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Une plongée musicale dans la Renaissance
Dressé dans la cour du musée des Beaux-Arts de Tours, un dispositif inédit propose au public de découvrir l’un des plus grands compositeurs de la Renaissance : Johannes Ockeghem. Ce musicien, né vers 1420 dans le Hainaut et mort en 1497 à Tours, fut premier chapelain du roi et trésorier de la basilique Saint-Martin de Tours. Nom de code de cette boîte à musique géante : le Cubiculum musicae.
Découvrir l’art par l’art
Alliant réalité virtuelle et sciences humaines, l’installation s’inspire des « lieux de collection » (studiolo) de la musique qui se sont développés à la Renaissance. Amateurs et érudits y déposaient des partitions, des instruments ou objets de musique et des peintures aux thèmes musicaux.
C’est sur ce modèle que Philippe Vendrix, aujourd’hui président de l’université de Tours, a imaginé le Cubiculum (lire ici notre article publié sur le sujet en 2013). « Philippe Vendrix a eu l’idée d’actualiser ce concept et de créer une salle mobile, parfaitement insonorisée, équipée d’une excellente spatialisation du son, où pouvoir diffuser des projets sur la musique selon le lieu patrimonial dans lequel est posé le dispositif », nous révèle Camilla Cavicchi, chercheuse associée au Centre d’études supérieures de la Renaissance1 (CESR), qui a participé à la conception du projet. L’objectif de ce dernier : susciter la curiosité pour des productions musicales parfois complexes.
Le Cubiculum musicae Ockeghem – Saint-Martin se veut une invitation à comprendre, voir et entendre une œuvre musicale, le musicien qui l’a composée et le contexte qui les ont vus évoluer. Le choix du compositeur Johannes Ockeghem s’est imposé de lui même. « Ce compositeur de la Renaissance a en effet œuvré à la collégiale Saint-Martin », précise Camilla Cavicchi.
Une pédagogie de l’émotion
L’expérience sensorielle et temporelle se déroule en deux temps : à l’extérieur du cube, des panneaux retracent la vie et le parcours de Johannes Ockeghem dans les lieux de la ville de Tours ; à l’intérieur, un dispositif sonore inséré dans les parois, un écran haute définition, et le noir absolu isolent le visiteur de l’extérieur. Un documentaire, réalisé avec la technologie en 3D « matte painting » – parmi l’un des premiers trucages ayant été inventés pour le cinéma, un décor fictif élaboré à partir d’images existantes –, permet de découvrir le travail, la conception et la création de l’œuvre musicale d’Ockeghem. « Ce documentaire est une invitation, pour le public, à vivre cette expérience musicale inédite, accompagnée par des enluminures, des incunables qui datent des premiers temps de l’imprimerie, des tableaux d’artistes tourangeaux de l’époque d’Ockeghem. C’est un voyage dans la musique d’Ockeghem qui se réalise grâce à la technologie et à un espace narratif sonore spécialement élaboré », explique Camille Cavicchi.
Deux découvertes inédites en musicologie
Au cœur de l’installation, une composition liturgique, le Kyrie de la messe De plus en plus d’Ockeghem. Deux découvertes scientifiques inédites, autour de cette composition, sont présentées. La première concerne la datation de cette œuvre musicale. Menée par Agostino Magro, maître de conférence à l’université de Rennes et chercheur associé au CESR, une étude a permis de découvrir, dans la structure générale de cette messe polyphonique, la citation de l’antienne Dixerunt discipuli, un chant expressément créé pour le culte de saint Martin. Cela a permis d’affiner la datation de l’œuvre, certainement composée vers 1460-1461, mais aussi d’en estimer les implications historiques et l’influence musicale. « Comme en histoire de l’art, la datation des œuvres musicales de la Renaissance fait défaut, et il est souvent difficile de construire une histoire des processus créatifs sur des fondements chronologiques solides », relève Camilla Cavicchi.
La seconde découverte est primordiale pour la connaissance de l’œuvre d’Ockeghem : il s’agit d’une lettre de 1523, en provenance de Milan, qui atteste de l’authenticité et d’une large diffusion d’une œuvre de Ockeghem : « La lettre de l’ambassadeur ferrarais à Milan cite le motet à 36 voix d’Ockeghem. Elle nous dit que 26 ans après la mort du compositeur, à 1 200 kilomètres de Tours, les aristocrates italiens évoquaient encore la beauté et l’originalité de cette composition musicale d’Ockeghem. Les musicologues ont longtemps hésité sur la fiabilité des informations concernant cette œuvre ; aujourd’hui nous pouvons confirmer qu’elle est authentique », précise Camilla Cavicchi.
Valoriser le patrimoine musical
Le programme Ricercar, à l’initiative du Cubiculum musicae, ne compte pas s’arrêter là : « Nous travaillons actuellement à une médiation des contenus du Cubiculum pour Oculus (des masques de réalité virtuelle, NDLR), ce qui nous permettrait d’offrir une expérience musicale et visuelle plus immersive et plus facile à exporter », dévoile Camilla Cavicchi. En attendant, une exposition virtuelle est disponible en ligne pour poursuivre l’expérience autour d’Ockeghem. Entre les technologies innovantes et la restitution des réalités musicales du passé, l’histoire vient tout juste de commencer.
- 1. Unité CNRS/Univ. François-Rabelais/Min. Culture.
Coulisses
Jusqu’en janvier 2017, le Cubiculum musicae fait partie de l’exposition « Martin de Tours, le rayonnement de la cité », qui se tient au musée des Beaux-Arts de Tours à l’occasion des 1 700 ans de la naissance de saint Martin (316-397), troisième évêque de Tours et dont la basilique abrite le tombeau.
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Auteur
Anne-Sophie Boutaud est journaliste à CNRS Le journal.
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