Vous êtes ici
L’Europe remet le cap sur Mars
NB : cet entretien a été publié en mars 2016, juste avant le départ de la mission.
L’Europe s'apprête à redécoller vers la planète rouge avec la mission ExoMars. Quel est son objectif ?
Franck Montmessin1: ExoMars représente la seconde phase de l’exploration martienne par l’Agence spatiale européenne (Esa). Elle succède à Mars Express, qui orbite autour de Mars depuis 2003 et constitue un grand succès scientifique. Avec cette nouvelle expédition en deux parties, l’Europe veut cette fois se poser à la surface de Mars. La première mission – ExoMars 2016- lancée lundi depuis Baikonur (Kazakhstan) doit permettre d’atteindre la planète rouge en octobre prochain. Elle se compose d’un orbiteur – le Trace Gas Orbiter ou TGO- et de la sonde Schiaparelli qui va servir de démonstrateur quant aux capacités de l’ESA à se poser sur Mars. S’il n’y a pas de retard, la seconde partie -ExoMars 2018- doit être lancée dans deux ans. Elle constitue le volet le plus important de la mission et aura pour objectif de faire atterrir un rover capable de percer la surface martienne jusqu’à deux mètres. L’idée est de chercher de la matière complexe, peut-être même organique, qui aurait échappé à l’environnement hostile de la surface. Les rovers envoyés jusqu’ici, comme Curiosity de la Nasa, ne peuvent creuser que jusqu’à 5 cm de profondeur.
Donc nous sommes toujours en recherche de traces de vie sur Mars…
F.M. : Oui, cette quête reste le leitmotiv de toutes les missions scientifiques sur Mars : trouver des traces de vie passée. Dans ce but, nous cherchons les endroits les plus propices au développement de cette vie. La première étape est toujours de regarder d’en haut, depuis les orbiteurs, pour trouver des endroits où les roches ont été altérées par la présence d’eau liquide. Cet indice signifie que les conditions ont été propices sur une période assez longue pour accueillir de la vie. Ce sont ces endroits que nous voulons explorer plus en détail.
En comptant Mars Express, il y a aujourd’hui 5 satellites en orbite autour de Mars. Qu’est-ce que le sixième, le TGO, va nous dire de nouveau ?
F.M. : Sa spécificité tient dans les instruments qui composent l’Atmospheric Chemistry Suite (ACS) et le Nadir and Occultation for MArs Discovery (NOMAD) et qui vont pouvoir effectuer des mesures inédites. Ces donnée seront presque exclusivement dédiées à la caractérisation précise de la composition atmosphérique de Mars et à la recherche de traces de gaz, autrement dit les gaz que l’on trouve en toutes petites quantités. La technologie utilisée va nous offrir des données de 10 à 100 fois plus précises que les mesures actuelles. Nous employons aussi une méthode utilisée une seule fois auparavant, sur Mars Express : l’occultation solaire, qui permet d’analyser la composition de l’atmosphère lorsque le soleil se couche ou se lève. Lorsque les photons traversent l’atmosphère, certains d'entre eux sont en effet absorbés par des composants gazeux. Ceux-ci créent des signatures des différents gaz, presque aussi précises qu’un échantillon d’ADN pour faire une analogie. Cette méthode présente plusieurs avantages, notamment celui d’un calibrage très simple des instruments.
Que cherchez-vous en particulier dans l’atmosphère ?
F.M. : La création du TGO a été motivée par la découverte inattendue -faite par plusieurs équipes- de la présence de méthane dans l’atmosphère martienne. Cela a servi d’étincelle… On entend toujours que Mars est une planète morte ; or la présence de méthane est le signe d’une sorte d’activité. Par exemple, on sait que la vie – les organismes et la matière vivante- est à l’origine de 80% du méthane qu’on trouve sur Terre ! Une des premières hypothèses était que le méthane martien pourrait provenir de bactéries ou de microbes. Plus probablement, on pense aujourd’hui que ce méthane serait le résultat de processus photochimiques ou géochimiques. Cela pourrait dire par exemple qu’il y a un réseau aquifère souterrain, qui mettrait en contact des silices avec de l’eau assez chaude, ce qui pourrait créer du méthane. Mais ça signifierait qu’il y ait de l’eau sous la surface ; donc tout ça nous dirait que Mars serait encore vivante, d’une certaine façon. Tout cela nous motive à chercher du méthane, mais aussi toute sorte de gaz qui pourrait provenir de ce genre de processus. Notre but est donc d’établir un inventaire précis, complet de toutes les traces de gaz présentes dans l’atmosphère en incluant celles que nous n’avions pas détectées jusqu’ici car présentes en trop faibles quantités.
Vous êtes non seulement le deputy-PI de l’instrument russe (ACS)2 mais aussi le directeur scientifique d'un des instruments de la mission qui devrait atterrir à la surface en octobre prochain…
F.M. : Oui cet instrument s’appelle Micro-Ares et se trouve sur Schiaparelli. Micro-ARES est arrivé plus tard dans le planning car la mission première de Schiaparelli reste de démontrer qu’on peut atterrir sur Mars ; Micro–ARES est un détecteur de champ électrique connecté à une suite d’instruments baptisée DREAMS et conçue par des chercheur italiens. Si DREAMS s’occupe de mesurer toutes les conditions environnementales pendant la phase d’atterrissage (pression, vent, humidité), Micro-ARES a quand à lui pour mission d’explorer un domaine scientifique quasiment vierge : celui des champs magnétiques martiens. Il y a une très forte probabilité que ces champs existent à la surface de Mars, et qu’ils jouent un rôle important sur la chimie et le climat de la planète. Notre capteur, installé 30 cm environ au-dessus du lander, détectera l’activité électrostatique à la surface de Mars. Cette activité proviendrait en grande partie des poussières minérales présentes en grande quantité dans l’atmosphère : les collisions de telles particules créent en effet des champs électriques. On sait que cela existe sur Terre et que ces champs sont assez forts pour impacter les processus mêmes par lesquels les particules de poussières se soulèvent à la surface de Mars. Or ce phénomène contrôle une grande partie du climat de la planète. Ceci est le premier objectif scientifique de Micro-ARES. Le deuxième est de savoir si ces champs électriques peuvent amplifier la destruction du méthane dans l’atmosphère martienne. En effet, il a été observé que ce gaz pouvait apparaitre et disparaître de façon intempestive... Certains ont proposé l'idée que les champs électriques pourraient être de puissants promoteurs de processus chimiques à l’origine de cette destruction.
Beaucoup de résultats sont donc espérés, mais la fenêtre sera courte pour communiquer avec vos instruments…
F.M. : En effet ! En octobre prochain, quand l’atterrisseur Schiaparelli se posera à la surface de Mars, ses batteries lui confèreront une autonomie de 2 à 3 jours... Il faudra ensuite patienter jusqu’au second volet de la mission européenne, ExoMars 2018.
A lire sur notre site :
Un système solaire plus habitable que prévu
Ici l'espace, vous avez un plan B?
Peut-on vraiment rester seul sur Mars ?
Un jour avec l'équipe de Curiosity
Vie sur Mars : l'enquête progresse
Commentaires
Les radiomètres ICOTOM
boubert le 17 Mars 2016 à 13h04Connectez-vous, rejoignez la communauté
du journal CNRS