypothèse la plus solide est que ces mains traduisent une sorte de code, un langage de communication entre chasseurs-cueilleurs comme l’utilisaient encore il n’y a pas si longtemps les Indiens d’Amérique du Nord. Mais il faut être honnête : le sens de ces signes/codes ne nous est plus accessible aujourd’hui.
Que représentait la grotte ? Quel en était l’usage ?
C. M. Il est très probable que la grotte eut plusieurs fonctions durant la très longue durée de sa fréquentation. Lieu de rituel ? Espace où hommes et femmes préhistoriques se racontaient et représentaient des mythes ? Que signifient les dessins géométriques qui couvrent certaines parois, une étrangeté qui n’est pas spécifique à Cosquer… ? La Préhistoire nous invite à une très grande modestie car beaucoup de choses nous échappent. Cela ne nous exonère pas de travailler sur le réel.
Pour vous archéologue, la grotte Cosquer est loin d’avoir livré ses secrets…
C. M. Ces dernières années, la restitution de la grotte a nécessité, pour des raisons de conservation et de valorisation, d’acquérir en 3D une grande partie des parois de la cavité. L’ouverture de Cosquer Méditerranée va permettre de valoriser ce remarquable travail. Cela permettra l’accès au plus grand nombre à ce patrimoine exceptionnel. Les années qui viennent vont nous permettre de nous focaliser sur la conservation par l’étude de ce site en péril. Car on ne connaît pour l’instant cette cavité ornée que de manière globale. Il nous faut vraiment entrer dans le détail. Cette grotte ne se résume pas à des parois peintes, qui en sont la partie la plus spectaculaire. Ce sont aussi des sols, des foyers d’éclairage, des traces d’activité de toutes sortes. Par exemple, de nombreux prélèvements de matière plastique liée à l’altération des parois ont été identifiés. Quel était l’usage par les groupes humains préhistoriques de cette pâte calcaire ? Nous allons également travailler sur les silex découverts dans la grotte et tenter de découvrir pour quels usages ils ont été taillés.
Est-ce là une course contre la montre qui s’engage ?
C. M. Oui car l’eau monte, la grotte est menacée, sa disparition est programmée. D’ores et déjà, 4/5e de la grotte sont immergés. Nous allons donc établir une stratégie de travail qui tiendra compte de la montée des eaux. Notre recul, qui est déjà d’une quinzaine d’années, montre une accélération. Les dégâts provoqués par le réchauffement climatique sont très visibles dans la grotte. La campagne de fouilles archéologiques que nous allons engager sera nécessairement différente de l’approche choisie dans les autres grottes ornées où la conservation est placée au-dessus de toutes les considérations. La sauvegarde de Cosquer ne peut s’opérer que par l’étude scientifique, même s’il va falloir opérer des interventions invasives que nous nous interdirions sans doute dans d’autres sites. Si l’on n’intervient pas rapidement, c’est la mer qui va s’en charger !
Quelles sont les questions clés auxquelles cette prochaine campagne va tenter de répondre ?
C. M. Une des premières questions porte sur la chronologie de fréquentation de la cavité. Est-elle bien cernée ? Je pense qu’il est possible d’obtenir quelque chose de plus précis. Il n’est pas impossible que des éléments plus anciens soient présents dans la grotte. Nous allons travailler sur les phases de fréquentation, partant notamment de l’hypothèse que le boyau que nous empruntons pour y pénétrer n’a peut-être pas été accessible tout le temps. Comprendre cette accessibilité est essentiel, d’où l’intérêt de croiser les approches archéologiques et géomorphologiques. L’équipe que j’ai réunie comprend ainsi des karstologues qui nous aideront à comprendre, notamment, comment s’est formée la grotte dans le massif des Calanques et comment elle a évolué jusqu’à aujourd’hui ; et des hydrogéologues aptes à décrypter le fonctionnement complexe passé et actuel de la grotte. Nous disposons grâce aux relevés qui ont été effectués durant les dix dernières années de données qui peuvent nous éclairer sur les modalités scientifiques de baisse et de montée des eaux dans la cavité.
Notre équipe comprend aussi des géomorphologues qui étudieront la dynamique sédimentaire à l’intérieur et à l’extérieur de la grotte et la façon dont les deux espaces sont connectés. À cette palette, il faut bien sûr ajouter des archéologues pour travailler notamment sur les sols, des spécialistes de l’art pariétal, des archéo-zoologues qui pourront s’appuyer sur les relevés 3D pour étudier le comportement animal tel qu’il a été saisi par les artistes préhistoriques. Mais cette équipe interdisciplinaire est destinée encore à s’élargir, notamment sur les problématiques paléo-environnementales. C’est une vraie enquête interdisciplinaire que nous allons mener avec le soutien du ministère de la Culture et l’appui du bassin scientifique local comprenant notamment le Laboratoire Méditerranéen de Préhistoire Europe Afrique (Lampea)3 et le Centre Européen de Recherche et d’Enseignement de Géosciences de l’Environnement (Cerege)4.
La restitution constitue une sorte d’hymne aux technologies numériques… Sont-elles en train de transformer votre métier ?
C. M. Nous disposons, grâce aux technologies numériques, de relevés d’une précision inédite, à l’échelle infra-millimétrique. La chronologie des tracés, la stratigraphie, le profil de l’outil, la précision des gestes de celles et ceux qui ont peint ou gravé sur les parois nous sont également apportés par ces relevés. Les relevés 3D permettent aussi de travailler « au sec » de manière confortable alors que l’accès à la grotte demeure extrêmement fatigant et complexe. La 3D permet un très bon enregistrement de terrain, ce qui en fait une excellente archive scientifique. Mais cela demeure un outil. Cependant, rien ne remplacera jamais l’œil humain qui capte un ensemble et parfois même des détails qui échappent à la technologie. ♦
A visiter :
Cosquer Méditerranée : le site de la réplique de la grotte Cosquer, Villa Méditerranée, Marseille, ouverture le 4 juin 2022
A voir :
La grotte Cosquer - Un chef-d'œuvre en péril, documentaire réalisé par Marie Thiry, produit par Gédéon Programmes en coproduction avec le CNRS. A voir sur arte.tv à partir du 4 juin et sur Arte le 25 juin à 22h20
- 1. Conservateur en chef du patrimoine, membre permanent du Laboratoire méditerranéen de préhistoire Europe Afrique (Lampea, unité CNRS/Aix Marseille Université/Ministère de la Culture), responsable scientifique de la grotte Cosquer.
- 2. De 1995 à 2000, des travaux d’aménagement sont entrepris dans la grotte sous le pilotage de Luc Vanrell. En 2002 et 2003, Jean Courtin et Luc Vanrell vont réaliser plusieurs campagnes dans la cavité et compléter un premier inventaire. Entre 200 et 300 entités graphiques sont répertoriées à ce moment-là sur les quelque 530 que nous connaissons aujourd’hui. Ce dernier bilan est le fruit du travail réalisé par Luc Vanrell et Michel Olive depuis 2005.
- 3. Unité CNRS/ Aix-Marseille Université/ Ministère de la culture
- 4. Unité CNRS/ Aix-Marseille Université/ IRD/ Inrae
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Auteur
Brigitte Perucca a été rédactrice en chef au Monde de l'éducation et directrice de la communication du CNRS de 2011 à 2020.
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Le passé éclaire le présent
Gauthier Gilbert le 6 Juin 2022 à 13h11Connectez-vous, rejoignez la communauté
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