Sections

Covid-19 : les chiens renifleurs à la rescousse ?

Covid-19 : les chiens renifleurs à la rescousse ?

19.06.2020, par
L’intérieur de la truffe des chiens est recouvert de 200 millions de cellules olfactives, contre seulement 5 millions chez les êtres humains.
Des chiens spécialement entraînés pourraient-ils aider au dépistage du coronavirus ? C’est le pari d’une équipe strasbourgeoise qui mise sur le flair canin pour lutter contre l’émergence de nouveaux foyers d’infection.

Dans un proche avenir, à l’entrée des gares ou des aéroports, aux portes d’une salle de concerts ou d’un stade, vous pourriez rencontrer un Cerbère qui, selon votre odeur, vous laissera ou pas, la voie libre. Il s’agira, en l’occurrence, d’un chien de détection entraîné à reconnaître l'odeur du coronavirus. C’est en tout cas l’idée d’une équipe strasbourgeoise qui voudrait mettre à profit l’extraordinaire flair des chiens pour combattre la pandémie.

 Le flair des chiens, l'allié des médecins ?

Ceci n’a rien de saugrenu. Depuis que nos fidèles compagnons ont appris, lors de la Première Guerre mondiale, à repérer des mines, ils ont largement étendu leur répertoire de détection. Des chiens sont utilisés de façon routinière pour découvrir drogues, argent, explosifs, armes, ou encore, lors des tremblements de terre, des personnes bloquées sous les décombres. L’intérieur de leur truffe est recouvert de 200 millions de cellules olfactives (contre seulement 5 millions chez nous, insensibles bipèdes) qui leur offrent un sens de l’odorat qu’aucun procédé physico-chimique, aucun « nez artificiel », ne peut encore égaler.
 

Des travaux ont prouvé que les chiens étaient capables de détecter le paludisme. D’autres études suggèrent qu’ils peuvent aussi sentir certains cancers.

Pas étonnant que la médecine ait aussi voulu tirer profit de leur super-pouvoir d’olfaction. Des travaux très avancés ont prouvé qu’ils étaient capables de détecter le paludisme. D’autres études suggèrent qu’ils peuvent aussi sentir certains cancers. Alors, pourquoi ne pas tenter le coup sur le Covid-19 ? Voilà ce que s’est dit Philippe Choquet, enseignant-chercheur au CHU de Strasbourg et au Laboratoire des sciences de l'ingénieur, de l'informatique et de l'imagerie (ICube)1. « Si une deuxième vague survient, il sera difficile de reconfiner tout le monde comme on l’a fait. Voilà pourquoi il nous faut disposer d’un moyen non invasif et immédiat pour détecter les porteurs du virus », explique-t-il.

Des chiens de détection pourraient-ils répondre à ce besoin ? Pour creuser l’idée, Philippe Choquet s’est associé à Yves Rémond, chercheur au même laboratoire et professeur à l’école de chimie (ECPM) de Strasbourg. Puis, s’est ajouté à l’équipe Christophe Ritzenthaler, directeur de recherche au CNRS et virologue à l’Institut de biologie moléculaire des plantes du CNRS, toujours à Strasbourg. Tous trois ont lancé le projet COVIDOG, qui "piste" actuellement des financements pour avancer.

 

Ce chien fait partie de ceux qui seront entraînés pour la démonstration de la capacité canine à détecter le coronavirus SARS-CoV-2.
Ce chien fait partie de ceux qui seront entraînés pour la démonstration de la capacité canine à détecter le coronavirus SARS-CoV-2.

Le premier pas sera d’isoler non pas l’odeur du virus, mais celle de la maladie. À l’aide de cultures de cellules infectées, ils récupéreront le volatilome associé à l’infection, c’est-à-dire l’ensemble des molécules volatiles que ces cellules libèrent dans l’air. Il y a fort à parier que ce bouquet différera de celui de cellules saines. « Le virus reprogramme la cellule pour qu’elle travaille pour lui. C’est une modification du tout au tout du métabolisme cellulaire. Donc, les cellules infectées ne libèrent pas les mêmes molécules que les cellules saines », explique Christophe Ritzenthaler. Cette différence pourrait constituer la signature olfactive de la maladie, celle que les chiens pourraient apprendre à reconnaître.
 
Bien entendu, la manipulation de cellules infectées ne peut se faire que dans un laboratoire classé P3. Voilà pourquoi les chercheurs se sont alliés au laboratoire HepSYS, de l’Université de Strasbourg et de l’Inserm, dirigé par Thomas Baumert. Une fois l’odeur capturée, les scientifiques détermineront les molécules qui constituent sa signature. Pour cela, ils feront appel à la startup strasbourgeoise Twistaroma, spécialiste de l’analyse des molécules organiques volatiles. Cette analyse pourrait apporter de nouvelles informations sur la maladie.  « On peut imaginer que, grâce à cette signature, on pourra identifier les cibles cellulaires du virus et les modifications métaboliques qu’il produit », explique le virologue.

Présenter l'odeur aux chiens sans les exposer au virus

Mais ensuite, comment capturer cette odeur et comment la présenter aux chiens que l’on voudra éduquer ? Facile : un dispositif existe déjà. Il a été inventé par une deuxième startup strasbourgeoise, Biodesiv. Il s’agit de tubes spécialement conçus pour l’entraînement des chiens. Ils contiennent un polymère qui capture les molécules volatiles puis les relâche progressivement. En mettant ce polymère au voisinage des cellules infectées, on pourra en récupérer l’odeur sans risque de contamination. Ainsi, ni les chiens ni leurs tuteurs ne seront exposés au virus lors de l’entraînement.

Les tubes Biodesiv sont capables d’absorber et de relarguer les odeurs de manière contrôlée. Les polymères qui le composent ont spécialement été conçus pour absorber l’ensemble du spectre d’une odeur.
Les tubes Biodesiv sont capables d’absorber et de relarguer les odeurs de manière contrôlée. Les polymères qui le composent ont spécialement été conçus pour absorber l’ensemble du spectre d’une odeur.

Entraînement qui, lui aussi, fera appel à des spécialistes. L’équipe s'est associée au Dr Nathalie Simon, experte du comportement canin, et a déjà contacté deux maîtres-chiens dans les rangs des sapeurs-pompiers.  « Ce sont des gens au top de leur profession », assure Philippe Choquet. L’entraînement des animaux, en l’occurrence des border collie et des bergers allemands, durera environ six semaines.
 

Notre but est de faire la preuve de concept et de proposer un protocole d’entraînement des chiens. Si ça marche, ce sera aux autorités de décider comment mettre en place et diffuser la méthode.

Ce sera l’étape cruciale du projet COVIDOG. En effet, c’est à ce moment-là que l’on saura si cette méthode de détection est suffisamment sensible et spécifique. Sensible, car il faut que les chiens soient capables d’identifier des porteurs du virus même si ceux-ci ne présentent que peu ou pas de symptômes. Spécifique, car l’on doit bien s’assurer que les chiens réagissent au Covid-19 et seulement au Covid 19. Ce serait dommage de rater son avion parce qu’un chien vous a pointé du museau à cause d’un rhume ! Si les financements répondent à l’appel et si la méthode s’avère efficace, alors viendra l’étape de mise en œuvre. Faudra-t-il se laisser renifler par les chiens ? Faudra-t-il souffler dans un ballon qui sera présenté aux canidés ? Voilà des questions qui se poseront dans un deuxième temps. « Notre but est de faire la preuve de concept et de proposer un protocole d’entraînement des chiens. Si ça marche, ce sera aux autorités de décider comment mettre en place et diffuser la méthode », précise Philippe Choquet.

Mais déjà, les chercheurs voient plus loin que la seule Covid-19. « Cette méthode pourrait être une révolution dans de nombreux domaines », avance Yves Rémond. « On peut imaginer de l’appliquer à d’autres virus, aux virus hépatiques par exemple, ou à la tuberculose ». De plus, si une nouvelle pandémie se déclenchait, on pourrait disposer en quelques semaines de chiens de détection pour ce nouveau pathogène.  
 
Autre hypothèse : les chiens de détection pourraient nous aider à mieux combattre les épizooties. On se rappelle que la grippe aviaire de 2004 a conduit, par mesure de précaution, à l’abattage de 150 millions de volailles en Asie. De même, 5 millions de cochons ont été sacrifiés en Chine en 2019 à cause de la peste porcine. « On peut imaginer que grâce cette technique, on ne sacrifiera que les animaux atteints », ajoute Yves Rémond. Et déjà, les chercheurs se prennent à rêver d’une grande banque d’odeurs où les volatilomes de tous les pathogènes qui nous menacent seraient stockés dans des tubes, prêts pour l’entraînement des chiens renifleurs. ♦
 

Notes
  • 1. Unité CNRS/ Université de Strasbourg/ INSA Strasbourg/ ENGEES

Commentaires

0 commentaire
Pour laisser votre avis sur cet article
Connectez-vous, rejoignez la communauté
du journal CNRS