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Avec le confinement, sommes-nous devenus des hikikomori ?

Dossier
Paru le 02.03.2022
La société face au Covid-19

Avec le confinement, sommes-nous devenus des hikikomori ?

02.06.2020, par
Mis à jour le 30.03.2021
Confinement à la maison. Montreuil, 4 avril 2020.
Après deux mois de confinement, certains ont du mal à sortir de chez eux. Sont-ils devenus des « hikikomori », du nom de ces jeunes Japonais qui restent cloîtrés au domicile familial par refus du monde extérieur ? La réponse de Natacha Vellut, psycho-sociologue au laboratoire Cermes 3. Cet entretien paru en juin fait partie des 10 contenus les plus vus cette année sur notre site.

Vous êtes co-autrice d'un ouvrage sur les adolescents en retrait, les fameux hikikomori japonais. Qui sont-ils ? Ce phénomène existe-t-il en France également ?
Natacha Vellut1
Les hikikomori sont ces jeunes Japonais âgés de moins de trente ans qui restent au moins six mois sans quitter le domicile familial. Ils arrêtent d’étudier ou de travailler, et cessent toute relation sociale… Certains peuvent vivre reclus pendant des années ! Le mot hikikomori veut dire littéralement « reculer », « se cloîtrer à son domicile ». Le phénomène a été décrit au Japon à la fin des années 1980, mais le terme « hikikomori » a rapidement eu beaucoup de succès auprès des psychiatres et médecins partout dans le monde, qui ont identifié des cas d’hikikomori parmi leurs jeunes patients.
En France, de plus en plus de familles et de jeunes se reconnaissent dans cette définition, même si, hors du Japon, les hikikomori ne sont pas considérés comme une catégorie médicale en tant que telle et qu’aucune statistique sur le phénomène n’est disponible. Certains hikikomori vont être camouflés derrière d’autres appellations, comme les décrocheurs scolaires par exemple. Mais attention, on peut avoir une phobie scolaire et continuer d’avoir des relations en dehors de l’école, donc tous les décrocheurs ne sont pas des hikikomori.

 
Quelle est la cause de ce retrait du monde ?
N. V. : Le phénomène est psycho-social avant tout. Il est né au Japon lors de la grave crise économique qui a suivi l’éclatement de la bulle financière dans ce pays, à la fin des anénes 1980. On a parlé de « génération perdue » pour les jeunes en âge d’entrer sur le marché du travail. La société japonaise continuait de formuler des injonctions, mais n’offrait plus de place à ces jeunes ; quelque chose s’est rompu à ce moment-là.

Le mot hikikomori veut dire littéralement « reculer », « se cloîtrer à son domicile ». Le phénomène a été décrit au Japon à la fin des années 1980, mais le terme a rapidement eu beaucoup de succès auprès des psychiatres et médecins partout dans le monde, qui ont identifié des cas d’hikikomori parmi leurs jeunes patients.

Au-delà du cas japonais, la société actuelle fixe un niveau d’exigence extrêmement élevé, au niveau professionnel comme personnel, alors que dans le même temps, il devient de plus en plus difficile de trouver un travail et de se faire une place dans la vie, sans parler des normes que la pression des réseaux sociaux imposent aux jeunes d’aujourd’hui – « sois comme ceci, fais comme cela ». Le niveau d’insécurité ontologique s’est fortement accru, et est encore renforcé par les menaces environnementales, la crise climatique, et aujourd’hui cette pandémie mondiale. D'une certaine manière, et Bruno Latour le montre bien dans son ouvrage Où atterrir ? 2, le mouvement des ZAD, comme à Notre-Dame-des-Landes, est aussi une façon de répondre à cette insécurité, de se mettre en retrait de la société actuelle, mais en tentant de créer un autre monde.

Est hikikomori tout jeune qui reste cloîtré à son domicile durant au moins six mois.
Est hikikomori tout jeune qui reste cloîtré à son domicile durant au moins six mois.

Le confinement que nous avons vécu, et continuons de vivre partiellement, a-t-il des similitudes avec le phénomène hikikomori ? 
N. V. : Le confinement nous a été imposé, donc on ne peut pas parler d’un retrait choisi du monde. Mais, si certaines personnes en ont souffert, il faut bien constater que d’autres ont très bien vécu cette période de réclusion et se sont construits une sorte de bulle dont elles ont aujourd’hui du mal à sortir. Par peur de l’épidémie, évidemment, mais pas uniquement.

En se retirant du monde, les hikikomori s’extraient des relations sociales qu’ils ont tendance à juger trop compliquées. Le confinement a créé une situation similaire, avec un allègement du poids que représente le lien social, qu'il soit professionnel, mais aussi familial ou amical.

Les hikikomori, en se retirant du monde, s’extraient des relations sociales qu’ils ont tendance à juger trop compliquées, trop exigeantes. Que ce soit avec les professeurs, les collègues de travail, et même les amis, toute relation sociale demande un effort qu’ils ne sont plus capables de faire. Les personnes qui ont bien vécu le confinement se retrouvent dans une situation similaire. Il y a eu un allègement du poids que représente le lien social, que celui-ci soit professionnel – on sait que le travail génère de plus en plus de souffrance –, mais aussi familial ou amical. Elles sont dans un cocon protégé du monde, où elles se trouvent bien. On voit des gens déconfinés qui ne veulent plus sortir de chez eux, des citadins qui se sont confinés à la campagne et ne veulent pas rentrer en ville. Mais ce qui au départ semble une bonne solution pour échapper à l’anxiété peut rapidement devenir un poison.
 

En quoi un confinement prolongé peut-il devenir un poison ?
N. V. : Pour revenir au phénomène hikikomori, un retrait prolongé du monde accoutume ces jeunes à un espace-temps très réduit, où les repères temporels se brouillent. D’ailleurs, beaucoup de hikikomori inversent le rythme jour-nuit ! Ils perdent toute notion de durée, car le temps devient très cyclique, très quotidien, et toute notion d’écoulement du temps disparaît. Les jours se succèdent et se ressemblent tous. C’est un piège, dont on ne se rend pas compte lorsqu’il s’installe, et dont il est compliqué de sortir. Il y a un terme né pendant le confinement qui dit bien cela, c’est le mot-valise « lundimanche » : en confinement, tous les jours ressemblent à un dimanche.

Il y a indubitablement un effet protecteur du confinement – même s'il provoque d’autres troubles, bien montrés par les études, comme les troubles alimentaires ou les troubles du sommeil. Par conséquent, le risque d’un rebond de l’anxiété est réel lors du retour à la vie normale.

Après une phase de retrait de plusieurs mois, retrouver des horaires, des objectifs, devient très difficile. De plus, certains hikikomori se rendent brutalement compte que le monde a continué d’avancer sans eux, que leurs amis d’école ont trouvé un travail, ou se sont installés avec quelqu’un…, et qu’eux n’ont rien fait de tout ce temps. Ils peuvent passer par un moment dépressif. D’autres encore développent des angoisses par rapport à l’espace qui leur paraît trop grand, trop bruyant, les émotions sont trop fortes, ils sont sujets aux vertiges…
Pour parler plus spécifiquement du confinement, il y a indubitablement un effet protecteur de cette situation – même si elle provoque d’autres troubles, bien montrés par les études, comme les troubles alimentaires ou les troubles du sommeil. Par conséquent, le risque d’un rebond de l’anxiété est réel lors du retour à la vie normale.
 

Le numérique, en permettant de garder le contact avec le monde tout en restant chez soi, ne facilite-t-il pas ces phénomènes de retrait ?
N. V. : Dans une certaine mesure, oui, on peut dire qu’Internet accompagne le retrait et permet sa durée. On ne peut pas ignorer que le phénomène hikikomori est né au Japon en plein essor du marché des jeux vidéo, et que les hikikomori passent beaucoup de temps devant les écrans – pour jouer en ligne, regarder des films, ou pour assouvir leur curiosité pour un sujet qui les passionne ; en revanche, contrairement à une majorité d’entre nous pendant le confinement, ils utilisent très peu les réseaux sociaux, ou s’ils le font c’est de façon anonyme et certainement pas pour se mettre en scène. On peut en tout cas penser que si les hikikomori s’ennuyaient un peu plus, ils sortiraient peut-être plus vite de leur retraite... ♦

À lire :
Hikikomori, une expérience de confinement
, sous la direction de Natacha Vellut, Claude Martin, Cristina Figueiredo et Maïa Fansten, Presses de l'EHESP, mars 2021, 192 pages, 25 €.

Hikikomori, ces adolescents en retrait, Maïa Fansten, Cristina Figueiredo, Nancy Pionné-Dax, Natacha Vellut, Armand Colin, 2014, 216 pages, 21,90 €.

Notes
  • 1. Chercheuse au Centre de recherche médecine, sciences, santé, santé mentale, société (CNRS/Inserm/Université de Paris).
  • 2. Où atterrir ?, Bruno Latour, La Découverte, 2017.

Commentaires

2 commentaires

Bonjour, Juste une remarque: on parle beaucoup de "jeunes" dans cette article à propos des hikikomori au Japon, mais ce n'est pas forcément un bon reflet de la réalité et la définition du hikikomori selon le ministère japonais ne contient pas de notion d'âge. Selon des études citées, par exemple, sur la page wikipédia sur le sujet, le nombre de hikikomori de plus de 40 ans est du même ordre que celui des moins de 40 ans. Pour le reste de l'analyse, vivant seul, au Japon, en respectant le confinement et avec des tendances (juste des tendances) un peu hikikomori parfois, je dois avouer que le temps passé devant mon écran est énorme, que cette situation est assez confortable et que le fait qu'elle est d'une certaine façon "vertueuse" (puisque on se conduit bien en respectant les injonctions à rester chez soi) élimine en bonne partie la mauvaise conscience qu'on peut avoir à rester chez soi.

Bonjour, Je pense que le problème dépend d'une réalité plus profonde à la fois commune et individuelle et même assez personnelle... l'éducation, l'entourage familiale peuvent, certes, être une prédisposition qui ne sont pas notre choix, mais le problème est déjà bien installé. Ce n'est pas pour rejeter la faute sur qui que ce soit, mais se plaindre, justement rejeter la faute de nos malheur sur les autres, une perception érroné du monde qui n'est pas un problème propre aux Hikikomori ou "reclus" mais qui est un fait que l'on banalise et que l'on n'hésite pas à exprimer même en public par ignorance... En effet, on ne peut pas s'attendre à un autre résultat quand apprend dés notre enfance à ne voir que le mal. Personne ne nous empêche dans la vie de nous contenter de nous concentrer exclusivement sur notre pouvoir d'action, d'avoir une intention et non pas un objectif figé dans le temps et qui ne nous autorise pas l'échec et de fixer les étapes à suivre et qui tendent à nous rapprocher un peu plus chaque jour du résultat attendu. Mais c'est plus facile à dire qu'à faire et pourquoi? Parcequ'il ne faut pas chercher le mal en dehors de nous même quand le problème relève de notre perception du monde. Nous sommes chacun, individuellement, responsable de ce que nous pensons et ressentons. De notre perception du monde. Mais c'est un mal contagieux quand on en a pas conscience. Et quand on apprendra à nous regarder nous même, à se questionner soit même jusqu'à revenir à la source de nos pensées, de notre mal être, on constatera alors que nous sommes nous même les architectes de notre propre malheur ou bonheur et que ce n'est qu'en s'acceptant soi même, qu'en étant heureux avec soi même que l'on pourra alors partager avec les autres et les accepter...
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