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«Plus on retarde l’épidémie, mieux le système pourra s’adapter»

Dossier
Paru le 23.03.2020
Les virus à la loupe
Point de vue

«Plus on retarde l’épidémie, mieux le système pourra s’adapter»

17.03.2020, par
Messages de prévention sur l'épidemie du nouveau coronavirus Covid-19. Stade 3 dans le quartier d'affaires de la Défense (16/03/2020).
Entretien avec Josselin Thuilliez, économiste de la santé, à propos du coronavirus. Ce chercheur travaille sur les épidémies et l’impact sur celles-ci des comportements individuels, des différents systèmes de santé et des politiques de contrôle. Il fait partie de Reacting, un consortium de chercheurs mis en place pour coordonner la recherche sur les épidémies émergentes.

A-t-on des précédents récents d’une épidémie d'une ampleur comparable à celle du Covid-19 en France ?
Josselin Thuilliez1 : Pas à ma connaissance. Cette épidémie est unique par l’ampleur qu’elle est en train de prendre, partout dans le monde, ce qui permet aujourd’hui de la qualifier de pandémie. Les dernières pandémies équivalentes sont celles de la grippe espagnole, qui durant l’hiver 1918-1919 a fait plusieurs dizaines de millions de morts dans le monde, ou celle de la grippe asiatique entre 1956 et 1958.

Alors que des mesures de confinement viennent d'être prises sur tout le territoire, la réponse de la France vous paraît-elle à la hauteur de la crise ?
J.T. : Il faudra attendre la gestion complète de la crise pour en juger. Mais jusqu’à présent, la réponse française a été graduelle, proportionnée, et répond aux critères de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), qui précise qu’un arbitrage entre priorité sanitaire et coût socioéconomique doit être effectué en cas d’épidémie. Il est toujours difficile d’agir, car on ne peut éviter les erreurs, il faut donc regarder les mesures prises actuellement de façon critique certes, mais constructive. Le testing aurait sans doute pu être plus massif comme en Corée du Sud, mais il est également coûteux et n'est désormais pas prioritaire par rapport à l'afflux de cas. Par rapport à la situation italienne et chinoise, il aurait sans doute fallu réagir plus rapidement, mais c'est la première fois que nous sommes confrontés à un confinement d'une telle ampleur en réponse à une épidémie. Le moment adéquat n'est pas simple à définir sans expérience.

Le système français est-il dimensionné pour affronter une crise sanitaire d’une telle ampleur ?
J. T. : Le système français, malgré la situation de l’hôpital que l’on connaît à l’heure actuelle, est un système égalitaire qui permet une prise en charge rapide du plus grand nombre, indépendamment des ressources économiques. Ce n’est pas le cas de tous les pays, notamment de nombreux pays du Sud où l’accès à la santé repose avant tout sur les dépenses privées des ménages. La France est équipée, mais pourra-t-elle absorber une arrivée massive de nouveaux cas graves ? C’est tout l’enjeu de la stratégie gouvernementale actuelle, qui essaie de lisser la courbe de l’épidémie afin de ne pas provoquer de débordement. L’idée, c’est que plus on retarde le pic épidémique, mieux le système pourra s’adapter.

Si on regarde pays par pays les courbes de propagation de l’épidémie depuis la découverte du cas zéro, la France a une courbe moins rapidement ascendante que d’autres et plus plate au départ, mais actuellement en forte accélération.

De fait, si on regarde pays par pays les courbes de propagation de l’épidémie (le nombre de cas cumulés rapporté à la population) depuis la découverte du cas zéro, la France a une courbe moins rapidement ascendante que d’autres et plus plate au départ, mais actuellement en forte accélération. Des pays comme la Suisse, la Norvège ou l’Iran ont vu une hausse du nombre de cas beaucoup plus rapide dès les premiers cas, l’Italie a assisté à une explosion de son nombre de cas à partir de J+20, la France et l’Allemagne suivent des courbes relativement similaires avec une forte accélération à partir de J+30, quelques jours plus tard, donc.

À quoi ressemble une courbe épidémique ?
J. T. : Avec d’autres collègues, nous avons tenté de modéliser les comportements dans le cas d’autres maladies infectieuses. D’un point de vue économique, une épidémie suit généralement une courbe en S : une phase de démarrage, suivie d’une phase de croissance, puis on atteint un pic à partir duquel s’effectue un retournement, avec ensuite une phase de décroissance et parfois un rebond qui peut être plus ou moins violent ou en cas de contrôle total des nouveaux cas, une élimination. Il y a néanmoins plusieurs interprétations possibles de cette même courbe en S. L’interprétation épidémiologique explique que plus il y a de malades infectés, plus le nombre de nouveaux cas d’infection décline, jusqu’au plafonnement puis au déclin de la maladie, qui voit son socle naturel (les personnes n’ayant pas encore été confrontées à la maladie) diminuer progressivement.
L’interprétation économique – et c’est sa valeur ajoutée – repose sur les comportements individuels et collectifs des acteurs, ainsi que l’analyse d’effets non anticipés : les individus réagissent à un risque et à leur environnement (voisins, quartier, politiques publiques). Ils peuvent de ce fait augmenter leur niveau de protection en réponse à la maladie, ce qui va faire ralentir ou même décliner sa propagation ; il y a néanmoins un risque de redémarrage si les individus relâchent leur vigilance, comme lorsque des traitements efficaces sont introduits ou lorsqu’il existe une certaine lassitude vis-à-vis de certaines mesures de prévention. Une troisième explication de la courbe en S est liée à l’introduction d’innovations, qui vont permettre d’atteindre ce plafond puis d’amorcer un déclin. Quand on parle d’innovations, il peut s’agir de nouveaux traitements ou vaccins, mais aussi de nouveaux comportements ou de nouvelles politiques publiques.

Tous les établissements scolaires sont fermés en France depuis le lundi 16 mars. C'est l'une des premières mesures prises par le gouvernement pour endiguer la propagation du coronavirus, avant que ne soit décidé le confinement total de la population.
Tous les établissements scolaires sont fermés en France depuis le lundi 16 mars. C'est l'une des premières mesures prises par le gouvernement pour endiguer la propagation du coronavirus, avant que ne soit décidé le confinement total de la population.

Que sait-on de l'effet de certaines mesures comme la fermeture des écoles ?
J.T. : Il existe sur le sujet une étude effectuée en 2016 par un collègue français de l’université de Bocconi à Milan, Jérôme Adda. Cet économiste de la santé a regardé durant ces 25 dernières années en France l’impact des vacances scolaires et des grèves de transport sur les statistiques de trois virus : la grippe saisonnière, la gastroentérite et la varicelle. Selon cette étude, les fermetures d’écoles ont un effet visible sur l’incidence de la grippe, et la réduisent durant 3 à 4 semaines, non seulement chez les enfants mais aussi chez les adultes.
 

D'après une étude menée sur les 25 dernières années en France, fermer les écoles durant deux semaines à l'occasion des vacances scolaires, permet en moyenne de réduire de 12 % l’incidence annuelle de la grippe, de la gastroentérite et de la varicelle.

Une réduction significative des taux de transmission est également observée lors des grèves de transport – tandis que sur cette période de 25 ans, l’extension des lignes TGV a au contraire accru de manière globale les taux de transmission. Toujours selon cette étude, fermer les écoles durant deux semaines permet en moyenne de réduire l’incidence annuelle des trois maladies de 12 %, une politique de fermeture des transports publics pendant une semaine permettrait d’atteindre le même résultat. Compte tenu des taux de mortalité observés sur le Covid-19 qui sont à peu près vingt fois supérieurs à la grippe saisonnière, les mesures actuelles sont totalement justifiées selon cette analyse sur un plan coût-efficacité pour contrer cette pandémie.

Vous faites partie du groupe de recherche Reacting (Research and action targeting emerging infectious diseases), dédié aux épidémies émergentes. Pouvez-vous nous en dire plus ?
J.T. : Ce consortium lancé en 2014 rassemble des équipes multidisciplinaires et multi-institutionnelles travaillant sur les maladies infectieuses émergentes, en France mais aussi à l'international (peste à Madagascar, Zika et chikungunya aux Antilles...). Sa mission est de préparer et coordonner la recherche française pour prévenir et lutter contre les épidémies. Le ministère de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation a confié à Reacting la responsabilité de la coordination de la recherche française sur le nouveau coronavirus. Le consortium s'est mobilisé dès les premiers jours de l'épidémie de Covid-19 et les équipes impliquées sur le coronavirus ont pu bénéficier de financements d’amorçage pour lancer leurs travaux. Vingt projets ont ainsi été sélectionnés, sur grands thèmes : épidémiologie, recherche clinique, diagnostic et thérapeutique, recherche fondamentale et enfin, sciences humaines et sociales. Le consortium fait partie des interlocuteurs privilégiés des pouvoirs publics dans cette crise et facilite un plaidoyer collectif des acteurs de la recherche. Il permet aussi la mise en relation des chercheurs et des industriels, sur des thématiques telles que l’accès aux échantillons, les traitements, le diagnostic...

Faire de l’innovation en santé (création de vaccins et médicaments notamment) coûte cher en recherche et développement, or on ne sait jamais à l’avance si la maladie sera un jour épidémique, et si ces coûts de R&D pourront être amortis.

Sur le plus long terme, il participe à une réflexion de la communauté internationale sur la meilleure réponse à apporter à ces menaces épidémiques. D’un point de vue économique, l’une des pistes serait de mettre en place un système d’assurance et de solidarité internationale pour favoriser les innovations de santé dans le monde. Cela consisterait à donner des incitations financières ou monétaires à la création d’innovations de santé avant que l’épidémie n’éclate, afin d’avoir une réponse plus rapide. Car on sait que faire de l’innovation en santé (création de vaccins et médicaments notamment) coûte cher en recherche et développement, alors que le marché pour celle-ci est incertain : on ne sait jamais à l’avance si la maladie sera un jour épidémique, et si ces coûts de R&D pourront être amortis.

Mais quel que soit le dispositif que l’on décide à l’avenir pour lutter plus efficacement contre les épidémies émergentes, on ne les verra pas toutes arriver et on ne pourra pas toutes les empêcher. Ce qui est certain, c’est qu’il y aura d’autres épidémies, comme il y en a toujours eu au cours de l’histoire de l’humanité, avec une fréquence plus ou moins rapide. Il faut se préparer au risque et à l’incertitude, en mettant en place des mécanismes de coopération plus poussés qu’aujourd’hui.

Pour terminer, que vous inspire la mobilisation actuelle des laboratoires de recherche à l’international ? Y-a-t-il un réel effort de collaboration ?
J. T. : La collaboration est réelle entre les laboratoires à l’international. Il y a une évolution notable dans les modalités de la recherche et notamment dans le système de partage des résultats et d’évaluation des recherches en cours. On constate que beaucoup de prépublications sont mises en ligne, et sont donc consultables beaucoup plus rapidement par l’ensemble de la communauté scientifique. L’avantage de ce système, c’est qu’il est plus rapide et fait gagner des semaines, voire des mois. L’inconvénient, c’est qu’il faut savoir faire le tri entre toutes ces recherches en termes de qualité, car elles n’ont pas suivi le circuit classique des publications scientifiques et n’ont pas toutes été examinées au préalable par un comité d’experts. Il faut donc réinventer d’autres modes d’évaluation. Il n’est pas impossible que la crise du coronavirus impacte de manière durable notre façon de faire de la recherche et de publier. Ce processus déjà en cours devrait s’accélérer.

À lire sur le site du journal
« La science fondamentale est notre meilleure assurance contre les épidémies »
Les virus à la loupe (dossier)
 

Notes
  • 1. Josselin Thuilliez est économiste de la santé au Centre d'économie de la Sorbonne (Unité CNRS/Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne).

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