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Baptiste Chide à l'écoute de la planète rouge
Il s’exprime de manière claire et précise, avec passion et enthousiasme, au contraire de la diction hésitante qu’il affichait l’an dernier dans sa vidéo du concours « Ma thèse en 180 secondes ». Baptiste Chide, jeune chercheur de 28 ans à l’Institut de recherche en astrophysique et en planétologie (Irap)1, s’amusait en effet à y incarner un robot, le rover martien Perseverance, alors sujet à des bugs d’élocution pour… décliner son état-civil face à un agent de la circulation énervé : il y avait de quoi bégayer ! Dans cette vidéo, coaché « par des étudiants de l’École d’art dramatique de Toulouse et un formateur génial », le thésard en astrophysique et planétologie expliquait avec humour que le fameux rover de la mission Mars 2020 était « du genre à partir sur Mars écouter du gros son… »
Pendant les trois ans de sa thèse, soutenue fin 2020, Baptiste Chide a étudié le microphone logé dans l’instrument SuperCam2 fixé au sommet du mât de Perseverance. « Conçu et développé sous la responsabilité de David Mimoun et sous la maîtrise d’ouvrage de l’institut ISAE-SupAero de Toulouse », ce microphone arrivera donc sur le sol martien avec le reste du rover, le 18 février prochain, après six mois de croisière dans l’espace...
La tâche du jeune Sarthois – il est originaire du Mans – était vaste : « après mon diplôme d’ingénieur de l’ISAE SupAéro en 2017, j’y ai entamé une thèse dont le but était de définir ce qu’on allait pouvoir apprendre de Mars en écoutant les sons à la surface avec un microphone, explique-t-il. À l’origine du projet, en 2013, SuperCam ne devait pas en être équipé. C’était l’idée de Sylvestre Maurice, responsable scientifique de l’instrument, qui a ensuite convaincu la Nasa. Au départ, c’était surtout un atout pour la campagne de relations publiques : on parlait de diffuser les premiers sons enregistrés à la surface de Mars… »
Mais les scientifiques français ont ensuite rapidement l’idée d’exploiter davantage ce microphone. Car la technologie dont est dotée SuperCam est loin d’être silencieuse. Elle utilise la spectroscopie de plasma induit par laser pour caractériser les roches du sol martien à plusieurs mètres de distance afin d’indiquer au rover les meilleures zones où prélever des échantillons. Or sa technique d’ablation des roches par laser produit des petites détonations, « comme des claquements de doigts ». Et l’analyse de ces sons est susceptible d’apporter également de nombreuses informations sur les propriétés mécaniques des roches, notamment leur dureté, paramètre jusqu’alors difficilement accessible.
Reproduire les conditions d'écoute sur Mars... en laboratoire !
Pour sa thèse « très exploratoire et très expérimentale », le jeune chercheur doit d’abord « reproduire les conditions d’écoute sur Mars ». Comment faire dans un laboratoire sur Terre ? « J’ai utilisé une petite cuve de quelques dizaines de centimètres à l’Irap de Toulouse », dite « enceinte martienne ». « Et aussi “le tunnel martien” de l’université danoise d’Aarhus ! », sourit-il. Mais quèsaco ? « C’est un cylindre de huit mètres de long et de deux mètres de diamètre. Le vide y est fait avant d’injecter une atmosphère semblable à celle de Mars ». À savoir : du dioxyde de carbone essentiellement (près de 96 %) additionné de quelques traces d’argon et d’azote (alors qu’ici nous respirons un mélange fait d'environ 78 % d’azote et 21 % d’oxygène). Le tout à une pression atmosphérique de seulement 6 millibars (cent fois moindre que sur Terre).
« Cette très faible pression est responsable d’une baisse de volume générale sur Mars par comparaison à la Terre : les sons y sont plus faibles de 20 décibels en moyenne », souligne Baptiste Chide. Autre différence : sur Mars, les sons sont fortement ralentis à cause de la température très basse (-50 °C en moyenne) de l’atmosphère : ils ne se propagent qu’à 240 mètres par seconde contre 340 chez nous. Enfin, la composition chimique de l’atmosphère est responsable d’une atténuation des hautes fréquences, c’est-à-dire des aigus : « on pourrait comparer les sons sur Mars à une discussion à travers un mur de quelques centimètres d’épaisseur », explique-t-il, pédagogue.
Ce tant attendu 18 février 2021, après les « sept minutes de terreur » durant lesquelles Perseverance réalisera son atterrissage en automatique, Baptiste et toute l’équipe « microphone » vont tendre l’oreille… Il guettera les premiers sons enregistrés par « son » microphone à la surface de Mars. Un événement dans l’histoire de l’humanité !
« Le stress augmente chaque jour que l’on se rapproche de cette échéance, confie le jeune homme. Ce moment est très impressionnant et sera plein de surprises : c’est une expérience inédite, on n’a jamais entendu de son à la surface de Mars ! »
Sons mécaniques et sons atmosphériques
Jusqu’à présent, seuls deux microphones ont été envoyés sur la planète rouge. « Le premier s’est crashé en 1999. Le second n’a jamais été allumé, par peur de provoquer des défaillances sur d’autres instruments », raconte le jeune chercheur. Certes, un sismomètre français a déjà capté les vibrations des panneaux solaires de l’atterrisseur de la mission Insight, en 2018. « Ces infrasons, à quelques hertz, ont ensuite été transformés en sons audibles par nos oreilles, c’est-à-dire accélérés en fréquences. Mais de vrais sons martiens, nous n’en avons jamais entendu ! », insiste-t-il.
Baptiste Chide attend maintenant avec impatience d’étudier ses enregistrements, dans le cadre de son post-doctorat, au fil des journées passées par Perseverance sur Mars où un sol (une journée) dure environ 24 heures et 40 minutes. « On devrait entendre les sons mécaniques du rover quand il se déplacera ou encore ses forages. Je suis surtout très curieux de découvrir les sons atmosphériques des vents martiens ou ceux des grains de poussière frôlant le rover. »
À l’instar d’une oreille humaine, le microphone de SuperCam enregistrera les sons à des fréquences comprises entre 100 Hz et 10 000 Hz. Il permettra aussi de comparer les bruits nominaux de tous les instruments présents sur le rover à ceux émis in situ depuis Mars, « et participera ainsi aux diagnostics de bonne santé » de l’engin spatial.
Attiré dès son enfance par les planètes du Système solaire, le jeune homme compte maintenant les jours... « Je suis le seul scientifique de ma famille et plutôt monomaniaque sur le sujet, reconnaît-il. Mes premiers souvenirs remontent à la Nuit des Étoiles, quand ma mère m’emmenait observer Mars dans le ciel du Mans. Plus tard, j’ai réussi à faire des stages à l’Agence spatiale européenne et au sein de laboratoires parisiens de planétologie. À l’ISAE-SupAéro, j’ai eu la chance de rencontrer Sylvestre Maurice, chercheur passionné et passionnant. Je suis extrêmement fier de travailler à ses côtés aujourd’hui ! », conclut-il. ♦
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- 1. Unité CNRS/Université Paul Sabatier – Toulouse III/Cnes/Observatoire Midi-Pyrénées.
- 2. SuperCam a été développé par un consortium de laboratoires du CNRS et des universités françaises, sous la responsabilité du Cnes. Pernelle Bernardi, ingénieure de recherche au Lesia, est la responsable des spécifications et des performances de cet instrument.
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