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La crise du Covid-19 a-t-elle changé notre rapport à la vaccination ?
Par son ampleur et son urgence, la pandémie de Covid-19 a été l’une des plus grandes crises sanitaires de l’histoire française récente, constituant un véritable tournant sur le plan scientifique, avec une accélération considérable sur le front de la recherche. Une accélération qui n’a pas seulement concerné la recherche médicale mais aussi les sciences humaines et sociales (SHS), tant la pandémie a bouleversé la vie des Françaises et des Français et a investi les champs institutionnel, politique et médiatique. En outre, la campagne de vaccination initiée fin 2020 – la plus grande campagne de vaccination que la France ait jamais connue – a constitué un véritable événement social collectif chargé de sens.
Il n’est alors pas surprenant que plusieurs disciplines des SHS (sociologie, sciences politiques, anthropologie, économie, philosophie, sciences de l’information et de la communication, sciences sociales computationnelles...) aient mobilisé leurs ressources pour étudier le sujet complexe que constituent les aspects humains et sociaux de la vaccination dans l’ère post-Covid, donnant lieu à un foisonnement de publications sans précédent. Toutefois, ce foisonnement se fait au risque d’une fragmentation des données et de la création de bulles thématiques limitant la circulation des résultats et des analyses, entravant par là le développement d’une véritable interdisciplinarité et d’un dialogue au sein même des communautés de recherche.
Pour y voir plus clair dans la jungle des publications
C’est dans ce contexte que paraît la première édition du rapport « La recherche sur les aspects humains et sociaux de la vaccination en France depuis le Covid-19 », rédigé par Jeremy K. Ward, sociologue et chargé de recherche à l’Inserm1, avec le soutien de plusieurs scientifiques, en même temps qu’est lancé le réseau SHS Vaccination France, les deux s’intégrant dans le cadre du projet Icovac-France. Celui-ci est destiné à suivre et documenter dans les prochaines années les enjeux vaccinaux autour du Covid-19 et à étudier l’impact de cette crise sur les rapports ordinaires aux vaccins et les controverses vaccinales.
Chaque chapitre de ce rapport se présente comme un résumé des connaissances disponibles et des travaux publiés sur chacune des cinq thématiques traitées : les recommandations vaccinales et l’expertise sur laquelle elles se fondent ; l’organisation des campagnes de vaccination et des politiques vaccinales ; les attitudes et comportements de vaccination ; les professionnels de santé ; les aspects communicationnels, les mobilisations publiques et les débats médiatiques suscités par les vaccins.
Ces cinq chapitres indiquent que si la majorité des travaux existants se sont concentrés sur les attitudes et les comportements du public, notamment sur la défiance vaccinale, les SHS peuvent également fournir un éclairage utile sur d’autres problématiques liées à la vaccination comme les questions organisationnelles, les processus de décision publique, les inégalités d’accès, les enjeux éthiques, les mobilisations sociales, les controverses publiques, jusqu’à la manière dont la recherche est conduite et l’expertise instituée.
Stimuler les dialogues interdisciplinaires, structurer la communauté des chercheurs
Revenant sur la genèse de ce rapport inédit, tant par la forme que par le fond, Jeremy K. Ward explique : « À l’issue du projet Slavaco (pour suivi longitudinal des attitudes à l’égard d’un vaccin contre le Covid-19, Ndlr), nous avons été très impressionnés par la mobilisation de la communauté scientifique dans le milieu des sciences sociales et dans celui de la santé publique autour de la thématique de la vaccination. Mais nous avons également vu que la multiplication des publications françaises et internationales rendait très difficile le suivi de la littérature. Il nous a alors paru essentiel de produire des documents, des outils qui visent à aider à se retrouver dans ce paysage de la recherche. » Le sociologue ajoute que « c’est aussi une opportunité à la fois de stimuler les dialogues interdisciplinaires, notamment au sein des sciences humaines et sociales, et de favoriser la structuration et le dynamisme à long terme d’une communauté de recherche. »
Déjà avant la pandémie, des questions comme celle de la réticence à l’égard des vaccins s’étaient constituées en champ de recherche à part entière, mobilisant sociologues, psychologues, anthropologues, data scientists ou encore chercheurs en santé publique. La crise sanitaire et la campagne vaccinale contre le Covid-19 ont contribué à accélérer et densifier cette littérature.
Le rapport se veut ainsi une cartographie pluridisciplinaire de l’état de l’art à destination des chercheurs en sciences sociales et en santé publique, français et internationaux, ainsi que des acteurs de terrains, des décideurs mais aussi des journalistes. Les sources utilisées s’arrêtent au second semestre 2023 mais de nouveaux travaux, actuellement en cours de rédaction ou d’évaluation par les pairs, seront ajoutés au rapport qui sera régulièrement mis à jour.
Une vocation à la fois descriptive et prescriptive
« Ce premier rapport est un point d’étape sur ce moment assez incroyable et frénétique qu'ont été les trois premières années de l’épidémie, précise Jeremy Ward. C’est le tout début d’un projet qui a été lancé en janvier 2023. L’idée est que ce rapport soit actualisé chaque année. Il prend acte qu’il existe plusieurs temporalités dans la recherche. Par exemple, la temporalité d'analyse des données est beaucoup plus rapide lorsque vous traitez des données du type enquête par questionnaire que lorsque vous faites de l'ethnographie, des entretiens au long cours, etc. » Différences de temporalités et diversité des sources puisque le rapport compile également des articles de presse grand public et des résultats de sondages d’opinion.
« Si les questions non covidiennes de la vaccination sont abordées dans cette première édition, elles devraient l’être encore davantage dans les prochaines, notamment avec le lancement de la campagne de vaccination contre le HPV (Human Papillomavirus ou virus du papillome humain, Ndlr) dans les collèges en France à l’automne 2023 », note le sociologue. Tout en décrivant les travaux français publiés entre 2020 et 2023, le rapport pointe en creux les recherches qui n’ont pas été menées. « Cela peut sembler paradoxal mais dire “Voici les travaux qui ont été réalisés, voici ceux qui ne l’ont pas été mais qui mériteraient d’être développés” est également très utile, assure Jeremy Ward. J’espère que ce rapport pourra ainsi stimuler la recherche sur des aspects qui n’ont pas ou peu été traités en sciences humaines et sociales, comme l'organisation concrète de l'expertise sur la vaccination et de la recherche vaccinale, et leur rapport avec les controverses et débats publics. »
En ce sens, ce rapport a donc aussi une vocation prescriptive. « Nous insistons sur la nécessité de financer des recherches en SHS sur d’autres sujets que celui que beaucoup appellent “l’acceptabilité” vaccinale », explique le sociologue.
Une démarche et un format novateurs
Michel Dubois, sociologue des sciences, directeur du Groupe d'étude des méthodes de l'analyse sociologique de la Sorbonne2, qui n’a pas participé à la rédaction du rapport, considère que celui-ci a le mérite de pointer la « variabilité du rapport à la vaccination et de montrer que l’opinion n’est pas aussi rigide que ce que l’on pense parfois. Il met aussi en évidence le rôle qu’a pu jouer la pandémie dans l’acceptabilité des vaccins ». Toutefois, bien qu’il estime que « le projet (soit) extrêmement pertinent pour se repérer dans la jungle des publications en SHS, mettant bien en avant la diversité des formes de problématisation autour de la vaccination », le sociologue regrette « une publication peut-être un peu trop anticipée eu égard à la pléthore de travaux en cours et non encore publiés ». Gageons qu’une seconde édition, en 2025, saura pallier ces carences.
Toujours est-il que ce rapport entend apporter une certaine dose de nouveauté dans la manière d’aborder ce genre de problématiques. « C'est une proposition de format différent de ce qui existe dans le monde académique et qui est aussi une réponse à ses travers : d’une part le “publish or perish” qui conduit à une multiplication des publications et d’autre part, une tendance à focaliser les ressources, notamment les financements publics de la recherche, sur des sujets d'actualité et à la mode, conclut Jeremy Ward. C’est nouveau de mettre au même endroit ce que l'on sait à un moment donné de la couverture vaccinale, des débats qu'a suscités la vaccination pendant l'épidémie de Covid, des données sur ce que l'on sait des rapports du public et des professionnels de santé à l'égard de la vaccination, etc. » ♦
Référence
« La recherche sur les aspects humains et sociaux de la vaccination en France depuis le Covid-19 – 1ère édition », rapport de synthèse, Jeremy K. Ward, Sophie Privault, Hugo Touzet, Anais Le Breton, Pierre Verger, Patrick Peretti-Watel, CNRS-INSERM-ORS Provence-Alpes-Côte d'Azur, Villejuif,
2024, 192 p.
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