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Des villes plus vertueuses pour le climat
Bien qu’elles ne représentent que 4 % de la surface totale de l’Union européenne, les agglomérations concentrent 75 % de sa population et 70 % des émissions de dioxyde de carbone (CO2). Horizon Europe compte notamment sur les smart cities pour baisser ce dernier chiffre. Mais de quoi s’agit-il ?
Christophe Ménézo1. Je connais bien la question, car je suis responsable d’un des axes de Synergie2, réseau international de recherche franco-singapourien sur les énergies renouvelables avec un intérêt prononcé pour les smart cities. Ces villes « intelligentes », dont Singapour est l’un des meilleurs exemples, bénéficient de nombreuses innovations technologiques dans le domaine de la construction, de la mobilité, de la gestion des ressources ou encore du recyclage. Mais un système aussi complexe doit disposer de données à analyser, obtenues grâce à des réseaux de capteurs qui mesurent en permanence différents paramètres industriels, énergétiques, environnementaux ou sociaux. Leur exploitation fait appel à des disciplines comme les sciences des matériaux et de l’énergie décarbonée, l’économie, le droit, la psychologie, la philosophie, l’histoire, la géographie, etc.
Car si on se donne des objectifs aussi ambitieux que ceux d’Horizon Europe, il faut pouvoir suivre les trajectoires que l’on prend en fonction des cibles visées. L’information est primordiale pour réaliser un diagnostic, modéliser différents scénarios et infléchir ses trajectoires. Cela demande d’acquérir et d’emmagasiner un maximum de données pertinentes à l’échelle des agglomérations, des quartiers ou des bâtiments, puis de les analyser pour en tirer des projections sur l’énergie, la mobilité, la pollution, les ressources en eau, etc. Nous avons besoin de bases de données européennes communes et ouvertes pour atteindre un bon degré de résilience face aux dérèglements climatique et géopolitique. Avec des flux traités en temps quasi réel, nous pourrions presque piloter nos villes comme des systèmes basés sur des technologies avancées.
Voyez-vous d’autres approches que ces smart cities ?
Ch. M. Les technologies du numérique, telle l’intelligence artificielle, offrent un bon potentiel pour les villes aussi technologiquement développées que Singapour, mais il reste nécessaire de s’intéresser également à l’intelligence collective.
Le monde du vivant nous offre sur ce point d’impressionnants exemples d’organisation, que nous étudions d’ailleurs avec des biologistes. Prenons les termitières, où des ouvrières aveugles parviennent à bâtir d’immenses tours à base de matériaux biosourcés, au sein desquelles les concentrations de gaz, la température et l’humidité sont contrôlées, afin notamment d’y cultiver des champignons. Rappelons que si les villes concentrent 80 % du PIB mondial grâce aux services, au commerce ou à la finance, elles ne produisent quasiment aucune ressource et vivent sous perfusion de l’extérieur.
Nous travaillons donc aussi sur des stratégies d’aménagement des aires urbaines bio-inspirées, favorisant l’accès aux ressources et la valorisation des potentiels locaux. Mais les mesures prises à court terme se concrétisent à moyen ou long terme, ce qui peut être considéré comme une faiblesse face à l’accélération et l’amplitude des dérèglements climatiques.
Vous dirigez la Fédération de recherche sur l’énergie solaire du CNRS (FédEsol). Quelle est la problématique de la ville ?
Ch. M. Je travaille en effet beaucoup sur l’intégration des différentes technologies solaires aux bâtiments et aux villes, afin d’apporter une réponse locale là où les besoins énergétiques se concentrent. En milieu urbain, la principale problématique de l’énergie solaire vient de la variabilité induite par les ombrages des bâtiments, avec des zones à l’éclairage changeant tout au long de la journée. La qualité de la ressource solaire est aussi impactée par la nébulosité de l’atmosphère et l’encrassement des capteurs dû à la pollution, ou encore par des niveaux de températures plus élevés qu’à la campagne à cause des effets d’îlots de chaleur. Il y a beaucoup de défis à relever.
D’autres pistes sont-elles envisagées pour aller vers des villes neutres du point de vue climatique ?
Ch. M. Face à la croissance démographique humaine, 60 % des bâtiments nécessaires pour couvrir nos besoins à l’horizon 2050 n’ont pas encore été construits, ce qui nous laisse une belle marge de manœuvre pour transformer positivement nos villes. Cette opportunité. ne sera cependant pas très utile pour atteindre des objectifs dans les dix prochaines années, car il faut intervenir bien plus tôt dans les processus d’aménagement urbain : les programmes de construction en cours ou qui vont débuter d’ici là sont déjà fixés. Il faut agir dès maintenant sur l’aménagement urbain, actuellement basé sur un concept esthétique très frappant, où les bâtiments d’un quartier présentent un agencement et une hauteur très réguliers et ordonnés. Or, comme dans le monde du vivant, la diversité joue un rôle primordial. Elle limite les effets d’îlots de chaleur en permettant une meilleure ventilation des quartiers, et améliore l’accès à la ressource solaire.
Notons que si les villes jouent un rôle énorme dans le dérèglement climatique, elles y sont particulièrement sensibles et exposées. Leurs besoins croissants en rafraîchissement par climatisation risquent de conduire rapidement à un cercle vicieux, où les rejets anthropogéniques augmenteront et aggraveront les effets climatiques locaux. De plus, les effets combinés du rayonnement solaire, de la température et de la pollution génèrent, pour l’homme et la biodiversité, des problèmes de confort et de santé qui renforcent la vulnérabilité aux dérèglements climatiques. Les défis sont de taille. ♦
Pour en savoir plus
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Nos articles sur les 4 autres Missions:
À la rescousse de nos ressources en eau
Climat : des réponses locales aux changements globaux
L’Europe à l’assaut du cancer
Le sol, cet inconnu qu’on piétine…
- 1. Professeur des universités, il dirige également le Laboratoire d’optimisation de la conception et ingénierie de l’environnement (Locie – CNRS/Université Savoie Mont-Blanc).
- 2. French-Singaporean network on-Renewable Energies, avec le Laboratoire procédés, matériaux, énergie solaire (CNRS) et la Nanyang Technological University.
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Auteur
Diplômé de l’École supérieure de journalisme de Lille, Martin Koppe a notamment travaillé pour les Dossiers d’archéologie, Science et Vie Junior et La Recherche, ainsi que pour le site Maxisciences.com. Il est également diplômé en histoire de l’art, en archéométrie et en épistémologie.
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