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Le malentendu démocratique européen

Le malentendu démocratique européen

19.05.2014, par
Construite sur les bases d’une démocratie, l’Europe a vu peu à peu monter en puissance des institutions « indépendantes » non élues, telles que la Commission ou la Banque centrale européenne. Le chercheur Antoine Vauchez, auteur d’un ouvrage sur le sujet paru en février dernier, se demande comment leur redonner une légitimité démocratique.

L’Europe est-elle vraiment si incompréhensible et illisible que le veut la rengaine ? Ou bien ne serait-ce pas plutôt du côté de nos habitudes de pensée qu’il faudrait chercher la faille ? Car il y a assurément à propos de l’Europe un malentendu tenace. Les mots par lesquels on désigne communément ses institutions (Parlement européen, Cour de justice, etc.) et ses acteurs (société civile européenne, partis politiques européens, etc.) restent marqués par une profonde ambivalence. Forgés au fil des multiples traités qui ont tenté d’arracher l’Europe à ses origines technocratiques, ils sont à la fois instruments de description de l’Europe telle qu’elle se présente (un système d’institutions) et horizon programmatique de l’Europe telle qu’on voudrait qu’elle soit (une « authentique » démocratie).

Un centre de pouvoir aux formes singulières

Au terme de deux décennies de réfor­mes qui ont importé à l’échelon européen tout l’arsenal des démocraties représentatives nationales, cette ambivalence a contribué à répandre un épais brouillard qui nous empêche de voir l’Europe telle qu’elle est. Car à trop penser celle-ci en rapport à un à-venir politique, à trop chercher dans le présent les prémisses et les promesses d’une démocratie parlementaire supranationale, on n’a pas vu qu’il s’était formé sous nos yeux un centre de pouvoir européen aux formes irréductiblement singulières.

Un centre de
pouvoir européen
s’est construit
non pas autour
d’institutions
soumises
au suffrage des
citoyens, mais
d’institutions indépendantes.

Celui-ci s’est construit non pas autour d’institutions soumises au ­suffrage des citoyens, mais d’institutions « indépendantes » telles que la Commission, la Cour de justice ou encore la Banque centrale européenne.

Pour en prendre pleinement mesure, il faut revenir à cette matrice qu’a été pour l’Europe naissante la construction du Marché commun. Première politique publi­que européenne, la mise en place du Marché commun a en effet été historiquement le lieu où s’est inventée une première forme d’autorité politique spécifiquement européenne. Alors que les États ont toujours dénié aux institutions européennes la possibilité d’une expression ouvertement politique, c’est sur le terrain de la construction juridique et bureaucratique du Marché, et sous les auspices de la Commission et de la Cour de justice (et ulté­rieurement de la Banque centrale), que l’Europe a progressivement affirmé une capacité politique autonome.

 

Trois institutions incontournables

Dans ce domaine, l’Europe n’a pas peur de son ombre. Dans une Union dont on dit si souvent qu’elle piétine et patine, elle avance même à grands pas, sanctionnant à coups de milliards d’euros les États et les grandes multinationales, soumettant l’ensemble de ces acteurs à des réglementations commu­nes et s’arrogeant au fil des crises européennes de nouvelles compétences. En retour, ce gouvernement du Marché a marqué l’Europe de son empreinte. Institutionnelle tout d’abord, puisqu’en s’érigeant en « bâtisseur de marché » (de ses relances et de ses mesures d’accom­pagnement), le triptyque formé par la Commission, la Cour de justice et la Banque centrale européenne a acquis un rôle de gardien et garant du projet européen. Politique ensuite, puisque ces institutions « indépendantes » ont ainsi défini une forme européenne de légitimité politique qui revendique son extériorité aux « égoïsmes nationaux » de la politique diplo­matique et aux « passions par­tisanes » de la politique électorale. Professionnelle enfin, puisqu’elles ont donné à l’Europe son ersatz d’espace public construit d’abord et avant tout autour du cercle étroit des ressortissants des politiques publiques européennes (lobbyistes, experts, avocats, etc.).

Le défi de l'Europe

Telle est donc l’originalité politique de l’Union européenne et le défi particulier qu’elle pose à la démocratie : un pouvoir européen existe bien, mais il est né et a prospéré par l’action d’institutions qui, au niveau national, se tiennent à l’extérieur, voire en contrepoint, du circuit de la légitimité électorale. Une politique européenne existe bien également, mais elle prend la forme d’une lutte feutrée, mais pas moins vive, sur le terrain du droit et de l’économie, à coups de catégories juridiques, de théories économiques et de Livres blancs, verts ou bleus, etc. Du reste, en plaçant les « indépendantes » au premier rang du gouvernement économique de la zone Euro (Union bancaire, Mécanisme européen de stabilité, Pacte budgétaire, etc.) et en ­déplaçant les conflits politiques et diplomatiques sur le terrain des indicateurs statistiques (déficit structurel, compétitivité, etc.), la crise de l’euro a montré de manière cruelle la prégnance et la persistance de ce modèle politique européen.

En ce sens, l’enjeu démocratique européen tient sans doute moins aujourd’hui dans l’ardente obligation de mettre en branle une démocratie parlementaire majoritaire, qui risque d’être en perpétuel porte-à-faux, que dans l’invention de nouveaux liens démocratiques avec ces « indépendantes » qui constituent le socle du gouvernement de l’Europe et qui sont pourtant restées si longtemps au ban du débat public sur l’avenir de l’Union.

À lire aussi : Les enjeux de l'élection européenne cartes sur tables, un dossier de cartes commentées présentant les grands enjeux de l'élection européenne en matière d'énergie, de modèle social, de migrations et d'influence de l'Europe dans le monde (publié par le GIS Collège international des sciences du territoire (CIST), en partenariat avec l'UMS RIATE).

 

À lire / À voir

Démocratiser l’Europe, Antoine Vauchez, Seuil, coll. « La République des idées », février 2014, 112 p., 11,80 €

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