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Vie sur Mars : l’enquête progresse

Vie sur Mars : l’enquête progresse

20.01.2014, par
Analyse de la composition des roches sur la planète Mars par l’instrument ChemCam
L’instrument ChemCam du rover Curiosity analyse la composition des roches sur la planète Mars.
Le rover Curiosity n’a pas chômé depuis son arrivée sur le sol martien, à l’été 2012, pour dénicher des traces de vie passée. Retour sur ses principales trouvailles.

La planète Mars a bel et bien été en mesure, par le passé, d’accueillir la vie. Et ce durant une période plus longue qu’on ne pouvait le soupçonner jusqu’ici. Telles sont les premières grandes conclusions, annoncées en cours d’année 2013 et publiées en décembre dans la revue Science, de l’enquête que mène actuellement le rover Curiosity de la Nasa sur le sol de la planète rouge. Son objectif ultime : déterminer si, dans un lointain passé, la jumelle de la Terre a abrité ou non une quelconque forme de vie, même rudimentaire. Alors que le robot mobile est actuellement en route vers le mont Sharp, où les spécialistes espèrent faire leurs plus belles découvertes, il est encore trop tôt pour répondre. Il n’empêche, après un an et demi passé à sillonner le sol martien, Curiosity, dont deux des dix instruments scientifiques sont en grande partie « made in France », a déjà résolu plus d’un mystère.

Curiosity, un rover surpuissant en quête de vie sur Mars

Une chose est sûre, avec son nouveau robot télécommandé depuis la Terre, la Nasa a mis les bouchées doubles. Curiosity est un mastodonte de 900 kilos transportant pas moins de 80 kilos de matériel scientifique. De quoi passer au peigne fin pendant au minimum deux ans le cratère Gale, non loin de l’équateur martien, en parcourant au moins 20 kilomètres. « Avec Curiosity, nous avons une mission surpuissante », s’enthousiasme Sylvestre Maurice, de l’Institut de recherche en astrophysique et planétologie (Irap)1, et coresponsable scientifique de l’instrument ChemCam.

Après l’arrivée du robot sur le sol de Mars, les 500 ingénieurs et scientifiques qui s’affairent autour de lui depuis la Terre, et notamment depuis Toulouse, ont entamé un programme de 90 jours de mise en route. Ainsi, le 10e jour, le laboratoire sur roues a livré son premier bulletin météo, indiquant une température variant entre – 11 et – 71 °C, une pression de 7 hectopascals et un vent de nord-ouest. Puis, le 14e jour, l’instrument ChemCam a analysé sa première roche.

Pièce maîtresse du rover développée par le Centre national d’études spatiales (Cnes) et plusieurs laboratoires français sous la maîtrise d’œuvre de l’Irap, ce dernier peut déterminer la composition chimique des roches jusqu’à 7 mètres de distance. Comment ? En tirant au laser sur un échantillon avant de recueillir et d’analyser la lumière émise par le plasma qui en résulte, caractéristique des éléments qu’elle contient. « À partir de là, on a commencé à faire de la science ! », annonce Sylvestre Maurice. Soit dit en passant, le rover a réalisé en novembre dernier son 100 000e tir laser…

Images du sol martien prises avant et après les tirs laser de l’instrument ChemCam
Ces images du sol martien ont été prises avant (à gauche) et après (à droite) les tirs laser de l’instrument ChemCam.
Images du sol martien prises avant et après les tirs laser de l’instrument ChemCam
Ces images du sol martien ont été prises avant (à gauche) et après (à droite) les tirs laser de l’instrument ChemCam.

Des traces de rivière découvertes sur la planète rouge

Mais revenons-en au matin du 27e jour. Curiosity se met alors en route pour sa première destination, le site de Glenelg, à quelques centaines de mètres du point d’atterrissage. « Ce site est en direction opposée du mont Sharp, objectif du rover, mais les premières images ont dévoilé des structures géologiques qui nous ont incités à faire un petit détour », signale Sylvestre Maurice. Et les scientifiques n’ont pas été déçus ! « Nous avons découvert des cailloux dont la forme indique qu’ils ont été roulés dans l’eau, preuve que Curiosity se trouvait alors dans un lit de rivière ou de torrent », explique Michel Cabane, du Laboratoire atmosphères, milieux, observations spatiales (Latmos)2.

Ce n’est pas la première fois que les scientifiques montrent que de l’eau a coulé sur Mars. Mais, comme le détaille le chercheur, « à Glenelg, nous avons la preuve que de l’eau a coulé assez longtemps avec une vitesse et un flux importants, sur une hauteur décimétrique, voire plus. Ce qui est incompatible avec un écoulement engendré par un simple déséquilibre momentané. »

Vue d’un affleurement rocheux localisé sur le site de Glenelg sur la planète Mars
Grâce à sa caméra, MastCam, le rover Curiosity nous offre la vue d’un affleurement rocheux localisé sur le site de Glenelg.
Vue d’un affleurement rocheux localisé sur le site de Glenelg sur la planète Mars
Grâce à sa caméra, MastCam, le rover Curiosity nous offre la vue d’un affleurement rocheux localisé sur le site de Glenelg.

Les analyses prometteuses du laboratoire portatif SAM

Michel Cabane poursuit : « Curiosity a ensuite étudié son premier caillou insolite, précisément une roche volcanique ressemblant à celles de l’éruption du mont Saint Helens, aux États-Unis, en 1980. » De quoi montrer que les divers instruments peuvent fonctionner ensemble et se complètent. Ainsi, une petite dune de sable a, par exemple, donné l’occasion aux ingénieurs de tester la capacité de leur robot à utiliser sa pelle mécanique pour ramasser des échantillons avant de les distribuer aux instruments chargés d’en faire l’analyse in situ.

« Ce furent les premières analyses de sol faites par SAM, histoire de tester les capacités de l’appareil », indique Michel Cabane. Développé en partie par le Cnes, le Latmos et le Laboratoire interuniversitaire des systèmes atmosphériques3, ce laboratoire portatif dispose d’un ensemble de fours capables de séparer les différentes molécules présentes dans une gangue rocheuse, en particulier les molécules carbonées associées à la vie, avant de les expédier vers trois instruments dédiés à leur caractérisation chimique et isotopique.   

Cette répétition générale scientifique a permis d’observer que le sable de cette dune est semblable d’un point de vue chimique à celui déjà étudié en d’autres sites, à partir de 2004, par les robots Spirit et Opportunity : un signe de sa représentativité planétaire. Par ailleurs, les analyses ont montré que les grains fins les plus riches en fer et en magnésium contenaient une eau dont la composition isotopique est la même que celle de l’eau présente dans l’atmosphère de Mars. Comme l’explique Pierre-Yves Meslin, également de l’Irap, « cette similitude suggère que Mars a constitué ce réservoir d’eau dans une phase récente de son évolution ». Un résultat capital quand on sait que l’origine de ce réservoir est l’une des clés de la compréhension de l’évolution du climat martien.

Poudre de roche martienne prélevée par le rover Curiosity
La couleur grisâtre de cette poudre de roche martienne prélevée par le rover Curiosity prouve la non-oxydation des roches sédimentaires dans un passé lointain.
Poudre de roche martienne prélevée par le rover Curiosity
La couleur grisâtre de cette poudre de roche martienne prélevée par le rover Curiosity prouve la non-oxydation des roches sédimentaires dans un passé lointain.

Le rover Curiosity a apporté la preuve de l’habitabilité de la planète rouge

Mais assurément, le ravissement est venu à la fin du mois de janvier 2013 pour les scientifiques. Curiosity explore alors un site appelé Yellowknife Bay, composé de roches d’allure sédimentaire présentant des craquelures remplies de cristaux blancs. « Nous avons immédiatement pensé qu’il pouvait s’agir de sels laissés par de l’eau après évaporation », se rappelle Michel Cabane. Les instruments Chemin, ChemCam et APXS, puis Chemin et SAM se mettent alors au travail, ces deux derniers analysant en particulier un échantillon issu d’un forage.

Conclusion : les chercheurs sont en présence de roches composées d’un mélange de boue et d’argiles et entrecoupées de veines contenant des sulfates de calcium. Or ces minéraux se forment en présence d’eau relativement douce, et les sulfates de calcium sont le signe d’une eau au pH neutre ou à peine basique. De plus, les minéraux et composés volatiles observés auraient pu être utilisés par des micro-organismes pour en tirer de l’énergie, comme le font sur Terre certaines bactéries.

Cela ne fait pas l’ombre d’un doute pour les chercheurs : Curiosity apporte la preuve que Mars a présenté des conditions permettant l’émergence de la vie. Certes, depuis dix ans, les indices s’accumulaient : anciens lits fluviaux, présence de carbonates, d’argiles, possibles écoulements d’eau saumâtre intermittents dans des ravines… La mission Opportunity avait même découvert des roches formées dans un milieu aqueux. Sauf qu’elles étaient le fruit d’un milieu très acide et pauvre en énergie. Si bien que, comme l’explique Sylvestre Maurice, « c’est la première fois que l’ensemble des éléments nécessaires à l’émergence d’une chimie prébiotiqueFermerQui a permis l’émergence de la vie. sont observés en un même endroit sur Mars ».

Et il y a plus. Les mesures orbitales effectuées par la sonde Mars Express avaient montré que la planète rouge contenait des argiles, qui sont essentiellement observées sur des terrains vieux de 3,7 à 4 milliards d’années. D’où l’idée que les éventuelles conditions d’habitabilité devraient être recherchées dans les terrains les plus anciens. Or les argiles étudiées par Curiosity sont manifestement plus récentes. « Cela montre que les conditions lacustres que Curiosity a mis en évidence ont perdurées plus longtemps que ce que l’on pouvait penser, explique Pierre-Yves Meslin. Et que, par conséquent, la fenêtre d’habitabilité de la planète est plus large qu’on ne l’imaginait auparavant. »

Images montrant des similitudes entre les sols martien et terrien
Ces images montrent des similitudes entre les sols martien et terrien : à gauche, ces nervures rocheuses riches en sulfate ont été observées sur le site martien de Yellowknife Bay ; à droite, elles ont été observées dans le désert égyptien.
Images montrant des similitudes entre les sols martien et terrien
Ces images montrent des similitudes entre les sols martien et terrien : à gauche, ces nervures rocheuses riches en sulfate ont été observées sur le site martien de Yellowknife Bay ; à droite, elles ont été observées dans le désert égyptien.

Le mont Sharp, prochaine destination de Curiosity

Attention, cela ne signifie pas encore que Mars a effectivement abrité la vie. « On a la preuve de l’habitabilité, souligne Sylvestre Maurice. Il faut désormais s’atteler à découvrir une chimie complexe du carbone. » De ce point de vue, les scientifiques placent leurs espoirs dans les couches de sulfates et d’argiles aperçues par les différentes sondes martiennes sur le mont Sharp, à l’assaut duquel Curiosity partira probablement avant la fin 2014. « Là-bas, cela va être l’explosion, se réjouit le planétologue. Si l’on y découvre des molécules très complexes, voire une vie élémentaire, ce sera la cerise sur le gâteau. »

Au cours des neuf premiers mois qui ont suivi l’arrivée sur Mars, les scientifiques ont guidé leur laboratoire roulant au gré de ce qu’ils apercevaient de « plus intéressant ». Raison pour laquelle ils se sont focalisés avec un luxe de détails sur quelques sites particulièrement marquants, Curiosity ne parcourant en tout pas plus de 500 mètres entre son atterrissage et sa visite de Yellowknife Bay.

Or 9 kilomètres séparent ce site des pieds du mont Sharp. « Curiosity parcourt désormais entre 50 et 100 mètres par jour, ce qui nous permet de faire une science dite de contexte à même de documenter la diversité chimique et géologique du terrain sur lequel nous nous trouvons », explique Pierre-Yves Meslin, qui ajoute : « Nous avons, par exemple, récemment étudié des roches volcaniques d’un type qui n’avait encore jamais été observé sur Mars ! » Une chose est sûre, les spécialistes n’en sont qu’aux débuts de leurs surprises. Et Curiosity fonce vers elles à vive allure…

 

 

Sur le même sujet : « Un jour avec… l’équipe de Curiosity »

Notes
  • 1. Unité CNRS/UPS.
  • 2. Unité CNRS/UVSQ/UPMC.
  • 3. Unité CNRS/Upec/Univ. Paris-Diderot.
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Auteur

Mathieu Grousson

Né en 1974, Mathieu Grousson est journaliste scientifique. Diplômé de l’École supérieure de journalisme de Lille, il est également docteur en physique.

 

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