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La mission InSight épluche Mars

La mission InSight épluche Mars

22.07.2021, par
Vue d’artiste de la structure interne de Mars.
Vue d’artiste de la structure interne de Mars.
Depuis 2018, la mission InSight explore la structure interne de la planète rouge. Le géophysicien Philippe Lognonné fait le point sur ces avancées.

Forts des données transmises par la sonde martienne InSight, trois articles scientifiques sortent simultanément dans la revue Science. Vous êtes géophysicien à l’Institut de physique du globe de Paris (IPGP1), professeur à l’Université de Paris et investigateur principal du sismomètre SEIS. Pouvez-vous nous présenter les objectifs de la mission  ?
Philippe Lognonné : Nous voulons déterminer à la fois la structure interne de Mars et son évolution thermique. Pour cela, plusieurs instruments scientifiques ont été embarqués à bord d’InSight, mission pilotée par le Jet Propulsion Laboratory de la NASA. Le sismomètre SEIS, sous maîtrise d’œuvre du CNES, est chargé de détecter les ondes produites lors des tremblements de terre, puis d’en déduire la position des séismes et les vitesses sismiques de propagation. L’appareil RISE scrute de son côté la nutation de la planète, c’est-à-dire la manière dont oscille son axe de rotation. Enfin, une dernière expérience, HP3, estime la quantité de chaleur qui s’échappe de Mars.

SEIS fonctionne très bien et a détecté plus de six cents événements sismiques, dont une soixantaine à grande distance du site d’atterrissage, situés pour beaucoup à l’est des plaines volcaniques d’Elysium. Nous avons déjà publié une série d’articles dans Nature Geoscience en 2020, puis une trentaine dans des revues plus spécialisées. SEIS nous avait alors aidés à mieux connaître la croûte superficielle de la planète, en montrant l’existence d’une discontinuité à une dizaine de kilomètres de profondeur, entre une couche altérée très poreuse et une autre bien plus saine.

Illustration de l'atterrisseur Insight
Illustration de l'atterrisseur Insight (INterior exploration using Sesmic Investigations, Geodesy and Heat Transport)
Illustration de l'atterrisseur Insight
Illustration de l'atterrisseur Insight (INterior exploration using Sesmic Investigations, Geodesy and Heat Transport)

Aujourd’hui, trois nouveaux articles paraissent, impliquant toute l’équipe scientifique de la mission, dont un tiers de chercheurs français. Ces papiers traitent respectivement de la croûte, du manteau et du noyau de Mars. Ils nous permettent d’établir un tout premier modèle complet de la structure interne de la planète rouge, ce qui était un des principaux objectifs de la mission !

 
Quels sont les derniers résultats concernant la croûte de Mars ?
P. L. : Nos travaux reposent principalement sur l’analyse des enregistrements de séismes, composées ici principalement d’ondes de compression, dites ondes P, et d’ondes de cisaillement, dites ondes S. Elles peuvent se convertir de l’une en l’autre et se réfléchir si elles croisent des discontinuités dans le sous-sol : on parle alors d’ondes secondaires. Nous devons distinguer toutes ces ondes afin de mesurer les différences de temps de trajet après la conversion, un paramètre qui nous aide ensuite à estimer la profondeur de l’interface à l’origine de cette dernière.
Les coauteurs ont traité les ondes sismiques par sept méthodes différentes, puis ont comparé ces résultats pour affiner les modèles. Nous avons également utilisé l’effet de l’atmosphère, que la pression fait suffisamment tambouriner sur la surface de Mars pour provoquer un bruit sismique qui se propage dans la croûte, puis remonte après s’être réfléchi. L’analyse de ce bruit permet aussi de mesurer le temps d’aller-retour, mais ceci ne fonctionne que pour les interfaces peu profondes, et n’est donc pas adapté à l’étude du noyau ou du manteau.

Schéma représentant la propagation du bruit sismique dans la croûte et conversion sismiques à la base de la discontinuité à 10 km.
Vue schématique de la propagation des ondes sismique à travers la croûte martienne et lorsqu'elles traversent la discontinuité croûte-manteau.
Schéma représentant la propagation du bruit sismique dans la croûte et conversion sismiques à la base de la discontinuité à 10 km.
Vue schématique de la propagation des ondes sismique à travers la croûte martienne et lorsqu'elles traversent la discontinuité croûte-manteau.

Nous avons ainsi confirmé l’existence de la discontinuité à dix kilomètres de profondeur et mis en évidence d’autres interfaces plus profondes : une seconde discontinuité à vingt-cinq kilomètres ou une autre, plus faible, à trente-cinq kilomètres. La discontinuité entre la croûte et le manteau est l’une de ces deux discontinuités. Même si nous aurions préféré n’avoir qu’une seule réponse, cela nous permet déjà d’exclure un certain nombre de modèles théoriques.
 
Qu’en est-il des travaux sur le manteau de Mars ?
P. L. : Nous nous sommes ici intéressés aux ondes multiples, qui sont issues des rebonds, parfois répétés, des ondes P et S contre la surface martienne. Se propageant à des profondeurs différentes, leurs vitesses sismiques varient selon deux paramètres : la pression et la température. En faisant des hypothèses sur la minéralogie du manteau, que l’on connaît déjà bien grâce aux météorites martiennes retrouvées sur Terre, il est alors possible d’utiliser ces signaux sismiques comme un thermomètre du manteau martien.
Ceci nous permet alors d’obtenir une mesure du gradient des températures en fonction de la profondeur, et ainsi du flux de chaleur dans le manteau. Ces données sont cruciales, car la question devait à l’origine être étudiée grâce à l’expérience allemande HP3 qui n’a pas fonctionné. Nous estimons un flux de chaleur trois à cinq fois plus faible que sur Terre, ce qui explique pourquoi Mars est encore relativement chaude et a pu avoir une activité volcanique relativement récente, dans les dix derniers millions d’années.
 
Qu’avons-nous appris sur le noyau de Mars ?
P. L. : Le troisième article de la série s’est intéressé aux rebonds des ondes sismiques, non pas sur la surface de Mars, mais sur son noyau. Cela nous a confirmé qu’il était liquide et, surtout, nous a permis de mesurer son rayon. Avec un rayon de 1830 kilomètres, ce noyau est relativement gros et correspond aux plus hautes estimations.
Comme la masse et le moment d’inertie de Mars sont connus par ailleurs, avoir un noyau aussi large signifie qu’il est moins dense que prévu, et donc que les éléments légers y sont particulièrement abondants, avec une masse volumique comprise entre 5,7 et 6,3 g/cm3. Sa taille rend presque impossible l’existence d’une couche de pérovskites, des minéraux riches en calcium et en titane, à la base du manteau alors que de nombreux modèles théoriques d’évolution thermique de Mars supposaient leur présence. Ces trois publications affinent nos modèles de la structure interne de Mars et permettront de mieux comprendre la formation et l’évolution de la planète.

Vue schématique des principales phases sismiques P et S.
Schéma montrant la propagation des ondes sismiques P et S à l'intérieur de la planète Mars.
Vue schématique des principales phases sismiques P et S.
Schéma montrant la propagation des ondes sismiques P et S à l'intérieur de la planète Mars.

Il faut également noter que ce noyau de grande taille à un impact concret sur nos travaux. Comme il contrôle la propagation des ondes sismiques, il génère des zones d’ombre qui empêchent InSight de recevoir des données sismiques de certaines parties de Mars. Nous n’avons par exemple pas pu connaître l’activité de Tharsis. Ce plateau volcanique de haute altitude semble plus actif que les plaines d’Elysium, est trop difficile d’accès pour un atterrisseur et se trouve dans la zone d’ombre sismique du noyau.

Vue satellite des coulées volcaniques de Tharsis.
Image satellite montrant les coulées volcaniques de Tharsis.
Vue satellite des coulées volcaniques de Tharsis.
Image satellite montrant les coulées volcaniques de Tharsis.

Après 940 jours martiens, nous n’avons toujours pas observé de séisme supérieur à 3,7 sur l’échelle de Richter, alors que nous espérions en étudier d’une magnitude de 4,5, voire 5. Or plus une secousse est puissante, plus elle nous livre d’informations. C’est pourquoi nous avons dû revoir nos méthodes d’analyse et d’interprétation des données, en les adaptant à ces secousses plus faibles qu’escomptées.
 
Quelle est la suite pour la mission InSight ?
P. L. : À cause du manque de séismes forts, nos données ont souvent un rapport signal/bruit faible que nous allons essayer d’améliorer en modélisant ce bruit. Sur Mars, les poussières martiennes s’accumulent doucement sur les panneaux solaires, qui fournissent donc moins d’énergie que prévu à l’atterrisseur. Mais nous espérons continuer nos mesures pendant au moins un an, voire plus si nous pouvons encore, comme récemment, nettoyer nos panneaux solaires. L’objectif est donc de capter de plus grosses secousses, provenant si possible d’endroits différents, afin de récupérer de nouvelles informations.
Nos trois articles symbolisent en tout cas le merveilleux travail d’équipe au sein de la communauté scientifique, tant à l’échelle européenne ou mondiale que française. Avec la réussite de ses objectifs, nous espérons qu’InSight sera une source d’inspiration pour les futurs atterrisseurs de la NASA et de l’ESA, et que l’emport d’un sismomètre deviendra la règle et non l’exception.
La NASA a ainsi sélectionné l’expérience Farside Seismic Suite, qui utilise un des capteurs français « très large bande » du modèle de rechange de SEIS. La face cachée de la lune et le bassin d’impact Schrödinger seront sa destination en 2024. D’autres stations lunaires sont prévues ou espérées dans le cadre de missions américaines, européennes ou chinoises. À plus long terme, l’expérience acquise pendant InSight aidera à préparer des missions à destination de Titan et Europe, respectivement satellites de Saturne et Jupiter. D’ici dix ans, un nouveau réseau sismique sur la Lune sera en fonctionnement, et dans quelques dizaines d’années, j’espère qu’il s’étendra à d’autres planètes et satellites du système solaire.

 

 

Notes
  • 1. CNRS/IPGP/Université de Paris
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Auteur

Martin Koppe

Diplômé de l’École supérieure de journalisme de Lille, Martin Koppe a notamment travaillé pour les Dossiers d’archéologie, Science et Vie Junior et La Recherche, ainsi que pour le site Maxisciences.com. Il est également diplômé en histoire de l’art, en archéométrie et en épistémologie.

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