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Sur la planète rouge, deux rovers en quête de vie
À perte de vue, Mars est aujourd'hui un désert aride et plombé de soleil. Une terre désolée, déshydratée, impropre à la vie. Pourtant, les planétologues en ont la certitude : la planète rouge, dans son jeune âge, a suivi une évolution semblable à celle la Terre, au point qu’elle aurait offert, sans doute pendant plusieurs centaines de millions d’années, des conditions favorables à l’apparition de la vie et à son développement. Mieux, la cousine de la Terre étant dénuée de tectonique des plaques et moins soumise à l’érosion, il est tentant de considérer que des traces de ce lointain passé, correspondant à la période où la vie a éclos sur la Terre, sont toujours accessibles au sein des sédiments martiens. À l’inverse, sur la planète bleue, la géodynamique s’est largement chargée de les effacer.
Des instruments de pointe pour prélever et analyser des échantillons
Autrement dit, par-delà ses terres aujourd’hui stériles, Mars est non seulement un formidable laboratoire de planétologie comparée, mais elle renferme peut-être même en son sein le secret de nos origines. Pour tenter de le percer, le rover Curiosity arpente la surface martienne depuis maintenant dix ans. En 2021, il a été rejoint par son alter ego Perseverance, dont les derniers résultats viennent d’être publiés. En une décennie, les deux rovers télécommandés depuis la Terre ont largement contribué à renouveler notre vision de Mars.
Précisément, Curiosity, imaginé par le Jet Propulsion Laboratory (JPL) pour la Nasa, est un véritable laboratoire mobile équipé pour répondre de manière définitive à une question simple : oui ou non, la vie, si elle était apparue sur la planète rouge au début de son âge, aurait-elle eu les moyens d’y subsister ? Pour ce faire, le rover de près d’une tonne est doté de dix instruments scientifiques complémentaires, dont deux sont à très forte participation française. Le premier, ChemCam, permet l’analyse élémentaire des roches et des sols jusqu'à quelques mètres de distance. Grâce à son laser, il provoque la volatilisation d’une petite partie des matériaux dont le rayonnement est analysé par spectrométrie. Le second, SAM, est un laboratoire de physico-chimie miniature dédié à l’analyse des gaz atmosphériques et ceux dégagés par différents traitements thermiques d’échantillons de sol et de roches prélevés par Curiosity.
Quant à Perseverance, sa mission essentielle consiste à poursuivre l’exploration géologique et à prélever une quarantaine d’échantillons qui seront ensuite ramenés sur Terre pour être analysés précisément. Objectif : déterminer si, oui ou non, le sol de Mars a gardé la trace d’une vie passée. La réponse ne sera pas connue avant le milieu de la prochaine décennie et le retour des échantillons. En attendant, le robot de la Nasa peut notamment compter sur le concours de l’instrument franco-américain SuperCam pour caractériser le contexte de prélèvement de ses échantillons. Celui-ci a été développé sous la responsabilité du Centre national d'études spatiales (Cnes) pour la partie française. Sylvestre Maurice, astronome à l’Institut de recherche en astrophysique et planétologie1 (Irap) en est le co-responsable scientifique. Comme ChemCam, SuperCam met en œuvre la technique de spectroscopie induite par laser, informant sur la chimie des cycles, mais également la spectroscopie Raman et la spectroscopie infrarouge qui permettent de déterminer la nature des minéraux visés ainsi que leur degré d’hydratation.
Une vie microbienne possible il y a environ 3,6 milliards d’années
Quoi qu’il en soit, dès son arrivée sur le sol de Mars en août 2012, précisément sur le plancher du cratère Gale, non loin de l’équateur, Curiosity s’est mis au travail, selon un programme décidé quotidiennement depuis la Terre, auquel participent les scientifiques français dans le cadre d’une étroite collaboration entre le Cnes et le JPL, aux États-Unis, d’où les instructions sont envoyées au rover. Explorant pour commencer le site de Yellowknife Bay, une dépression couverte de sédiments dégagés par l’érosion, il observe des cailloux dont la forme indique qu’ils ont été roulés dans l’eau. Pour les scientifiques, pas de doute, leur robot arpente le lit d’une ancienne rivière qui a coulé de manière pérenne plusieurs milliers, voire plusieurs millions d’années.
La batterie d’instruments scientifiques est alors mise en action. Conclusion : les sédiments analysés par Curiosity ont une origine lacustre, et les minéraux qu’ils renferment se sont formés dans une eau relativement douce et au pH neutre. De plus : carbone, hydrogène, azote, oxygène, phosphore et soufre, tous les éléments nécessaires à la vie sont présents. Enfin, certains des minéraux observés auraient pu être utilisés par des micro-organismes pour en extraire de l’énergie. C’est désormais une certitude : il y a environ 3,6 milliards d’années, Mars était habitable par d’éventuels micro-organismes.
La suite de la mission ne fera que le confirmer. Comme le détaille Cyril Szopa, au Laboratoire atmosphères et observations spatiales2 (Latmos), « depuis son arrivée sur Mars il y a dix ans, Curiosity a parcouru 28 kilomètres et franchi un dénivelé de 600 mètres. Or partout où nous avons prélevé et analysé des échantillons de sol, plus d’une trentaine en tout, nous avons mis en évidence la présence possible de traces de matière organique, ainsi que des espèces inorganiques utilisées par le vivant sur Terre, tels des nitrates. Il y en a partout ! Ainsi, la zone d’habitabilité d’abord circonscrite à Yellowknife Bay pourrait être plus largement étendue à l’ensemble du cratère Gale, renforçant l’image d’une Mars ancienne couverte de lacs. »
Tout récemment, les scientifiques ont par ailleurs réétudié les données de SAM enregistrées à Yellowknife Bay. Résultat annoncé lors de plusieurs conférences : la mise en évidence des produits de dégradation d’acides carboxyliques, soit les composants de base des membranes cellulaires !
Des indices sur l'histoire climatique
Après avoir évolué au fond du cratère Gale, Curiosity a ensuite entrepris l’ascension du mont Sharp (Aeolis Mons) qui se trouve en son centre. Étudiant la succession des couches sédimentaires qui s’empilent les unes sur les autres au fur et à mesure qu’il prend de l’altitude, c’est toute une fraction de l’histoire de Mars à laquelle Curiosity a eu accès. « Après avoir observé des sédiments riches en argiles, le rover se trouve maintenant dans ce que nous appelons la zone de transition vers les couches riches en sulfates, décrit Olivier Gasnault, chercheur à l’Irap et co-responsable scientifique de ChemCam. Cette transition témoigne probablement du changement climatique qui, il y a environ 3 milliards d’années, a vu la planète passer d’un climat humide au désert ardent qu’elle est devenue. »
Comment précisément ? C’est désormais à cette question que les spécialistes vont s’atteler alors que la mission du rover vient d’être prolongée jusqu’en 2025 par la Nasa et ses partenaires. Pour l’heure, les images ont révélé une architecture fine de couches alternativement friables et résistantes, typique de dépôts dans une plaine d’inondation fluviale. « C’est peut-être le signe que durant la période de transition, le climat a oscillé entre périodes humides et sèches, ou qu'elles ont coexisté, formule Oliver Gasnault, qui est également responsable de la fonction imageur de SuperCam. Dans tous les cas, cela élargit encore la fenêtre d’habitabilité qui sur le site s’est probablement prolongée pendant des millions d’années au fond du cratère, voire des centaines de millions d’années dans le sous-sol. » L’enquête se poursuit.
Des données étonnantes sur la géologie et l'atmosphère
En parallèle, de nombreuses informations ont été collectées sur la géologie martienne et son fonctionnement actuel. Concernant le premier aspect, la découverte la plus spectaculaire a été publiée en 2015, alors que les planétologues observent une roche différenciée, typique de celles qui forment sur Terre la croûte continentale. Or sur la planète bleue, ces roches sont issues de roches basaltiques primitives – celles qui forment le plancher océanique – refondues après avoir été enfouies par la subduction avant de remonter à la surface via le volcanisme associé à la tectonique des plaques. Comment l’expliquer, alors que Mars est manifestement privée de ce type de tectonique ? C’est aujourd’hui un mystère…
De même que le sont les mesures contradictoires faites par Curiosity d’une part, et la sonde orbitale TGO d’autre part, au sujet de la présence ou non de méthane dans l’atmosphère martienne. Ainsi, si le rover a mis en évidence une concentration variable de méthane selon les saisons et l’alternance jours/nuits, de même que des pics de concentration à certains moments, TGO conclut à l’absence de méthane dans l’atmosphère martienne. Comme le résume Cyril Szopa, « pour les membres de Curiosity, l’enjeu est de comprendre l’origine de ce gaz qui sur Terre est en partie d’origine biotique, mais qui sur Mars est peut-être le signe de l’interaction entre les roches du sous-sol et l’eau d’aquifères souterrains qui fondent en été. À l’inverse, la collaboration TGO conclut que nos mesures ne sont pas conciliables avec celles faites par le satellite et notre connaissance de la physico-chimie de l’atmosphère ! ». À suivre également durant la phase de prolongation de la mission.
Des preuves de la présence d'eau à l'état liquide
Dans le même temps, Perseverance, à pied d’œuvre depuis bientôt deux ans, poursuit sa collecte au gré des instructions délivrées quotidiennement par les « pilotes » du JPL, de concert avec leurs homologues français. Une chose est sûre, en choisissant de faire atterrir leur rover dans le cratère Jezero, les planétologues ont vu juste. Âgé de près de 4 milliards d’années, donc un peu plus ancien que Gale, ses terrains sont typiques de la période où l’eau liquide a dû être la plus abondante sur Mars. « C’est d’autant plus intéressant que c’est durant cette période que la vie est apparue sur la Terre », précise Cathy Quantin-Nataf, enseignante-chercheuse au Laboratoire de géologie de Lyon : Terre, Planètes, Environnement3 (LGL-TPE) et co-investigatrice de SuperCam. Par ailleurs, les images prises depuis l’espace ont révélé ce que les spécialistes ont interprété comme le delta d’une rivière, « soit un lieu d’accumulation de matière où l’on peut s’attendre à ce qu’ait été enfouie et bien conservée une importante quantité de matière organique », poursuit la géologue.
Bonne pioche dès ses premières observations, dont le résultat a été publié l’année dernière, le rover a confirmé qu’il se trouvait bien à proximité d’un ancien lac circulaire de plusieurs dizaines de mètres de profondeur alimenté par des rivières ayant formé un vaste delta. « En imageant les sédiments de la colline Kodiak, nous avons nettement vu les strates typiques d’un ancien delta, ainsi que de gros galet arrondis de près d’un mètre de diamètre, témoignant de crues catastrophiques sans doute survenues dans les périodes tardives de la vie du lac », décrit Olivier Beyssac, chercheur à l’Institut de minéralogie, de physique des matériaux et de cosmochimie4 (IMPMC) et co-investigateur de SuperCam. D’un mot, l’assurance que la récolte d’échantillons s’annonçait alors prometteuse.
Et elle le fut ! « Après presque deux ans de mission, l’échantillonnage du fond du cratère est terminé, celui du delta est en cours, puis nous explorerons les pourtours du cratère où l’on imagine trouver des carbonates typiques de sédiments lacustres, énumère Cathy Quantin-Nataf. Cela clôturera la mission nominale dont la fin est programmée pour 2023. » D’ici quelques semaines, et alors que ses promoteurs comptent déjà sur une extension de la mission, le rover devrait en outre déposer sur le sol de Mars la moitié des paires d’échantillons prélevés jusque-là, avant de poursuivre sa route. De quoi garantir que même en cas d’imprévu le concernant, une partie au moins de son précieux chargement pourra être récupérée.
Des roches magmatiques retrouvées fond du cratère Jezero
Parmi les roches déjà analysées in situ, certaines ont surpris les spécialistes. Une étude publiée fin août, pour laquelle tous les instruments de Perseverance ont été mis à contribution, révèle ainsi la présence de roches magmatiques au fond du cratère. Précisément, des roches basaltiques issues de coulées de lave, mais également d’autres roches constituées d’une accumulation d’olivine. Or comme l’analyse Olivier Beyssac, « Si les premières ne sont pas étonnantes, en revanche, sur Terre, un tel cumulat d’olivine se forme en profondeur avant d’être exhumé via les processus tectoniques et l’érosion. Mais sur Mars, nous n’avons pas encore de scénario global pour expliquer leur présence au fond du cratère… » Une seule certitude, « nous pensons que ces roches sont antérieures à la formation du lac, et que les incrustations de sels présentes dans leurs porosités résultent probablement de l’évaporation de l’eau au fond du cratère », explique sa collègue.
Pour en avoir le cœur net, les scientifiques devront attendre au moins jusqu’en 2033, date prévue pour l’arrivée au laboratoire des échantillons, alors que les deux missions programmées pour leur récupération doivent décoller en 2026. Une partie de la suite de l’aventure martienne s’écrira alors depuis la Terre ! ♦
Pour aller plus loin
Retrouvez tous nos contenus consacrés à la planète Mars et à son exploration dans le dossier :
La recherche à la conquête de Mars
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Auteur
Né en 1974, Mathieu Grousson est journaliste scientifique. Diplômé de l’École supérieure de journalisme de Lille, il est également docteur en physique.
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