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InSight dévoile le sous-sol martien

InSight dévoile le sous-sol martien

24.02.2020, par
Première carte globale de séismicité pour la planète Mars. La grande majorité des séismes martiens ne peuvent pour l’instant pas être localisés précisément. Seule la distance à la station de mesure InSight peut être déterminée, d’où la répartition approximative sur des cercles.
Arrivée sur Mars il y a plus d’un an pour en étudier les séismes, la mission InSight vient de livrer ses premiers résultats. Le géophysicien Philippe Lognonné nous en explique les enjeux.

Vous êtes géophysicien à l’Institut de physique du globe de Paris1 (IPGP), professeur à l’Université de Paris et principal investigateur du sismomètre Seis. Quels sont les objectifs de la mission InSight ?
Philippe Lognonné :
Lancée en mai 2018 et arrivée à destination en novembre de la même année, InSight est une mission de la Nasa qui est en particulier équipée du sismomètre Seis2. Cet instrument a été développé entre le Centre national d’études spatiales (Cnes) et l’IPGP, avec l’aide de partenaires industriels et académiques européens, et avec le Jet Propulsion Laboratory (JPL) de la Nasa. Il vise à étudier la sismologie et les profondeurs de Mars, encore très mal connues. Les opérations sur Mars sont faites par le Cnes et l’IPGP, qui distribue les données à la communauté internationale via son centre de données3.
 
Quelles ont été les principales difficultés à surmonter ?
P. L. : Tout a commencé par la mission Viking, lancée en 1975, dont les deux atterrisseurs étaient équipés de sismomètres. Le premier n’a jamais fonctionné, tandis que l’autre fournissait des données faussées. En effet, toutes les vibrations rapportées étaient dues aux vents martiens qui secouaient l’appareil.

Pour Insight, Seis a été déployé à même le sol par un bras robotique, puis recouvert d’un dôme qui le protège au maximum des perturbations atmosphériques. Le vent a toujours un impact, mais sans commune mesure avec Viking. Des courants atmosphériques provoquent tout de même d’importantes perturbations dans la journée, mais ce bruit de fond diminue drastiquement, d’un facteur 100, entre 17 heures et minuit, heure solaire. Grâce à cela, nous avons pu mesurer des signaux dix fois plus faibles qu’anticipés, ce qui récompense les efforts de l’équipe technique de l’IPGP qui a conçu ce capteur aussi sensible. Même si ce bruit évoluera sûrement au gré des saisons et augmentera vraisemblablement lors des tempêtes, InSight est aujourd’hui la station sismique la moins bruitée du système solaire !

Déploiement du dôme de protection de Seis, déposé sur le sol martien le 2 février 2019 grâce au bras robotique de l'atterrisseur InSight.
Déploiement du dôme de protection de Seis, déposé sur le sol martien le 2 février 2019 grâce au bras robotique de l'atterrisseur InSight.

Ce très faible niveau de bruit lui permet de détecter les séismes martiens : si la Terre connaît de très forts séismes de magnitude de moment sismique 5, 6, 7 voire 8, sur Mars, on s’attendait plutôt à des séismes autour d’une magnitude 4. Il n’y a en effet plus de tectonique des plaques sur la planète rouge. Or quand on passe d’une magnitude 7 à une magnitude 4, on divise l’amplitude des ondes d’un facteur 30 000.

Comment s’est passée la première détection de secousse sismique ?
P. L. : Nous avons commencé les acquisitions de données en février 2019, mais nous n’avons détecté que de tout petits évènements les deux premiers mois. Nous avons enfin eu un évènement à haute fréquence et de forte amplitude le 7 avril. Nous avons bien sûr été très surpris et excités, même si la magnitude était seulement de 2,1. Le hasard a de plus voulu que ce séisme se produise juste avant le 130e anniversaire de la toute première mesure sismologique terrestre, effectuée par Ernst von Rebeur-Pacshwitz à Postdam le 17 avril 1889.

Fin septembre 2019, huit des séismes basse fréquence détectés avaient des phases d’ondes sismiques primaires (P) et secondaires (S), et trois d’entre eux avaient une polarisation d’onde mesurable. Ces deux ondes sont indispensables pour mesurer la distance de l’épicentre d’un tremblement de terre lorsqu’on ne dispose que d’un seul sismomètre. La polarisation de ces ondes nous donne leur direction d’arrivée, ce qui permet finalement la localisation de l’évènement. Ces ondes polarisées nous ont aussi permis de découvrir la présence d’une discontinuité dans la croûte, vers dix kilomètres de profondeur.

Vue d'artiste du rover de la mission InSight et du sismomètre Seis.
Vue d'artiste du rover de la mission InSight et du sismomètre Seis.

Mi-février 2020, le nombre d’évènements détectés est de 460. La plupart sont des signaux haute fréquence et leur origine n’est pas encore claire : petits séismes très superficiels, glissements de terrain ou effondrements de pans de falaise sont des candidats pour leur origine. Mais le nombre de séismes avec des signaux en dessous de 1 hertz (Hz) est maintenant proche de la quarantaine.
 
Au décollage d’InSight, vous espériez mesurer une cinquantaine de séismes par an, dont une dizaine de magnitude allant jusqu’à 5,5. Quel est le bilan ?
P. L. : Comme dit précédemment, la faiblesse du bruit de fond nocturne nous a permis de détecter des séismes bien plus ténus que prévu, et donc plus nombreux. Cependant, le plus puissant atteignait une magnitude maximale de 3,8 or nous espérions en voir avec des magnitudes d’au moins 4,5. Une secousse d’une telle intensité génère en effet des ondes de surface, qui nous renseigneraient sur les profondeurs de Mars, comme l’épaisseur de sa croûte et la structure de son manteau supérieur, et nous permettrait de bien meilleures contraintes.

Nous restons donc encore sur notre faim, dans l’attente de ces plus gros séismes, mais nous avons aussi eu de bonnes surprises. Nous avons ainsi eu l’idée de faire de la sismologie sans activité sismique, en utilisant à la place des interactions entre le sol et l’atmosphère. Des tourbillons de poussière, appelés dust devils, se forment sur Mars. Ils provoquent une dépression au niveau du sol que Seis et la station météo d’InSight ont pu détecter quand ils passaient assez près. Nous en avons déduit les propriétés de rigidité et d’élasticité du sol jusqu’à une dizaine de mètres de profondeur. C’est une nouvelle forme de sismologie !

Tourbillons de poussière ("dust devils") martiens.
Tourbillons de poussière ("dust devils") martiens.

Comment se déroule la révélation des premiers résultats ?
P. L. : Six publications sont synchronisées : cinq dans Nature Geoscience et une dans Nature Communications. Elles ne sont pas toutes associées aux expériences sismologiques, puisque deux traitent de mesures atmosphériques et magnétiques et l’une du contexte géologique. En plus d’un article général, deux se concentrent sur Seis et présentent nos principaux résultats.

La première découverte tient bien sûr dans la mesure d’une secousse suffisamment importante pour qu’on soit sûr qu’il s’agisse bien d’un séisme. Ensuite, les trois plus gros séismes, deux de magnitude d’environ 3,6 et l’un de magnitude 3,1, proviennent tous de la même région : Cerberus Fossae. Cet immense système de failles volcaniques s’étend à 1 600 kilomètres de la plaine d’Elysium, où InSight s’est posée. On savait que la zone avait été géologiquement active au cours des quelques dizaines de derniers millions d’années, mais on ne s’attendait pas y détecter nos trois plus gros séismes. C’est une belle surprise.

Enfin, un troisième grand résultat est la confirmation d’un a priori : l’activité sismique martienne se situe entre celle de la Terre et celle de la Lune. Elle est ainsi dix à vingt fois plus importante que sur la Lune, mais deux à trois fois plus faible que sur notre planète, si on exclut les séismes dus à la tectonique des plaques. Avec d’autres analyses comparatives entre la Lune et Mars, comme sur l’atténuation et la diffraction des ondes, nous pouvons aujourd’hui initier la sismologie planétaire comparée.

Vue d'une faille volcanique de la région Cerberus Fossae.
Vue d'une faille volcanique de la région Cerberus Fossae.

En plus de ces publications dans Nature Geoscience, nous attendons une édition spéciale de l’American Geophysical Union et, d’ici l’été, nous devrions atteindre une dizaine, voire une vingtaine d’articles.
 
Quelle est la suite pour InSight ?
La mission nominale doit durer encore un an, mais nous allons l’étendre d’au moins deux années supplémentaires. Nous espérons qu’un séisme plus fort se produira entre-temps, afin d’améliorer nos modèles de la structure de Mars. C’est comme si une station sismologique française cherchait à détecter un évènement de magnitude 5 en Europe. Il faut attendre, car Mars est beaucoup moins active que la Terre.

Nous avons en tout cas déjà amassé des données d’une grande qualité et ces premiers articles sont le résultat du travail des équipes françaises, européennes et américaines d’InSight, avec une forte collaboration avec l’ETH de Zurich en Suisse et le JPL. En France, Aymeric Spiga, du Laboratoire de météorologie dynamique4 a coanimé l’analyse des données atmosphériques et plusieurs suppléments des analyses sismologiques l’ont été par des chercheuses et chercheurs français, tels Naomi Murdoch de l’Institut supérieur de l’aéronautique et de l’espace pour les modélisations de dust devils, Clément Perrin de l’IPGP pour les analyses sismotectoniques de Cerberus, Ludovic Margerin de l’Institut de recherche en astrophysique5 et Benoît Tauzin du Laboratoire de géologie de Lyon : Terre, planètes, environnement6 pour les analyses sismologiques, entre autres.

Beaucoup de travail reste à accomplir pour mieux comprendre et analyser la sismologie martienne. Comme souvent en sciences, les premières publications présentent des découvertes fascinantes, mais ces interprétations et résultats peuvent évoluer avec l’arrivée de nouvelles données.

À lire sur notre site 
À l’écoute des tremblements de Mars

Notes
  • 1. nité CNRS/Université de Paris/Université de la Réunion/IGN.
  • 2. Seismic Experiment for Interior Structures (expérience sismique pour les structures intérieures).
  • 3. Pour l’accès à ces données et plus de renseignements : http://seis-insight.eu
  • 4. Unité CNRS/ENS Paris/École Polytechnique/Sorbonne Université.
  • 5. Unité CNRS/Université de Toulouse/Cnes.
  • 6. Unité CNRS/École normale supérieure de Lyon/Université Claude Bernard Lyon 1.
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Auteur

Martin Koppe

Diplômé de l’École supérieure de journalisme de Lille, Martin Koppe a notamment travaillé pour les Dossiers d’archéologie, Science et Vie Junior et La Recherche, ainsi que pour le site Maxisciences.com. Il est également diplômé en histoire de l’art, en archéométrie et en épistémologie.