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Pernelle Bernardi, le sol martien dans l'objectif
« La tension monte ! » s’exclame Pernelle Bernardi. À quelques jours de l’atterrissage du rover Perseverance sur la planète Mars, prévu le 18 février 2021, la voix de l’ingénieure de recherche au Laboratoire d’études spatiales et d’instrumentation en astrophysique (Lesia)1 est teintée d’un mélange d’excitation et d’appréhension. À 42 ans, elle est la responsable des spécifications et des performances de l’un des sept instruments équipant le rover de la Nasa : SuperCam, sur lequel ont travaillé de nombreuses équipes du CNRS, du Centre national d’études spatiales (Cnes) et de plusieurs universités françaises. Objectif : analyser la composition chimique et minéralogique des roches de la planète rouge afin d’y rechercher des traces de vie et d’habitabilité.
« Je suis entrée au Lesia il y a dix-huit ans, un peu par hasard », confie-t-elle. En 2002, tout juste sortie d’une grande école d’ingénieurs généralistes, l’Institut d’optique Graduate School (ex-École supérieure d’optique), la jeune femme d’alors 24 ans ne se destine en effet ni au spatial ni à la recherche, mais plutôt aux télécommunications. C’est l’éclatement de la bulle internet en 2000 qui la conduit à pousser les portes de l’Observatoire de Paris pour un contrat à durée déterminée, son premier emploi.
« Dès mon entretien, j’étais ravie, se souvient-elle. Je découvrais une équipe de passionnés très soudée. Et quand on parlait technique, on se comprenait ! Cela a été un grand bonheur de rejoindre l’aventure. »
Premiers pas vers la voie spatiale
Elle travaille d’abord sur la mission Corot et son satellite, lancé par le Cnes en 2006 et destiné à la recherche de planètes extrasolaires et l’astérosismologieFermerÉtude des vibrations des étoiles fournissant des informations sur leur structure interne.. Après avoir étalonné les détecteurs CCD et sélectionné les quatre meilleurs pour le vol, elle travaille sur la caméra, participe à la campagne de tests au Cnes à Toulouse, chez Thalès à Cannes-Mandelieu, puis à celle de lancement sur le cosmodrome de Baïkonour au Kazakhstan. « Arriver à ce moment clé m’a permis de vivre ce projet spatial de A à Z. Et m’a convaincue d’avoir choisi la bonne direction. » La suite sera plus compliquée : elle intègre l’équipe développement du microsatellite franco-chinois SMESE destiné à l’étude des éruptions solaires. Mais celle-ci est abandonnée en 2010. Idem pour son projet de sismomètre stellaire promis à la station polaire franco-italienne Concordia, en Antarctique.
En 2013, la chance tourne. Sylvestre Maurice, astronome à l’Institut de recherche en astrophysique et planétologie2 et responsable scientifique de la partie française du futur rover martien américain Perseverance, entre en contact avec le Lesia, acteur incontournable en spectroscopie infrarouge. Il faut doter l’instrument SuperCam d’une technique d’analyse supplémentaire capable de caractériser les roches à plusieurs mètres de distance pour indiquer au rover les meilleures zones où prélever. Une première. Pernelle Bernardi rejoint le projet comme architecte optique avant de devenir l’ingénieure système de l’instrument complet. Sa carrière décolle.
Le rôle de la jeune femme est lourd de conséquences. Elle doit choisir le meilleur concept d’instrument pour satisfaire les besoins scientifiques de la mission, compte tenu des ressources techniques accordées : le volume, la masse, la consommation électrique… autant de paramètres exigeants en parcimonie pour tout objet expédié dans l’espace. Responsable des performances de SuperCam, elle en pilote le développement technique, en termes d’optique, mais aussi sous les aspects mécaniques, thermiques, électroniques, contrôle-commande, logiciel embarqué, interfaces extérieures. « Un défi a par exemple été de m’assurer que les faisceaux laser restaient parfaitement co-alignés sur l’axe de visée du télescope, et ce quelle que soit la température de l’instrument, entre -40 °C et +10 °C, et après avoir subi les chocs et vibrations au lancement, à l’atterrissage sur Mars et lors du déploiement du mât du rover... », commente-t-elle.
Un gros coup de chaud
Le développement technique de l’instrument durera près de cinq ans. « Les étapes ne suivent jamais une ligne droite. Il faut en permanence s’assurer des bons choix avec chacun des architectes, spécialiste dans son domaine », raconte l’ingénieure.
Mais en octobre 2018, coup de tonnerre. Un incident technique détruit la moitié de l’instrument de vol lors d’une dernière opération nécessitant un passage en étuve pour accélérer la polymérisationFermerRéaction chimique ou procédé permettant de concevoir de grosses molécules (contenant un grand nombre d’atomes) en faisant réagir entre elles de plus petites molécules. Elle est par exemple au cœur de la fabrication des matières plastiques. d’un collage. Et pour cause : le télescope et ses équipements (laser, caméra, spectroscope infrarouge) voient alors des températures qui grimpent jusqu’à 250 °C, bien au-delà de l’acceptable...
Un vrai drame, « l’équipe a dû repartir de zéro ! », se souvient-elle. Tout aurait donc pu s’arrêter à un mois à peine de la livraison prévue aux Américains… Mais en plus de remplacer la pièce détruite en seulement six mois, les Français créent l’exploit d’améliorer ses performances ! Cette gageure vaudra à l’ingénieure la médaille de cristal 2020 du CNRS, « qui récompense la réussite de toute une équipe », tient-elle à souligner.
SuperCam a donc bien rejoint le mât du rover martien Perseverance avant son décollage, le 30 juillet 2020. Pendant ses six mois et demi de croisière vers Mars, elle a été allumée deux fois, les 19 octobre et 12 novembre. « Cela nous a permis de vérifier que l’instrument avait bien vécu le lancement. Toutes les données sont conformes », respire Pernelle Bernardi. Elle attend maintenant avec appréhension les tests de « bonne santé », qui visent à exercer chaque fonction de l’instrument, juste après l’atterrissage sur Mars et avant le relevage du mât du rover, pour l’heure replié sur le dos du véhicule.
Encore plus d'aventures martiennes
« C’est le résultat d’années de travail très intense, d’un engagement professionnel et personnel très fort pour tous les membres de l’équipe... », souligne-t-elle. Tous retiendront leur souffle jusqu’à l’atterrissage du 18 février. L’enjeu est énorme. « On va chercher des traces de vie sur Mars, s’enthousiasme Pernelle Bernardi. C’est très excitant d’un point de vue philosophique. Si on détecte des bio-signatures sur Mars, alors la vie existe très certainement ailleurs que sur Terre. »
L’ingénieure de recherche continuera de suivre l’aventure Perseverance jusqu’à l’été. Et n’aura pas le temps de ressentir « le blues de fin de projet » puisqu’elle travaille déjà depuis un an comme ingénieure système sur l’ambitieuse mission japonaise MMX (Mars Moons eXploration) visant à étudier Mars et ses deux lunes.
Elle devra cette fois mettre au point un spectromètre-imageur infrarouge fournissant des images à différentes longueurs d’onde afin de cartographier la surface de Phobos, principale lune de Mars, et peut-être ainsi en expliquer l’origine. Il lui faut donc jongler avec les horaires des réunions de travail… Depuis très tôt le matin, avec les Japonais, jusqu’à la toute fin de journée avec les Américains, pour SuperCam ! ♦
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