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Masques de protection : la piste prometteuse du recyclage

Masques de protection : la piste prometteuse du recyclage

31.03.2020, par
Mis à jour le 09.04.2020
Aujourd’hui, les masques chirurgicaux et FFP2 doivent être jetés après quelques heures d’utilisation… Des scientifiques, des médecins et des industriels se sont donc réunis pour explorer les pistes permettant de les réutiliser sans risque. Entretien avec le professeur Philippe Cinquin qui nous dresse l’inventaire des méthodes expérimentées par ce consortium.

L’épidémie de Covid-19 met en lumière la tension sur les masques de protection. Dans ce contexte, vous avez mis sur pied une task force pour étudier la question de leur réemploi. De quoi s’agit-il ?  
Philippe Cinquin1 : Les masques dits chirurgicaux, qui visent à éviter la projection de sécrétions des voies aériennes par celui qui le porte, tout comme les masques FFP2 qui protègent le porteur contre les risques d’inhalation d’agents infectieux transmissibles par voie aérienne, sont jetés après seulement quelques heures d’utilisation.
 
 

Il s’agit de résultats préliminaires, qui sont susceptibles de rectification et ne peuvent à ce stade être considérés comme des recommandations, que seules les autorités compétentes pourront faire.

Dans la situation actuelle, pour permettre à chacun d’entre nous de porter un masque chirurgical dans ses interactions sociales afin de protéger notre entourage, ou bien dans l’hypothèse, qui heureusement n’est pas d’actualité, où ces masques viendraient à manquer en milieu hospitalier, nous nous sommes demandé s’il serait possible d’imaginer un protocole permettant de les recycler. Précisément d’en éliminer la charge virale après une première utilisation tout en garantissant le maintien de leur niveau de performance.

Concrètement, que proposez-vous ?
P. C. :
Plusieurs pistes sont à l’étude. Dans le cadre d’un consortium interdisciplinaire mis en place par le CNRS, le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) et plusieurs universités et CHU, qui rassemble [des médecins, des scientifiques et des industriels (la liste des membres du consortium et leur institution d'appartenance figure en fin d'article, Ndlr), nous explorons ainsi actuellement les avantages comparés d’un lavage avec un détergent à 60 ou 95 °C, d’un passage en autoclave à 121 °C pendant 50 minutes, d’une irradiation par des rayonnements gamma ou bêta, d’une exposition à l’oxyde d’éthylène et d’un chauffage à 70 °C en chaleur sèche ou humide, ou dans l’eau.

En plein confinement, la mise en place d’un tel programme n’a pas dû être simple !
P. C. : En effet ! Pour autant, tout s’est mis en place extrêmement rapidement par prises de contact successives entre les différents membres du consortium. Tout a débuté le 4 mars lorsque ma collègue hygiéniste, Caroline Landelle, m’a demandé s’il existait un moyen de diminuer la charge virale contenue dans un masque.
 
Dans un premier temps, j’ai tout de suite pensé à l’irradiation par des rayons gamma, un procédé utilisant des photons de très haute énergie, que nous avions utilisé dans le cadre d’un projet sur les biopiles à glucose pour l’alimentation en énergie de dispositifs médicaux implantables. J’ai ainsi contacté mon collègue Laurent Cortella, spécialiste des rayonnements ionisants, qui avait mis au point le protocole de stérilisation de notre biopile : le projet était parti !
 
Concrètement, au sein du CHU Grenoble-Alpes, le service d’hygiène, avec l’aide méthodologique du Centre d’investigation clinique – Innovation technologique, a commencé par mettre en place un protocole de collecte des masques usagés que nous avons ensuite compactés sous vide au sein du laboratoire P3 du service de virologie de l’hôpital. Le 19 mars, un premier « colis » était prêt et les essais d’irradiation ont débuté dès le lendemain. En parallèle, nous avons obtenu des informations sur la composition des masques, ce qui a permis aux collègues du CEA-Saclay et du Centre de recherches sur les macromolécules végétales (Cermav) du CNRS, de commencer à travailler sur les conséquences d’une irradiation de leur matériau constitutif, en l’occurrence du polypropylène.
 
Grâce aux conseils de Sandrine Chazelet, Laurence Le Coq a également mis en place un premier banc de test très proche des conditions de la norme s’appliquant aux masques chirurgicaux pour tester leur performance après traitement. Par ailleurs, avec le service de bactériologie du CHU Grenoble-Alpes, nous avons mis en place un protocole de test de l’efficacité de nos protocoles de désinfection sur les bactéries présentes dans le masque. Enfin, Nathalie Heuzé-Vourc'h, Louis Bernard et Mustapha Si-Tahar, ont coordonné une étude parallèle associant le Centre d'études des pathologies repiratoires et plusieurs services du Centre hospitalier régional universitaire de Tours, et qui a permis d'obtenir des éléments prometteurs pour le recyclage des masques de protection médicale FFP2 et chirurgicaux, par la chaleur humide. 

 

Une hôtesse d'accueil porte un masque de protection, dans un laboratoire d'analyses médicales à Nice, le 26 mars 2020.
Une hôtesse d'accueil porte un masque de protection, dans un laboratoire d'analyses médicales à Nice, le 26 mars 2020.

 
Dans le même temps, d’autres pistes pour le traitement des masques sont apparues ?
P. C. : Dès les premiers essais d’irradiation, la question d’un éventuel passage à une échelle compatible avec les exigences de santé publique nous a fait prendre contact avec Ionisos, un industriel spécialiste de la stérilisation gamma, mais également bêta, c’est-à-dire avec des faisceaux d’électrons, et du traitement à l’oxyde d’éthylène. Nous leur avons envoyé des masques pour des tests de ces trois voies de décontamination reconnues pour leur action aussi bien virucide que bactéricide.
 
De même, d’autres discussions nous ont mis sur la piste de l’autoclave, un procédé connu de stérilisation qui permet d’exposer les masques à 121 °C, et du chauffage sec ou humide à 70 °C, dont la littérature nous incitait à penser qu’il pourrait être suffisant pour détruire les virus. C'est cette dernière piste qu'on particulièrement examinée nos collègues tourangeaux, ainsi que les collègues de l’Anses. Il était enfin très important de tester l’impact du lavage sur les performances des masques qui, au-delà de l’action virucide des autres procédés, vise notamment à éliminer les résidus organiques pouvant former des couches protectrices autour des pathogènes et ainsi réduire l’efficacité des protocoles de décontamination.
 
À ce stade, avez-vous déjà des premiers éléments de conclusion ?
P. C. : Je tiens avant tout à préciser qu'il s’agit de résultats préliminaires, qui sont susceptibles de rectification et ne peuvent à ce stade être considérés comme des recommandations, que seules les autorités compétentes pourront faire. Concernant les masques chirurgicaux, nous avons montré qu’ils conservent leurs performances après un lavage jusqu’à 95 °C. Nous avons également de très bons résultats avec l’autoclave et les rayons gamma. Précisément, nous observons une perte d’efficacité de filtration inférieure à 2 %, ce qui conduit les meilleurs masques usagés et traités testés à de meilleures performances que celles de masques neufs moins bons.
 
Sur les masques FFP2, les premiers résultats obtenus par l’agence Apave de Grenoble montrent que le traitement à l’oxyde d’éthylène en conserve les performances. En revanche, il apparaît que les rayons gamma ne les conservent pas. Enfin, Olivier Terrier et nos collègues tourangeaux, vient de réussir à démontrer que la chaleur sèche à 70 °C détruit très efficacement une charge virale calibrée déposée sur des masques chirurgicaux et FFP2.
 
Quelle suite allez-vous donner à vos travaux ?
P. C. : Dès les prochains jours, nous testerons la combinaison du lavage et d’autres méthodes de désinfection. Deux nouveaux bancs, au Laboratoire réactions et génie des procédés2 à Nancy et au CEA-Grenoble, permettront par ailleurs de tester le niveau de performance des masques chirurgicaux. Et nos collègues du Centre d’investigation clinique – Innovation technologique du CHU de Nancy explorent la possibilité de renforcer nos capacités de collecte des masques usagés. De plus, nous venons tout juste de rejoindre la task force internationale « ReUse » qui travaille exactement sur les mêmes sujets que nous et avec laquelle nous allons partager tous nos résultats.
 
Par ailleurs, l’enjeu de la semaine qui s’ouvre sera de définir pour les deux types de masque la meilleure méthode de traitement et de procéder à des études croisées afin de s'assurer que les masques décontaminés préservent leur qualité. Il sera important de sélectionner la méthosde la plus adaptée pour une mise en œuvre à grande échelle, d’abord pour la population générale, mais aussi pour les professions exposées, voire en cas de pénurie extrême pour les professionnels de santé. De fait, si on peut imaginer un traitement par autoclave au sein des CHU, une irradiation ou une exposition à l’oxyde d’éthylène nécessitera un processus plus centralisé.
 
Concrètement, il s’agit de définir, avec l’aide des spécialistes de l’hygiène et des maladies infectieuses, un circuit complet adapté aux besoins dans des conditions qui garantissent la sécurité de l’ensemble de la chaine, de la collecte au traitement et à la remise en service des masques. Sur ces problématiques, nous avons rejoint un groupe de travail interministériel qui vient d'être créé. Cela nous a en outre permis d’identifier la vapeur de peroxyde d’hydrogène, les ultra-violets C, voire le plasma d’oxygène comme autres sources possibles de désinfection. Nous prévoyons donc de les tester avec la méthodologie et les outils que nous avons mis en place. ♦

 
 
Les participants du consortium

Philippe Cinquin, TIMC (CNRS/UGA/Grenoble INP/VetagroSup) ; CIC-IT1406 (Inserm/DGOS/CHU de Grenoble/Université Grenoble Alpes), Jean Pierre Alcaraz, TIMC, Caroline Landelle, TIMC ; Service d’hygiène, Pôle de Santé publique, CHUGA, Catherine Guimier-Pingault, Service de stérilisation, Pôle Pharmacie CHUGA, Laurent Cortella, ARCNUCLEART, CEA-Grenoble ; NIMBE (CEA/CNRS/Université Paris-Saclay/CEA Saclay) ; DEN-DPC Service d'étude du comportement des radionucléides SECR (CEA/Université Paris-Saclay), Laurence Le Coq, IMT Atlantique, GEPEA, Aurélie Joubert, IMT Atlantique, GEPEA, Yves Andrès , IMT Atlantique, GEPEA, Sandrine Chazelet, INRS Nancy, Sophie Rouif, IONISOS & STERYLENE, Muriel Ferry, Sylvaine Le Caër, Stéphane Esnouf, ARCNUCLEART, CEA-Grenoble ; NIMBE (CEA/CNRS/Université Paris-Saclay/CEA Saclay) ; DEN-DPC Service d'étude du comportement des radionucléides SECR (CEA/Université Paris-Saclay), Laurent Heux, Cermav, Jean-Paul Brion, Olivier Epaulard, PUMA, Sophie Silvent, Isabelle Bourdry, Maud Barbado, CIC-IT1406, Valentin Paran, TIMC, Théophile Tiffet, TIMC ; CIC-IT406, Max Maurin, Service de bactériologie, CHUGA, Olivier Terrier, Equipe VirPAth, Centre International de Recherche en Infectiologie (CIRI - Inserm/CNRS/ENS Lyon/Université Claude Bernard Lyon 1), Patrice Morand, Pascal, Poignard, Raphaële Germi, Service de virologie, CHUGA, Daniel Garin, Artelia, Abdelaziz Bakri, Nawel Khalef, Joël Gaffé, TIMC, Camille Ducki, Direction de la Recherche en santé et innovation, CHUGA, Jean-Michel Nguyen, CHU de Nantes, Yves Dubief, LEGI (CNRS-/UGA), Dominique Thomas, LRGP (CNRS/Université de Nancy), Augustin Charvet, Nathalie Bardin-Monnier, Jean-Christophe Appert-Collin, Olivier Dufaud, LRGP (CNRS/Université de Lorraine), Elsa Baudier-Montagutelli,  Joeffrey Pardessus, Déborah Diakite, Laurine Allimonier, Virginie Vasseur, Laurent Vecellio, Mustapha Si-Tahar, Nathalie Heuzé-Vourc'h, CIC-IT1433 (Inserm-CHU Nancy), Jacques Felblinger, CIC-IT1406 ; Unité de parasytologie et mycologie - Médecine tropicale CHRU et Université de Tours,  Jean-Luc Bosson, Alexandre Moreau-Gaudry, TIMC ; CIC-IT1406, Guillaume Desoubeaux, CPER (Inserm U1100) ; Université de Tours ; Unité de parasytologie et mycologie - Médecine tropicale (CHER/Université de Tours), Philippe Roingeard, Platerforme IBiSA de microscopie électronique, CHRU et Université de Tours, Philippe Lanotte, Service de bactériologie-Virologie-Hygiène hospitalières, CHRU et Université de Tours, Louis Bernard, Service de médecine interne et maladies infectieuses, CHRU et Université de Tours, Nicolas Etteradossi, Béatrice Grasland, Paul Brown, Evelyne Lemaître, Chantal Allée, Yannick Blanchard, Lionel Bigault, Hélène Quenault, Anses, laboratoire de Ploufragan-Plouzné-Niort, Cyril Aymonier, ICMBC, Catherine Pinel, IRCE LYON, Jérémie Pourchez, EMSE, Juan-Fernando Ramirez, Air Liquide, Olivier Perraud, Ingenica, Bastien Brun, 2Binnov, Jann Laarman, Aurora, Yannick Morel, DGA, Marine Beaumont , CEPR Inserm1000 ; CIC-ITI433 (Inserm/CHU Nancy), Claire Dessalle, CIC-ITI433 (Inserm/CHU Nancy).
 

Notes
  • 1. Lauréat de la médaille de l'innovation du CNRS en 2013, Philippe Cinquin est professeur en santé publique (informatique médicale), praticien hospitalier, directeur du laboratoire Techniques de l'ingénierie médicale et de la complexité – informatique, mathématiques et applications de Grenoble (TIMC-IMAG – unité CNRS/Université Grenoble Alpes / Grenoble Institut National Polytechnique / VetagroSup) et co-directeur du Centre d'investigation clinique – Innovation technologique de Grenoble (CIC-IT1406 Inserm/DGOS/CHU de Grenoble/ Université Grenoble Alpes).
  • 2. Unité CNRS/Université de Lorraine.

Auteur

Mathieu Grousson

Né en 1974, Mathieu Grousson est journaliste scientifique. Diplômé de l’École supérieure de journalisme de Lille, il est également docteur en physique.