Vous êtes ici
C’est un dogme de la biologie qu’on pensait solidement établi : tous les virus sont par nature extrêmement petits. Affichant des dimensions de l’ordre d’un dixième de micromètreFermerUn micromètre vaut un millionième de mètre, ils sont totalement invisibles au microscope optique. Mais les découvertes récentes de virus beaucoup plus gros, les virus géants, obligent aujourd’hui les biologistes à revoir leur copie. Ces monstres, qui mesurent environ 1 micromètre et sont visibles au microscope, rivalisent en taille avec les bactéries, ce qui brise la frontière considérée jusqu’ici comme infranchissable entre le monde viral et le monde cellulaire.
Trois familles identifiées en dix ans
L’histoire des virus géants commence en 2003. L’équipe de Didier Raoult, de l’Unité de recherche sur les maladies infectieuses et tropicales émergentes1, à Marseille, identifie alors, en collaboration avec l’équipe de Jean-Michel Claverie, directeur du laboratoire Information génomique et structurale (IGS)2, à Marseille, la nature virale d’un microbe découvert dix ans plus tôt en Angleterre par Timothy Rowbotham et considéré à tort comme une bactérie. Depuis, Mimivirus – c’est son nom – a été rejoint par de nombreux autres congénères de la même famille, celle des Megavirus. Puis, coup sur coup, en 2013 et en mars 2014, Jean-Michel Claverie, toujours lui, a mis au jour avec ses collègues deux nouvelles familles : les Pandoravirus et, derniers en date, les Pithovirus, dont un seul représentant est connu à ce jour.
Et la liste ne semble pas près de s’arrêter. « Le fait d’avoir trouvé trois familles en dix ans seulement et dans des environnements variés – mer, eau douce, permafrost… – laisse penser que les virus géants sont extrêmement diversifiés et abondants dans la nature », souligne Jean-Michel Claverie.
Les virus géants seraient donc présents partout sur la planète. Et ce bien que leur existence même ait été ignorée jusque très récemment. Pourquoi ? « Parce que, depuis le milieu du XIXe siècle, on a toujours détecté les virus en les faisant passer par des filtres de plus en plus petits, explique Jean-Michel Claverie. Les gros virus restaient donc bloqués avec les bactéries et n’étaient pas identifiés. » C’est donc tout un monde inconnu qui commencerait à peine à être dévoilé par les scientifiques.
Des gènes communs avec les animaux
Outre les mensurations impressionnantes de ces nouvelles stars de la virologie, c’est la taille de leur génome qui stupéfait les chercheurs. Avec 2 500 gènes pour les Pandoravirus et un millier de gènes pour les Megavirus, le patrimoine génétique des virus géants dépasse en effet de loin celui des virus traditionnels (ceux de la grippe et du sida ne renferment qu’une dizaine de gènes). Et rivalise avec celui des bactéries. Du jamais-vu !
Et comme si cela ne suffisait pas, un grand nombre de ces gènes sont totalement nouveaux pour la science. « Deux tiers des gènes de Pithovirus ne correspondent à aucun de ceux déjà répertoriés dans les autres virus ou les organismes cellulaires ; et, pour Pandoravirus, cette proportion est même supérieure à 90 % ! », explique Chantal Abergel, du laboratoire IGS, codécouvreuse de ces deux spécimens géants.
Autre surprise : en séquençant le génome de Mimivirus et d’autres Megavirus, les chercheurs se sont rendu compte qu’ils recelaient des gènes qu’on trouve normalement chez les plantes, les animaux et les autres organismes cellulaires, mais pas chez les virus. Certains de ces gènes jouent notamment un rôle clé dans la traduction de l’ADN en protéines. Un paradoxe quand on sait que les virus n’ont pas besoin de fabriquer eux-mêmes des protéines. Et pour cause : ils les font produire par les cellules de l’hôte qu’ils parasitent.
Pourquoi les virus géants ont-ils besoin de tant de gènes ? Et quelles fonctions peuvent bien remplir ces gènes encore inconnus ? Les biologistes qui tentent aujourd’hui de répondre à ces questions ont peut-être un début d’explication. Ils savent notamment que les virus géants sont capables de survivre pendant de longues périodes dans des milieux hostiles, à des hautes températures notamment. Et ils pensent également que, pour infecter leurs hôtes, des amibesFermerOrganisme unicellulaire qui vit sur les plantes aquatiques, dans le sol humide ou parasite les animaux., les virus géants se font passer, grâce à leur taille et à leur structure complexe, pour des bactéries. Les amibes, qui se nourrissent justement de bactéries, n’y verraient que du feu. Ce type d’adaptation nécessiterait ainsi l’utilisation d’un large répertoire génétique.
Une origine mystérieuse
Tous ces éléments mis bout à bout montrent à quel point les virus géants sont complexes sur le plan génétique, autant que certains organismes cellulaires. C’est pourquoi, aux yeux de certains scientifiques, dont Jean-Michel Claverie et Chantal Abergel, ces nouveaux venus devraient être considérés comme des formes de vie à part entière. Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Les virus sont en effet exclus du vivant car, à la différence des organismes cellulaires, ils sont incapables de se reproduire hors de la cellule qu’ils infectent. Avec les virus géants, cette définition arbitraire pourrait un jour être revue, pensent certains, et une nouvelle branche du vivant créée spécialement pour eux, en plus des trois autres déjà existantes que sont les bactéries, les archées et les eucaryotes.
Autre débat soulevé par les virus géants, celui de leur origine. « La présence chez les Megavirus de gènes qui sont normalement l’apanage des cellules vivantes n’est pas le fruit du hasard, avance Jean-Michel Claverie. Nous pensons au contraire que les virus étaient autrefois des cellules vivantes qui auraient perdu peu à peu des morceaux de leur ADN, devenant ainsi des parasites. » Une théorie controversée et qui raconte une histoire extrêmement ancienne puisqu’elle se serait passée il y a plus de deux milliards d’années, avant l’apparition des cellules telles qu’on les connaît aujourd’hui, lorsque la nature expérimentait encore différentes formes de vie rudimentaires.
Des virus dangereux pour l’homme ?
Au-delà de toutes les questions fondamentales posées par les virus géants reste une interrogation qui nous concerne directement : ces virus sont-ils dangereux pour l’homme ? Malheureusement, la réponse est oui. « Plusieurs études montrent un lien entre des pneumonies et la présence de Mimivirus chez des patients, note Didier Raoult. Et il n’est pas impossible que d’autres virus géants se révèlent eux aussi pathogènes. » Mais que l’on se rassure, les expériences menées en laboratoire sur les virus géants autres que Mimivirus n’ont pas établi pour le moment que ces parasites étaient capables d’infecter des cellules humaines.
En attendant d’y voir plus clair, les biologistes continuent de parcourir la planète à la recherche de nouveaux virus géants. Dans cette quête, tous les environnements sont bons à explorer. Et notamment le permafrostFermerDans les régions arctiques et subarctiques, partie du sol ou du sous-sol qui reste gelée en permanence et complètement imperméable (on dit aussi pergélisol). de Sibérie, dans lequel Pithovirus a été découvert. Enfoui dans le sol à 30 mètres de profondeur, celui-ci a survécu à plus de 30 000 ans de congélation, avant d’être « réveillé » en laboratoire par l’équipe de Jean-Michel Claverie. « Nous étudions maintenant des échantillons de permafrost prélevés plus profondément encore, et donc plus anciens, dans l’espoir d’y découvrir des virus géants qui pourraient être âgés de plusieurs millions d’années », s’enthousiasme Chantal Abergel. En remontant le temps, les chercheurs pourraient dévoiler bien des mystères sur ces virus d’un nouveau genre.
Mots-clés
Partager cet article
Auteur
Julien Bourdet, né en 1980, est journaliste scientifique indépendant. Il a notamment travaillé pour Le Figaro et pour le magazine d’astronomie Ciel et Espace. Il collabore également régulièrement avec le magazine La Recherche.
Commentaires
Merci pour cette explication,
Marc RobinsonRechavi le 1 Avril 2014 à 14h29Si Pithovirus a survécu dans
ETHEVE le 20 Avril 2020 à 08h04Bonjour ,
J2L le 13 Septembre 2021 à 07h28Connectez-vous, rejoignez la communauté
du journal CNRS