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Peut-on vraiment rester «Seul sur Mars» ?
Quand un film de hard science-fictionFermerScience-fiction dans laquelle les technologies décrites et les découvertes ou évolutions ne sont pas en contradiction avec l'état des connaissances scientifiques au moment où l'auteur écrit l'œuvre. est réalisé en consultant la Nasa, adapté du best-seller d’un informaticien mordu de mécanique orbitale et « martien »FermerC’est ainsi que se surnomment entre eux les passionnés de la planète Mars. Ils font généralement partie de la Mars Society, créée et présidée par l’ingénieur aérospatial Robert Zubrin, et qui promeut l’exploration humaine de cette planète. Elle a inspiré en France la création de l’association Planète Mars. convaincu, il est tentant de traquer les rares bourdes. Plusieurs chercheurs se sont déjà émus de la violente tempête qui, au début du film, oblige l’équipage à quitter Mars d’urgence, laissant pour mort Mark Watney (Matt Damon). Dans cette interview, le planétologue François Forget1 pointe d’autres incohérences, souligne à quel point le film est par ailleurs réaliste, et imagine une mission martienne moins chère. Au programme aussi : une discussion sur les obstacles psychologiques souvent évoqués au sujet des voyages vers la planète rouge, périples d’une durée et d’un kilométrage inédits dans l’histoire des vols spatiaux habités.
À part les petites invraisemblances que l'on évoquera plus tard, le reste du film est plutôt bien vu, n’est-ce pas ?
François Forget : Oui, qu'il s'agisste des experts du Jet Propulsion Laboratory de la Nasa (qui ont les mêmes prénoms que les vrais !) ou du système de recyclage de l’eau, du très continental climat martien (0 à 20 °C le jour, jusqu’à – 80 °C la nuit sous les tropiques) ou de l’attitude ultra-pragmatique de Watney, il y a un énorme effort de réalisme. Le déroulé des missions Arès du film s’inspire directement des scénarios de l’ingénieur en aérospatial Robert Zubrin qui ont été retenus par la Nasa : un vaisseau principal, un habitat sous pression où séjourner et un MAV (Mars Ascent Vehicle) pour quitter le sol et assurer la remontée en orbite jusqu'au vaisseau principal. Le MAV est un élément clé : trop lourd pour être expédié sur Mars le réservoir plein, il est déposé à l’avance avec une petite réserve d’hydrogène. Il fabrique ensuite son carburant à partir du dioxyde de carbone (CO2) de l’atmosphère martienne grâce à une usine chimique alimentée par un moteur nucléaire. Et ce pendant des mois ou des années avant d’embarquer des astronautes…
Pourquoi la fameuse scène de tempête du début de l'histoire n’est-elle pas plausible ?
F. F. : L’atmosphère martienne est tellement fine – environ cent fois plus que sur Terre – que même une tempête extrême serait ressentie comme une légère brise par les astronautes. Et les grains de poussière qui voleraient seraient très fins, de l’ordre de 50 ou 100 micronsFermer1 micron ou micromètre est égal à 10–6 mètre, soit 0,000001 mètre ou 0,001 millimètre. au maximum. Or, dans le film, on voit des graviers passer !
Vous avez soupiré en voyant Watney (Matt Damon) retrouver Pathfinder, une sonde qui s’est posée sur le sol de Mars le 4 juillet 1997…
F. F. : Dans Seul sur Mars, la sonde est enfouie dans le sable alors que, vu la faiblesse du vent sur cette planète, les objets ne se recouvrent que très lentement de poussière.
Pour que Pathfinder soit aussi ensablée, il aurait fallu qu’une dune se déplace. C’est peu probable. À moins que le climat de Mars ait beaucoup changé par rapport à notre époque et que l’histoire se déroule dans un avenir lointain. Mais ce n’est pas ce que suggèrent les décors et accessoires vus à l’image (caméra gopro, téléphone, ordinateur, etc.).
Et quel est le problème au sujet des magnifiques montagnes que l’on voit alentour ?
F. F. : Mars Pathfinder s’est posé à Ares Vallis, une vallée tout ce qu’il y a de plus plate. Pour atterrir, il lui fallait un lieu dégagé de 100 kilomètres sur 200 kilomètres. Donc je ne vois pas comment les montagnes du film, aussi photogéniques soient-elles, pourraient se retrouver dans le décor… Cela aurait été amusant de montrer le vrai site de Pathfinder qui, même s’il est plat, est superbe. Le module de retour de l'équipage est aussi posé au pied de montagnes. Je trouve qu’il y en a un peu trop dans cette fiction : le panorama martien le plus courant consiste en de grandioses plaines désertiques, jonchées de quelques cailloux… En revanche, le rover Curiosity, absent du film, est réellement en train de grimper une montagne en ce moment (Le film est sortie en salles en octobre 2015, ndlr). Le module qui l’a transporté sur la planète rouge avait besoin d’une zone d’atterrissage dix fois plus petite que Pathfinder.
À propos de paysage, pourquoi le coucher de Soleil vous a-t-il déçu ?
F. F. : Parce que sur cette planète, il devrait être bleu : tous les « martiens »FermerC’est ainsi que se surnomment entre eux les passionnés de la planète Mars. Ils font généralement partie de la Mars Society, créée et présidée par l’ingénieur aérospatial Robert Zubrin, et qui promeut l’exploration humaine de cette planète. Elle a inspiré en France la création de l’association Planète Mars. le savent ! Or, dans Seul sur Mars, tout est rouge. Tout le temps. Sans doute pour éviter de perturber les spectateurs habitués aux couchers de soleil sur Terre.
Le vaisseau Hermès et sa luxueuse grande roue qui reproduit la gravité ont sans doute fait bondir les comptables de la Nasa, vous ne pensez pas ?
F. F. : Oui, c’est un clin d’œil à 2001, l’odyssée de l’espace (1968). Ce vaisseau serait hors de prix : beaucoup trop grand ! En revanche, la gravité artificielle est bien envisagée pour ce type de voyage longue durée. Mais j’imagine plutôt un vaisseau en forme de double marteau - deux modules aux extrémités d’un long tube - qui tournerait tout entier, comme un carrousel, pour recréer la pesanteur.
Comment trouvez-vous l’habitat où l’équipage passe son séjour martien ?
F. F. : Il est assez bien vu, correctement gonflé sous haute pression (on le remarque quand un joint lâche et que Watney est violemment projeté en arrière). C’est indispensable à cause de la pression atmosphérique sur la planète rouge : seulement 9 millibars environ dans les vallées, contre 1 013 millibars au niveau de la mer chez nous. Or la température d’ébullition de l’eau et des autres fluides aqueux dépend de la pression : sur Terre, c’est 100 °C, mais là-bas seulement 5 °C au maximum ! Hors de l’habitat ou sans sa combinaison, l’astronaute verrait donc sa salive bouillir, sans doute bientôt suivie par son sang, il aurait le corps qui enfle et ses organes commenceraient à lâcher. On ne pense généralement qu’au problème de l’oxygène parce que l’atmosphère de Mars est composée à 95 % de CO2, mais habitat et combinaison servent aussi à pallier ce crucial problème de pression.
Et quand il se propulse en trouant une partie de sa combinaison, vous y croyez ?
F. F. : Non. Cela ne provoquerait pas une force assez puissante pour propulser un homme de 80 kilogrammes.
sont aussi gonflés
que des pneus
de vélo, Watney
devrait avoir
beaucoup plus de
mal à manipuler
des objets.
Le principe est juste, il a d’ailleurs aussi été utilisé dans le film Gravity (2013), mais Sandra Bullock se servait d'un extincteur, c’était plus réaliste ! D’ailleurs, il y a une autre inexactitude : vu que les combinaisons, et donc les gants, sont aussi gonflés que des pneus de vélo, Watney devrait avoir beaucoup plus de mal à manipuler des objets. À moins d’avoir les mains incroyablement musclées…
Sa méthode pour fabriquer de l’eau et arroser sa plantation de patates est-elle cohérente ?
F. F. : Oui, il utilise de l’hydrazine, le carburant « miracle » des petits vaisseaux spatiaux. Il suffit de la crasher sur une plaque de métal pour qu’elle s’enflamme. Elle se dissocie alors en azote et hydrogène que Watney fait brûler dans l’oxygène de l’habitat pour fabriquer de l’eau. Mais il aurait aussi pu chercher de la glace et la faire fondre avec son réacteur nucléaire. Cela dit, Watney est proche de l’équateur, il aurait donc fallu qu’il aille jusqu’à 25° de latitude2 pour en trouver sous quelques centimètres de sable, sur les pentes orientées vers les pôles.
Envoyer des humains sur Mars coûterait au moins 100 ou 200 milliards de dollars et ne serait possible que vers 2050, à condition qu’une vraie volonté politique se dégage. Ne vaut-il pas mieux continuer à envoyer des robots ?
F. F. : C’est un vieux débat. D’abord, envoyer des humains sur Mars, ou dans l’espace en général, ne se justifie pas forcément par la science. Mais si la société y est favorable et s’il y a des volontaires, pourquoi ne pas le faire ? Ensuite, les robots ne sont pas forcément plus efficaces que les humains. Par exemple, un géologue peut repérer en quelques secondes une pierre intéressante, alors qu’il faudra des jours pour la repérer en manœuvrant un rover depuis la Terre, vu que les signaux radio mettent 5 à 22 minutes entre les deux planètes. Mais il y a une alternative qui me plaît bien : envoyer des humains en orbite martienne sans qu’ils se posent à la surface. Il est en effet très difficile – et donc coûteux – de poser des charges de plus d’une tonne sur Mars. Parce que l’atmosphère y est trop fine pour freiner correctement avec un parachute comme sur Terre, mais elle est également trop épaisse pour qu'on puisse ralentir juste au-dessus de la surface avec de simples rétrofusées comme sur notre Lune. Autre avantage : plus besoin de MAV pour remonter, ni d’habitat en surface. Au final, depuis l’orbite, les astronautes pourraient facilement aller se poser sur les petites lunes Phobos ou Deimos (qui n’ont presque pas de gravité), et surtout piloter en quasi temps réel des robots sophistiqués envoyés sur Mars elle-même. Une telle mission pourrait avoir lieu dès 2035…
pas que
les facteurs
psychologiques
soient de vraies
limites au vol
habité vers Mars.
Personne ne semble mettre en doute l’incroyable résistance psychologique de ce Robinson Crusoé de l’espace : seul sur la planète rouillée, il garde un moral d’acier et un humour inoxydable en permanence, ou presque. Et si c’était ça, le plus incohérent dans le film ?
F. F. : J’ai vu des présentations de psychologues de la Nasa sur les risques psychologiques propres au voyage martien.
Il y a des études pour définir les meilleurs profils, pour réduire les risques de dépressions, crises et tensions. Mais je ne crois pas que les facteurs psychologiques soient de vraies limites au vol habité vers Mars. Dans l’histoire de l’humanité, il y a eu des explorations dans des conditions plus dures et plus effrayantes. Les expéditions polaires du début du XXe siècle, par exemple : on partait sans aucun moyen de communication…
Mais, lors de ces expéditions, on restait sur Terre. Selon le psychologue Dietrich Manzey3, perdre totalement de vue notre planète, lors des six à neuf mois du voyage, pourrait occasionner des troubles allant jusqu’à la maladie mentale…
F. F. : Il s’agit en effet d’une situation inédite parce qu’un retour immédiat ou l’envoi de secours nécessite des mois, voire des années, au contraire des séjours dans les stations spatiales ou sur la Lune, qui se trouve à peine à trois jours d’ici. Les communications avec les ingénieurs au sol, qui aident les astronautes à décharger leur agressivité, seront aussi très difficiles, hachées, avec de longues minutes d’attente entre une question et sa réponse. Il faudra travailler cela, c’est vrai. Mais je ne suis pas du tout sensible à l’argument de la Terre que l’on perd de vue… En revanche, quand des décisions impliquent des risques mortels, il peut y avoir des dissensions et des mutineries. Je crois plutôt à ces problèmes-là. Avec des astronautes bien sélectionnés, les questions psychologiques ne seront pas un obstacle selon moi. Même quand elles se passaient mal, les grandes explorations se sont faites quand même. Je ne vois pas en quoi une mission habitée vers Mars serait si différente des grandes explorations de l’histoire humaine.
Je vois au moins une différence : la présence de femmes dans le groupe. Les simulations d’isolement Hi-Seas dans le désert hawaïen, dont la deuxième était commandée par une femme4, se passent bien. Mais une chercheuse canadienne enfermée avec trois hommes lors d’une simulation en 1999 avait connu des difficultés5. Peut-être faut-il veiller à homogénéiser le groupe à ce sujet-là ?
F. F. : Oui, il y a des grands débats sur la composition des groupes. D’un point de vue politique, je pense qu’il y aura forcément des femmes, comme dans le film. Ensuite, faut-il n’envoyer que des couples mariés comme le suggèrent certaines études ? Peut-être. Nous verrons bien…
- 1. Laboratoire de météorologie dynamique (CNRS/École polytechnique/ENS/UPMC), Institut Pierre-Simon Laplace.
- 2. http://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1029/2009GL041426/full
- 3. Professeur à l’Institut de technologie de Berlin, et précédemment au Centre aérospatial allemand, à Hambourg.
- 4. Simulation de voyage vers Mars organisée par la Nasa. Trois hommes et trois femmes furent enfermés fin 2014 pendant huit mois dans un petit module situé sur le volcan hawaïen Mauna Loa.
- 5. Judith Lapierre a porté plainte pour harcèlement sexuel de la part d’un collègue russe lors de SFINCSS-99 (Simulated Flight of International Crew on Space Station), simulation de vol sur l’ISS de 110 jours d'un groupe de trois hommes et une femme (http://jurisprudence.canada.globe24h.com/0/0/federal/cour-federale-du-ca...).
Voir aussi
Auteur
Journaliste scientifique, autrice jeunesse et directrice de collection (une vingtaine de livres publiés chez Fleurus, Mango et Millepages).
Formation initiale : DEA de mécanique des fluides + diplômes en journalisme à Paris 7 et au CFPJ.
Plus récemment : des masterclass et des stages en écriture...